12 juin 2000

Consensus sur l’évaluation et la gestion des risques associés à l’exposition aux champs électrique et magnétique provenant des lignes électriques

Article
Auteur(s)
Patrick Levallois
M. D., M. Sc. FRCPC, médecin spécialiste. Institut national de santé publique du Québec
Pierre Lajoie
M.D., M. Sc., FRCPC, médecin-conseil, Institut national de santé publique du Québec
Denis Gauvin
M. Sc, conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Gaétan Carrier
Université de Montréal
Albert Daveluy
Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec
Louis Drouin
Direction de la santé publique de Montréal
Claude Prévost
Institut national de santé publique du Québec
Gilles Thériault
Université McGill
Claude Tremblay
Direction de la santé publique de la Montérégie

Rapport du groupe de travail au Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec

Face aux inquiétudes liées au risque potentiel associé aux champs électrique et magnétique émis par les lignes à haute tension, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec a demandé à la fin de l’année 1998, la création d’un groupe de travail provincial issu du réseau de la santé afin de dresser l’état de situation de cette problématique. Le rapport de ce groupe a été déposé en mai dernier au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Cet article présente la conclusion et les recommandations issues de cette démarche.

Le mandat du groupe de travail était de mettre à jour l’information scientifique sur les risques associés aux champs électromagnétiques émis par les lignes à haute tension; 1) tirer une conclusion sur ces risques en fonction de l’état actuel des connaissances scientifiques; 2) décider de la pertinence de recommander des niveaux-limites d’exposition aux champs électromagnétiques (CEM) d’extrêmes basses fréquences générés par les lignes à haute tension, en tenant compte des autres sources d’émission de ces types de champs et enfin; 3) préciser les scénarios de gestion prudente qui devraient faire l’objet d’une évaluation approfondie.

Les effets aigus associés à l’exposition aux CEM d’extrêmes basses fréquences sont bien documentés. Toutefois, le risque d’effet à la santé lié à l’exposition chronique demeure incertain. Le groupe de travail, après analyse de la preuve scientifique, considère que le lien causal entre l’exposition chronique aux CEM et l’apparition de cancers (leucémie chez l’enfant et chez l’adulte) n’est pas établi. Néanmoins, compte tenu de l’absence d’explication évidente des résultats inconstants des études épidémiologiques, on ne peut exclure l’existence d’un tel risque. De plus, si le risque à la santé lié aux CEM était réel, il demeurerait néanmoins faible (RR<2). Dans l’hypothèse où le risque était réel (RR = 1,5), si l’on considère toutes les sources de CEM, environ 10 % des cas de leucémie chez les enfants de 0 à 14 ans pourraient être expliqués par l’exposition aux CEM. Si l’on considère les lignes à haute tension seules, le pourcentage de cas relié aux CEM serait de moins de 1 %. Le groupe de travail considère que l’impact potentiel de l’exposition aux CEM provenant de toutes sources est toutefois non négligeable compte tenu du type de problème de santé et de la population concernée.

Relativement au risque lié à l’exposition aiguë aux CEM, l’International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection (ICNIRP) a recommandé de nouvelles valeurs limites d’exposition visant à prévenir la possibilité d’effets aigus chez les travailleurs et dans la population générale. Au Québec, l’application des recommandations de l’ICNIRP a des implications majeures, autant pour les travailleurs que pour le public en général. Le groupe de travail constate que la procédure de consultation utilisée par l’ICNIRP est critiquée par plusieurs organismes importants et pose des problèmes d’applicabilité. Le groupe de travail n’est actuellement pas en mesure d’évaluer de façon approfondie la justification scientifique de ces recommandations et est d’avis qu’une période intérimaire est nécessaire pour le faire. Ainsi, il y a lieu d’attendre l’avis définitif de la communauté scientifique et de l’ICNIRP sur ces recommandations. D’ici là, Hydro-Québec doit identifier et évaluer les impacts de ces nouvelles valeurs limites recommandées.

Au regard des effets chroniques des CEM, on ne peut présentement établir de niveau limite d’exposition ou encore préconiser une distance minimale à respecter des lignes de transport d’électricité. Les arguments scientifiques basés sur les données actuelles sont présentement insuffisants pour l’établissement de telles limites. Néanmoins, une certaine prudence est justifiée pour réduire l’exposition de la population aux CEM. L’application du principe de précaution est pertinente. Toutefois, les mesures retenues doivent être raisonnables compte tenu du niveau d’incertitude et des impacts socio-économiques.

