9 juin 2014

Mon habitat : plus qu’un simple toit – Expérience du projet pilote de Baie-Saint-Paul

Article
Auteur(s)
Vicky Huppé
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Benoît Lévesque
M.D., M. Sc., FRCPC, médecin spécialiste, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie
André Tourigny
M.D., médecin spécialiste, Institut national de santé publique du Québec
Frédéric Van Caenegem
Université Laval

Contexte et objectif du projet

L’enquête « Mon habitat : plus qu’un simple toit » couvre un ensemble de problématiques associées à l’habitat (le logement et l’environnement à proximité), qui ont le potentiel de conduire à des effets sur la santé des occupants. Elle s’inspire de l’enquête paneuropéenne LARES[1] réalisée par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans huit municipalités distinctes à travers l’Europe en 2002-2003 (Braubach, 2007), dont le but était d’évaluer, à travers la perception des citoyens et l’observation visuelle du logement par une personne habilitée, les enjeux de santé associés aux conditions d’habitation. La particularité du projet LARES est l’utilisation d’une démarche concertée avec la ville, dont les résultats ont pour finalité : 1) d’informer et de sensibiliser les décideurs sur les priorités d’intervention en lien avec la santé à l’échelle locale et 2) de les outiller dans la prise de décision afin de favoriser la mise en place de solutions durables.

La définition d’habitat utilisée dans le cadre de l’enquête LARES et, par le fait même, celle de l’enquête « Mon habitat : plus qu’un simple toit », est celle proposée par l’OMS. Elle intègre une vision élargie de l’habitat et fait intervenir quatre grandes dimensions, soit le foyer comme lieu d’intimité et de refuge du monde extérieur, le logement et ses aspects de sécurité et d’accessibilité, la communauté et son climat social ainsi que la qualité du design urbain de l’environnement immédiat au logement (Figure 1).

Figure 1 - Les quatre dimensions de l’habitat proposées par l’OMS Europe (Adapté de Bonnefoy, 2007)

Avec le soutien de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), la Société d’habitation du Québec (SHQ), la Direction régionale de santé publique (DRSP) de la Capitale-Nationale et le Centre de santé et des services sociaux (CSSS) de Charlevoix, la Ville de Baie-Saint-Paul est la première municipalité canadienne à tester et à s'approprier le projet LARES, lequel a déjà fait ses preuves dans d’autres municipalités en contexte européen.

L’enquête « Mon habitat : plus qu’un simple toit », réalisée dans la municipalité de Baie-Saint-Paul au cours de l’été 2012, constituait donc un projet pilote dont la démarche et les outils développés se voulaient reproductibles et applicables à n’importe quel secteur urbain du Québec. Les objectifs spécifiques du projet pilote étaient :

  • d’évaluer les conditions du logement et du quartier résidentiel qui peuvent affecter la santé;
  • d’identifier les priorités d’intervention potentielles sur une base locale;
  • de fournir des données servant d’aide à la décision à l’échelle locale;
  • de tester des outils d’investigation des conditions de logement et de santé que les DRSP pourront utiliser de concert avec les municipalités.

Cet article, le deuxième d’une série de quatre, décrit la démarche utilisée pour le projet pilote ainsi que les retombées observées jusqu’à maintenant.

Méthodologie utilisée

Contact avec la municipalité

La prise de contact avec la Ville de Baie-Saint-Paul a été effectuée par la DRSP de la Capitale-Nationale à l’automne 2011. Par la suite, des échanges ont permis aux personnes responsables du dossier de la municipalité de bien comprendre l’enquête, de préciser les besoins et capacités de cette dernière, et d’établir un lien de confiance mutuel entre les partenaires. Un outil de communication (plaquette de projet), expliquant brièvement d’où viennent le projet, ses objectifs, le produit final et les retombées potentielles, a également été transmis à la municipalité afin de l’aider à mieux comprendre l’objet de l’enquête.

Définition du secteur à l’étude et recrutement des ménages

L’enquête « Mon habitat : plus qu’un simple toit » vise particulièrement les secteurs défavorisés, où les enjeux de santé associés à l’habitat sont les plus susceptibles d’être importants. Le choix des secteurs à l’étude était ainsi basé sur les options proposées par la Ville de Baie‑Saint‑Paul ainsi que sur l’indice de défavorisation matérielle et sociale de Pampalon (Figure 2). Deux secteurs ont ainsi été définis : soit un secteur moins favorisé (secteur 1), qui représentait le territoire d’intérêt, et un secteur mieux favorisé (secteur 2), qui représentait le territoire de comparaison.

