1 novembre 2008

Contribution de la cytogénétique à l’étude de la génotoxicité des HAP

Article

F. Fortin, Département de pathologie et biologie cellulaire et Département de pathologie et Centre de recherche, CHU Sainte-Justine

C. Viau, Chaire d’analyse et de gestion des risques toxicologiques, département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal

N. Lemieux, Département de pathologie et biologie cellulaire et Département de pathologie et Centre de recherche, CHU Sainte-Justine

Introduction

Depuis les années 1970, la cytogénétique contribue à la compréhension des mécanismes de génotoxicité de divers composés chimiques en fournissant divers tests, dont plusieurs sont standardisés, tels que les tests des aberrations chromosomiques, des échanges entre chromatides- soeurs et des micronoyaux. Raffinés avec les années, ces tests se couplent maintenant avec l’hybridation in situ en fluorescence, augmentant par le fait même leur sensibilité. Ainsi, la cytogénétique est très utilisée pour faire le suivi de populations exposées aux HAP et les études in vitro en cours permettent de mieux comprendre les mécanismes menant à cette génotoxicité chez l’humain.

Matériels et méthodes

Une revue de la littérature des années 1980 à nos jours a été effectuée afin de dégager les études de travailleurs exposés aux HAP, ainsi que les populations exposées à l’air pollué ou habitant près d’usines émettant des HAP. Le suivi des exposés devait inclure l’utilisation d’au moins un test cytogénétique (aberrations chromosomiques, échanges entre chromatides-soeurs ou micronoyaux) et a permis de sélectionner 50 études qui ont été analysées. De plus, une synthèse des études in vitro utilisant des outils cytogénétiques et le benzo(a) pyrène comme modèle de la génotoxicité des HAP, combinée aux travaux effectués à notre laboratoire, est également présentée. Le tout est mis en relation avec les aspects moléculaires et cellulaires à la base de la manifestation des dommages cytogénotoxiques étudiés.

Résultats

Les aberrations chromosomiques (ABR)

Dans la littérature, deux grandes classes d’ABR sont actuellement reconnues : les aberrations stables et instables (Sram et al., 2007). Les ABR instables représentent des évènements de non-réparation de dommages à l’ADN. Généralement, ce sont les cassures et les écarts qui sont comptabilisés lors de la réalisation de ce test, à l’aide d’outils conventionnels. Les ABR stables sont produites lors de la réparation de bris à l’ADN par le système de réparation appelé « non-homologous endjoining ». Ce système de réparation est susceptible d’entraîner des erreurs (des délétions de quelques bases sont fréquentes) et de causer des ABR (Delacote et Lopez, 2008). Ces aberrations sont visualisées à l’aide de l’hybridation in situ en fluorescence (FISH), en utilisant des peintures chromosomiques comme sonde. On y distingue généralement les translocations, les insertions et les délétions.

Les échanges entre chromatides-soeurs (ÉCS)

Les ÉCS se produisent lorsque la fourche de réplication de l’ADN se bloque (en phase S). Ces arrêts peuvent être causés par la présence d’adduits à l’ADN, de bases modifiées (telles les 8-oxo-désoxyguanosines ou 8-OH-dG), de bris simplebrin ou double-brin à l’ADN. Afin de résoudre ces arrêts, le système de réparation par recombinaison homologue est mis en branle et la réparation s’effectue à l’aide de la chromatide-soeur déjà répliquée (Delacote et Lopez, 2008). Un évènement de conversion génique s’ensuit et la réparation effectuée est parfaite. Cependant, avec une fréquence d’environ 1/1 000, la conversion génique ne se résout pas correctement et un échange se produit entre les chromatidessoeurs.

Les micronoyaux (MN)

Les micronoyaux sont formés lors de la dernière étape de la division cellulaire, lorsqu’un chromosome entier ou un fragment chromosomique migre de façon retardée sur le fuseau mitotique. Lors de l’anaphase et de la télophase, ces retardataires peuvent être séparés du noyau principal et former un micronoyau. Ce MN possède une membrane nucléaire et l’ADN présent est actif du point de vue transcriptionnel et réplicationnel. Cependant, son avenir est incertain : il pourrait être perdu lors d’une division cellulaire subséquente et entraîner ainsi une perte de matériel génétique. Au niveau cellulaire, la formation d’un MN implique la présence de bris double-brin à l’ADN ou un dysfonctionnement de l’appareil mitotique (Fenech, 2007).

