8 novembre 2019

Dr David Kaiser, chef médical

Portrait
Auteur(s)
Mélanie Beaudoin
LL. B., M. Env., conseillère scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie
Patrick Poulin
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec

Le Comité de rédaction du BISE vous propose encore une fois le portrait d’un acteur du Québec œuvrant dans le domaine de la santé environnementale. L’objectif de ce portrait est de mettre en lumière le travail, mais aussi le parcours, la vision et les réalisations de professionnels du réseau de la santé environnementale qui rayonnent à l’échelle régionale, provinciale, nationale et internationale. 


Crédit photo : John Mahoney, Montreal Gazette, 8 juillet 2019.

Pour ce numéro, nous vous invitons à découvrir le parcours, les expériences et les réflexions de Dr David Kaiser, chef médical de l’équipe de santé environnementale (c.-à-d. environnement urbain et saines habitudes de vie) à la Direction de santé publique (DSPublique) de Montréal. David a d’abord effectué un baccalauréat en environnement, avant de faire sa médecine, sa résidence en santé publique et une maîtrise en santé publique, le tout à l’Université McGill. Il a ensuite rejoint les rangs de la DSPublique de Montréal, notamment pour travailler sur le dossier du logement, avant de s’orienter davantage vers des tâches de gestion.

David, comment vous décrivez-vous quand il est question de présenter ce que vous faites comme travail?

J’assiste à des réunions, je participe à des conférences téléphoniques et je réfléchis! Mais plus sérieusement, mon travail contribue à ce que, collectivement, nous puissions assurer la santé de la population.

J’ai adopté une vision large de la santé, probablement parce que j’ai un intérêt pour l’écologie et que j’ai commencé mon cursus universitaire en me passionnant pour la science de tous les êtres vivants. J’accorde également une grande importance à la petite enfance et à toutes les phases de la croissance et du développement des individus et des collectivités. Toute ma perspective de la santé publique est influencée par l’écologie, la biologie et l’environnement, dans une optique intergénérationnelle et globale. On ne peut pas faire fi de l’interface humaine dans l’environnement, au même titre que la santé environnementale ne se limite pas à la santé humaine. On arrive de mieux en mieux à concilier ces enjeux avec l’actuel mouvement qui réclame davantage d’action de la classe politique au regard de la lutte contre les changements climatiques.

Quels sont les projets qui ont monopolisé le plus vos énergies au cours des dernières années? 

Avant d’occuper le poste de chef médical, je travaillais sur le dossier du logement. Il y a 15 ans, la DSPublique de Montréal a été une précurseure en la matière en intégrant à sa planification le thème du logement comme étant l’un des déterminants de la santé des individus et des communautés. À mon arrivée, le temps était venu de revoir l’offre de service ainsi que les perspectives de partenariats avec les organismes compétents à ce sujet. Nous avons notamment réussi à bâtir un lien de confiance avec la Ville de Montréal. Avec mes collègues de la DSPublique, nous avons pris près de trois ans pour mettre en place une offre de service ainsi qu’une approche de gestion cohérente dans laquelle les différentes organisations concernées possèdent un rôle bien défini.

Le dossier des changements climatiques m’occupe beaucoup depuis la dernière année. Avec les membres de l’équipe de la santé environnementale et notre nouvelle directrice, nous avons convenu de prioriser cette problématique et de développer une vision ambitieuse des avenues pouvant être déployées afin de contrer ce phénomène planétaire.

Quelles sont les responsabilités de votre équipe lorsque des problèmes de santé environnementale affectant la population de Montréal se manifestent?

J’œuvre au sein d’une équipe mixte, qui répond à toutes les fonctions de santé publique (surveillance, épidémiologie, analyse de risques, influence des politiques publiques, recherche), le tout en collaboration avec les universitaires de la métropole. En matière de protection de la santé, nous travaillons autant dans les domaines de l’évaluation du risque que de la planification des mesures d’urgence. On travaille aussi sur la perspective de la promotion de la santé (logement, salubrité, habitudes de vie…), notamment par la promotion des changements nécessaires à intégrer dans l’aménagement des quartiers ainsi qu’au sujet de la mobilité de ses occupants. Cela nous permet d’œuvrer dans les dossiers de façon globale et de produire des connaissances (enquêtes, études, rapports) autant que de répondre à des demandes spécifiques. De plus, la communication avec les médias nous permet d’être en lien avec la population. Toutes ces fonctions nous occupent au quotidien.

Quelles ont été les plus gros défis rencontrés dans la pratique de vos fonctions en santé environnementale?