Face aux risques potentiels des CEM sur la santé, diverses stratégies de gestion prudente sont proposées dans divers pays. Certaines mesures sont générales : vigilance active, caractérisation des sources d’exposition, information, assistance technique, respect des normes, recherche et développement. Des mesures spécifiques visent la réduction des niveaux de CEM d’extrêmes basses fréquences lorsque des actions à coûts raisonnables peuvent être entreprises. Le groupe de travail propose cinq critères permettant d’évaluer les mesures préventives qui découlent du principe de précaution soit : l’efficacité, la faisabilité technique, le coût raisonnable, l’acceptabilité sociale et la sécurité.

Recommandations

Compte tenu de l’importance relative de l’exposition aux CEM provenant de toutes sources, et celle reliée aux lignes à haute tension, suite au consensus sur l’évaluation et la gestion du risque, le groupe de travail fait les recommandations suivantes :

  1. Que le ministère de la Santé et des Services sociaux propose au Comité interministériel de suivi des études sur les effets des lignes à haute tension sur la santé de recommander au gouvernement du Québec de se doter d’une politique de gestion prudente de l’exposition aux champs électromagnétiques (CEM) provenant des lignes électriques à haute tension.
  2. Que le ministère de la Santé et des Services sociaux s’assure de l’application des mesures générales de prudence suivantes :
    • Vigilance sur l’évolution des connaissances : en s’assurant qu’un suivi régulier de la littérature scientifique sur les effets des champs électrique et magnétique soit effectué autant en regard des expositions aiguës que chroniques;
    • Caractérisation des sources d’exposition : autant au regard des expositions résidentielles que professionnelles. Cette caractérisation devrait s’attarder tout autant aux sources d’expositions résidentielles qu’aux lignes à haute tension et aux milieux de travail autres qu’Hydro-Québec;
    • Information du public : par la mise au point de documents destinés au grand public, mais aussi aux professionnels de la santé qui jouent un rôle fondamental dans l’information du public concernant les connaissances actuelles des risques associés aux CEM;
    • Respect des recommandations : En attendant la position de la communauté scientifique, les recommandations internationales de l’ICNIRP et de l’ACGIH représentent des objectifs à atteindre;
    • Recherche et développement : en favorisant la recherche en regard des effets des CEM sur la santé humaine, en particulier sur le cancer et d’autres effets peu étudiés tels que les effets neuropsychiques et cardiaques. En favorisant aussi le développement de méthodes visant à réduire les expositions aux CEM en milieux résidentiels et professionnels.
  3. Que le ministère de la Santé et des Services sociaux propose au Comité interministériel de suivi des études sur les effets des lignes à haute tension sur la santé de recommander une évaluation des mesures de réduction possibles des niveaux de champs émis par les lignes d’électricité par rapport aux scénarios particuliers suivants : construction d’une nouvelle ligne près des habitations, localisation de nouvelles écoles et garderies près de lignes existantes et utilisation des emprises à des fins communautaires. Une évaluation du caractère raisonnable des mesures de réduction possibles doit être faite à l’aide des cinq critères suivants : efficacité, faisabilité technique, coût raisonnable, acceptabilité sociale et sécurité. Cette évaluation devra aussi tenir compte des avantages et des inconvénients des mesures.
  4. Qu’à cette fin, un groupe de travail élargi soit mis sur pied. Ce groupe élargi devrait être constitué de représentants des principaux ministères, organismes et partenaires impliqués au niveau de la gestion prudente ainsi que du public. Suite à une consultation, le groupe de travail devrait proposer un modèle de gestion approprié comprenant les mesures raisonnables de réduction.
  5. D’ici à ce que la communauté scientifique statue de façon définitive sur les limites d’exposition de l’ICNIRP, que les entreprises dont les opérations entraînent des expositions importantes des travailleurs ou du public aux CEM identifient de façon précise toutes les situations où les niveaux limites d’exposition seraient dépassés. De plus, ces entreprises, notamment Hydro-Québec, devraient participer à la réalisation d’études environnementales et médicales appropriées, les effets potentiels de ces situations au niveau des travailleurs et du public en général. De plus, ces entreprises devraient évaluer les impacts techniques et économiques de l’application des nouvelles recommandations de l’ICNIRP.

Vous pouvez vous procurer le rapport au coût de 5 $ en faisant parvenir un chèque à l’ordre du CHUQ-CHUL au Centre de documentation Direction de la santé publique de Québec 2400, d’Estimauville Beauport (Québec) G1E 7G9. Tél. 418-666-7000, poste 217, téléc. 418-666-2776, sbelanger@cspq. qc.ca