Études de populations exposées aux HAP

Des 50 études analysées, 35 rapportent une augmentation significative d’au moins un des paramètres cytogénétiques suivants : aberrations chromosomiques, échanges entre chromatides-soeurs ou micronoyaux (figure 1). Une augmentation des ABR seulement est le plus souvent associée à une exposition à l’air ambiant : policiers affectés à la circulation, chauffeurs d’autobus, population (y compris les enfants) habitant une ville polluée. Dans ce dernier cas, l’utilisation de la FISH pour détecter les ABR stables a été plus sensible que le test des ABR conventionnel pour détecter une augmentation significative des dommages. De plus, après une exposition forte (air plus pollué en hiver, comparativement au printemps pour les policiers (Sram et al., 2007)), ainsi que le traitement agressif du psoriasis (Fiala et al., 2006), le niveau d’ABR revient à la normale 2,5 à 3 mois plus tard.

Une augmentation des ÉCS et des MN est plus souvent rapportée après une exposition professionnelle. Le taux de 1-OH-pyrène (1- OH-P) urinaire rapporté varie, en moyenne, de 0,78 à 12 μmol/mol créatinine et 2 études ont proposé une valeur seuil de 1-OH-P urinaire devant protéger 95 % des travailleurs d’une augmentation significative des ÉCS : 1 μmol/mol (Mielzynska et al., 2006) et 2,7 μg/g (équivalent à 1,4 μmol/mol) (Buchet et al., 1995). Par ailleurs, des améliorations dans les procédés de travail ont porté fruit chez deux groupes, avec un retour au niveau normal des ÉCS, ABR et/ou MN suite à ces changements (Major et al., 2001; Stierum et al., 1993). Notons également qu’une diminution significative de la fréquence des MN est rapportée chez les travailleurs affectés au four à coke les plus exposés de deux cohortes (Buchet et al., 1995; Van Hummelen et al., 1993), ce qui soulève des questionnements.

Figure 1. Classement des études rapportant une augmentation des aberrations chromosomiques (ABR), des échanges entre chromatides-soeurs (ÉCS) ou des micronoyaux (MN) et indication du type d’exposition ou d’occupation rapportée.

Études in vitro utilisant le benzo(a)pyrène comme modèle

Les études in vitro utilisent des concentrations d’exposition élevées afin de provoquer des dommages génotoxiques mesurables, après un court laps de temps. Les différents paramètres cytogénétiques sont alors comparés entre eux afin de déterminer leur sensibilité relative. Ainsi, l’étude de Warshawsky (1995) suggère que le test des MN est plus sensible que le test des ÉCS, pour des conditions d’exposition au benzo(a)pyrène (BaP) identiques, alors que Salama (2001) suggère que les ABR apparaissent après une exposition plus courte et plus faible au BaP, que les ÉCS. Dans notre laboratoire, l’exposition des lymphocytes humains au BaP, à des concentrations et temps d’exposition plus faibles que celles rapportées dans la littérature, montre une grande variabilité entre les individus, en plus de suggérer une plus grande sensibilité du test des ÉCS, en comparaison au test des MN.

Conclusion

Une augmentation des ABR ou des MN, même sans exposition professionnelle, est associée à un risque accru de développer un cancer (Bonassi et al., 2007; Norppa et al., 2006). Le défi actuel est de quantifier le risque associé à des expositions très faibles, comme celles associées à la fumée de tabac secondaire, ou à un niveau de pollution modéré. L’utilisation de méthodes augmentant la sensibilité des tests cytogénétiques sera à même de nous permettre de faire un meilleur suivi des populations exposées aux HAP et de mieux prévenir l’apparition de cancer lié à ces expositions.

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