Les besoins à Montréal sont importants, presque aux limites de la capacité de soutien de l’équipe. De plus, il est important d’assurer la cohérence entre les politiques publiques et les activités de protection et de promotion de la santé dans des dossiers complexes, comme la pollution de l’air extérieur, le bruit environnemental ou le plomb dans l’eau potable. Trouver un fil conducteur entre les actions pouvant être menées à court terme et les différents chantiers pouvant être mis en œuvre afin d’opérer un changement structurel nécessaire des politiques publiques représente un méga défi. Bien que toutes les expertises de la DSPublique soient réunies sous le même toit et que les collègues bénéficient tous de formations semblables, il est parfois difficile de se comprendre. Il est également nécessaire de formuler et de porter des messages cohérents, et ce, tant avec nos partenaires qu’avec la population.

Quelles sont les problématiques de santé environnementale les plus criantes sur l’île de Montréal?

C’est une très bonne question! S’il est difficile d’y répondre, c’est que l’information est incomplète. L’évaluation du fardeau sanitaire au regard de nombreux déterminants de la santé s’avère incomplète et les travaux de surveillance menés jusqu’à ce jour nous permettent seulement de dresser un portrait parcellaire des réels besoins de la population montréalaise. Par ailleurs, si j’avais à me prononcer personnellement sur cette question, je dirais l’aménagement du territoire et le transport. La façon dont les quartiers, la ville et la communauté métropolitaine sont structurés a des impacts sur le bruit, la pollution de l’air, les îlots de chaleur, l’activité physique, l’accès aux services et à l’alimentation des résidents… Et, bien sûr, sur notre capacité de mitigation et d’adaptation aux changements climatiques. S’il n’y a pas de progrès à ce niveau-là, on pourra travailler les problématiques spécifiques pendant longtemps, mais il sera difficile d’arriver à des résultats concluants pour la santé de la population.

Considérant la grande concentration d’expertise de votre région, comment collaborez-vous avec les autres régions et le ministère?

On ne le fait pas assez bien! Souvent, les enjeux montréalais prennent une ampleur plus importante que ceux des régions où il y a une moins grande concentration des médias. Des partenaires comme la Ville de Montréal et la Commission scolaire de Montréal bénéficient d’une importante couverture médiatique, ce qui nous oblige à travailler certains dossiers plus rapidement.

Montréal n’est pas le centre de l’univers, mais par sa capacité (grande DSP, grande équipe en santé environnementale, présence universitaire importante) et son accès à d’importantes ressources, on réussit à développer des connaissances et, à mon avis, on les partage plutôt bien. Nous avons plusieurs exemples récents et moins récents de collaboration, où la DSPublique de Montréal a développé des connaissances, s’est mobilisée pour que d’autres DSPublique s’y intéressent et que l’enjeu percole jusqu’au ministère, pour ensuite retourner dans les régions. Des projets de recherche collaboratifs ont également été articulés avec d’autres DSPublique. À titre d’exemple, la Montérégie coordonne un projet d’évaluation des impacts sur la santé auquel toutes les DSP de la grande région de Montréal participent. En marge de ces interactions, il s’avère important de pouvoir bénéficier des connaissances de tous et de favoriser une collaboration plus fluide entre les acteurs régionaux.

Quelles sont les sources de motivation qui vous animent au quotidien?

J’ai grandi sur une ferme laitière. J’ai vécu l’expérience paysanne et j’y ai acquis l’habitude de travailler fort. Ces expériences de jeunesse ont influencé ma personnalité et donné du sens à ma vie. Nous sommes présentement dans un contexte environnemental où il est facile de perdre espoir. Devant cette réalité, c’est dans l’aspect relationnel que je trouve un sens et une motivation pour mon travail. Je suis toujours en relation avec des gens : collègues, partenaires, médias, population. C’est épuisant, parce que l’aspect relationnel n’est pas ma force, mais c’est très motivant, et ce, en dépit de la réalité environnementale à laquelle nous avons à faire face.

Quels sont vos projets, vos défis? Qu’est-ce qui vous tient le plus à cœur?

Ça fait maintenant cinq ans que je travaille à la DSP et un an et demi que je suis en poste comme chef médical. J’occupe aujourd’hui les fonctions de coordonnateur d’une super équipe qui travaille sur de nombreux dossiers stimulants. Récemment, j’ai assisté à une présentation de Andrea Reimer, qui parlait du Greenest City Action Plan de Vancouver. En dix ans, Vancouver est passée d’absente au palmarès à l’une des cinq villes les plus vertes du monde. J’en ai retenu que lorsqu’on se donne des objectifs clairs et des moyens, on peut réussir. Mon projet de la prochaine décennie est que Montréal soit méconnaissable à l’égard de la santé, du bien-être, de l’équité, de l’égalité de ses citoyens et de son empreinte écologique. Parce qu’on va réussir, tous ensemble, à transformer la ville!