Figure 2 - Portrait de défavorisation matérielle et sociale 2006 du territoire du Centre de santé et des services sociaux de Charlevoix (Tirée de Kègle, 2011)

Les adresses de l’ensemble des ménages habitant les secteurs visés ont été obtenues à partir du rôle d’évaluation (2011) et de la liste électorale (2009). Par la suite, les numéros de téléphone des ménages ont été obtenus à l’aide de la base de données StreetSmart et du bottin téléphonique en ligne Canada 411.

La promotion de l’enquête et le recrutement des ménages ont été pris en charge par la ville de Baie-Saint-Paul. Avant la collecte de données, la Ville a fait paraître deux articles présentant l’enquête « Mon habitat : plus qu’un simple toit » dans le journal municipal hebdomadaire L’Hebdo Charlevoisien, distribué à l’ensemble des résidents de Charlevoix. Chacun des ménages inclus dans la liste d’appels a également reçu une lettre envoyée par la Ville de Baie-Saint-Paul, signée par le maire, les invitant à participer à l’enquête. La lettre spécifiait que la ville procéderait au tirage de 50 droits d’accès pour une activité de loisir offerte dans la programmation de loisirs parmi les participants. Une fois la lettre envoyée, une employée de la ville de Baie-Saint-Paul appelait les ménages inscrits sur la liste afin de sonder leur intérêt et planifier un rendez-vous pour la visite.

Déroulement de la collecte de données

Les versions françaises des questionnaires fournis par l’OMS ont été révisées de manière à refléter le contexte québécois actuel de l’habitat, avec l’aide de questionnaires utilisés dans le cadre d’enquêtes québécoises et canadiennes et la consultation d’experts provenant de divers domaines de la santé publique et de l’habitat. Dans le cadre du projet pilote réalisé à Baie-Saint-Paul, la collecte de données sur la santé des occupants, leur satisfaction par rapport à leur habitat ainsi que la qualité des conditions d’habitation étaient entièrement réalisées par le biais de quatre questionnaires (Tableau 1). Lors de leur visite au domicile du participant, les enquêteurs expliquaient le projet, faisaient signer le formulaire de consentement et pendant que l’un procédait à l’entretien avec l’occupant (questionnaire Entretien), l’autre faisait l’inspection (questionnaire Visite). Lors de leur départ, ils remettaient, à la personne présente, le nombre nécessaire de questionnaires Santé pour toutes les personnes de 5 ans et plus ainsi qu’un questionnaire Dépenses associées au logement à remplir pour l’ensemble du ménage. La collecte de données s’est déroulée du 24 mai au 31 août 2012. La dernière semaine a été consacrée aux retours de questionnaires et à des tâches connexes (p. ex., saisie de données, etc.).

Tableau 1 - Outils utilisés pour la collecte de données

Outil de collecte Description Moment de collecte des données et format utilisé

Questionnaire Entretien

Entrevue faite par un enquêteur auprès d’un répondant du ménage qui vise à évaluer la satisfaction et la perception de ce dernier face à son habitat.

Au moment de la visite, format électronique (données saisies directement).

Questionnaire Visite

Inspection visuelle des lieux par un enquêteur (état physique du logement et du quartier résidentiel).

Au moment de la visite, format électronique (données saisies directement).

Questionnaire Santé (versions adultes et enfant)

Questionnaire papier autoadministré rempli par tous les occupants du ménage visant à déterminer leur état de santé. Pour les enfants entre 5 et 15 ans, ce questionnaire est plus court, adapté à leur âge, et doit être complété avec l’aide d’un ou l’autre des parents.

Après la visite, format papier (données saisies subséquemment, deux fois).

Questionnaire Dépenses associées au logement

Questionnaire papier autoadministré rempli par un représentant du ménage visant à déterminer globalement les dépenses du ménage associées au logement.

Après la visite, format papier (données saisies subséquemment, deux fois).

Au début de la collecte de données, deux jours ont été consacrés à la formation des enquêteurs. Le premier consistait en une formation théorique, expliquant le projet dans son ensemble, sa démarche ainsi que les tâches à effectuer sur le terrain. La deuxième journée consistait en une formation pratique, où deux ménages volontaires ont été visités par l’ensemble des enquêteurs afin qu’ils se familiarisent avec la démarche et les outils. Enfin, les enquêteurs ont également reçu un cartable regroupant l’ensemble des informations reçues ainsi que de la documentation supplémentaire pour les aider à répondre à des questions spécifiques qui pourraient être posées par des participants.

Analyses effectuées et rapport des résultats

L’analyse des données a été effectuée par un ensemble d’experts provenant de disciplines diverses associées à l’environnement bâti. Le rapport présentant les résultats de l’enquête met en commun ces connaissances, sous l’angle des différentes thématiques suivantes :

  • Caractéristiques des ménages et conditions des logements.
  • Qualité de l’air intérieur et de l’eau potable.
  • Confort thermique des logements.
  • Sécurité des logements.
  • Nuisances associées au bruit et aux odeurs environnementales.
  • Quartier résidentiel et sécurité perçue.
  • Accès et consommation de fruits et légumes et statut pondéral.
  • Quartier résidentiel et activité physique de loisir et de transport.

Les analyses portant sur les conditions de l’habitat et le bien-être ont été effectuées de manière transversale à travers ces thématiques et les résultats ont été rapportés, lorsque pertinents, dans les chapitres correspondants. Le rapport complet des résultats est disponible en ligne sur le site de l’INSPQ.

Aspects distinctifs de la démarche et retombées

Ce projet a permis de mettre en commun diverses expertises œuvrant dans le domaine de l’environnement bâti et de la santé. En effet, la révision des questionnaires, l’analyse des résultats ainsi que l’écriture du rapport ont été réalisées grâce à la participation de plusieurs unités de l’INSPQ (habitudes de vie, santé au travail, santé et environnement, sécurité et prévention des traumatismes, surveillance des maladies chroniques), de même que celles de la SHQ et de l’Université de Montréal.

Par ailleurs, au-delà de l’utilisation d’une approche globale, qui permet de couvrir un ensemble de problématiques à la fois, l’aspect distinctif de ce projet est l’utilisation d’une démarche concertée avec des acteurs locaux et régionaux, en particulier la municipalité. Dès le début, la municipalité s’est engagée envers le projet en prenant en charge la promotion de l’enquête ainsi que le recrutement des participants. Sa mobilisation et son intérêt à recevoir les données ont très certainement contribué aux retombées déjà observées.

En effet, l’enquête a permis d’être un catalyseur d’actions et de fournir à la municipalité des données permettant d’appuyer leurs interventions. Notamment, selon la Ville de Baie-Saint-Paul, l’enquête a permis d’appuyer les discussions et les échanges quant à la mise en place d'une entente intersectorielle sur l'insalubrité morbide pour le territoire du CSSS de Charlevoix. Les résultats de l’enquête leur ont également servi d’aide à la rédaction finale du plan d'urbanisme ainsi qu’à l'élaboration du plan directeur des parcs et espaces verts et des pistes cyclables. Enfin, l’enquête a également permis à la Ville de Baie-Saint-Paul de satisfaire aux critères d'admissibilité pour accéder aux programmes Accès Logis et Rénovation Québec (option de bonification du programme Accès Logis) de la SHQ. Ces programmes amèneront la création de logements sociaux subventionnés dans le secteur 1 (dont la construction est payée à 50 % par la Ville et à 50 % par la SHQ). En effet, l’adhésion à ces programmes exigeait que la municipalité définisse le périmètre d’application en faisant la démonstration que ce dernier présentait une proportion importante de logements qui nécessitent des rénovations, ce que l’enquête a permis de faire.

[1] Large Analysis and Review of European housing and health status.

Références

  1. Bonnefoy X. (2007). Inadequate housing and health: an overview. Int J Environ and Poll 30:411-429.
  2. Braubach M. (2007). Residential conditions and their impact on residential environment satisfaction and health: results of the WHO large analysis and review of European housing and health status (LARES) study. Int J Environ and Poll 30:384-403.
  3. Kègle R. et al. (2011). Portrait de défavorisation matérielle et sociale 2006 du territoire du Centre de santé et des services sociaux de Charlevoix. Centre de santé et des services sociaux (CSSS) de Charlevoix. 34 p.
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