2 décembre 2013

Émissions industrielles au Québec et hospitalisations pour problèmes respiratoires chez les jeunes enfants

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Stéphane Buteau
M. Sc., conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec

Les études épidémiologiques ont montré que l'augmentation à court terme des concentrations de polluants atmosphériques est associée à de nombreux effets néfastes sur la santé, notamment une augmentation des hospitalisations et des décès pour causes de maladies cardiovasculaires et respiratoires(1). Au sein de la population, les enfants constituent un sous-groupe particulièrement sensible aux effets de la pollution de l’air (1, 2).

Peu d’études à ce jour ce sont intéressées à la santé respiratoire des enfants vivant à proximités de sources industrielles de pollution atmosphérique. Les paragraphes qui suivent présentent un bref résumé d’une étude récemment publiée s’intéressant aux hospitalisations pour causes respiratoires chez les jeunes enfants vivant à proximité d’une industrie au Québec (3).

Le cas de l’aluminerie de Shawinigan

L’étude réalisée porte sur l’aluminerie de Shawinigan, dont la majorité de la population locale se trouve à proximité de cette industrie. Cette usine est une des plus importantes sources industrielles de pollution atmosphérique au Québec. Malgré le fait que les rejets aient largement diminué au cours des années, en 2008, les émissions de particules fines (diamètre inférieur à 2,5 microns), de dioxyde de soufre et de benzo(a) pyrène, se classaient quand même parmi les plus importantes au Québec, selon les données de l'Inventaire national des rejets de polluants (INRP) (4).

L’étude visait donc à évaluer si, durant la période 1999 à 2008, l’exposition à court terme aux émissions atmosphériques de l’aluminerie de Shawinigan était associée aux hospitalisations pour causes de problèmes respiratoires, spécifiquement pour l’asthme et la bronchiolite, chez les jeunes enfants (âgés de moins de 5 ans) résidant dans un rayon de 7,5 km de l’aluminerie.

Afin d’estimer l’exposition des enfants aux émissions de l’industrie, nous avons considéré le nombre d’heures par jour pendant lesquelles la résidence de l’enfant hospitalisé se trouvait dans la direction du panache de l’usine (estimé à partir des données météorologiques de direction des vents et du code postal de la résidence). L’association entre l’hospitalisation pour asthme ou bronchiolite et l’exposition de la résidence au panache de l’industrie a été analysée à partir d’un design épidémiologique de type cas-croisés (case-crossover) stratifié sur le temps. Dans ce type d’analyse, chaque cas est son propre témoin; c’est-à-dire que l’exposition d’un sujet le jour de son hospitalisation (période cas) est comparée avec celle de jours témoins (c.-à-d. où l’enfant n’a pas été hospitalisé). L’approche est dite « stratifiée sur le temps » puisque les périodes témoins sont les mêmes jours de la semaine du mois où survenait l’hospitalisation (ex. : si l’hospitalisation survient le 2e lundi de mai, alors tous les autres lundi de ce même mois de mai sont les jours témoins). Un tel design permet de contrôler notamment pour les facteurs de confusion individuels (ex. : exposition à la fumée secondaire de cigarette) et temporels (ex. : saisonnalité, activité de l’usine selon le jour de la semaine, etc.).

Le temps d’exposition quotidien au panache augmente le risque d’hospitalisations pour l’asthme

Les résultats montrent une association entre les hospitalisations pour des problèmes respiratoires chez les jeunes enfants et l'exposition, le jour même, aux émissions atmosphériques de l'industrie. Plus précisément, une augmentation de 5 heures par jour du temps que la résidence se trouvait sous les vents de l’usine augmentait de 27 % (Rapport de cote = 1,27; intervalle de confiance à 95 % = 1,03 – 1,56) le risque d’hospitalisations pour l’asthme ou la bronchiolite chez les enfants de 2 à 4 ans vivant à moins de 7,5 km de l’usine. Pour une population de la taille de celle de Shawinigan, ces estimés de risque se traduisent toutefois par de faibles impacts sanitaires; approximativement 2 hospitalisations par année pour l'asthme ou la bronchiolite chez les 2 à 4 ans seraient attribuables à l'exposition aux émissions de l’aluminerie (nombre moyen de cas attribuable = 1.8; intervalle de confiance à 95 % = 0,3 – 3,0). Il n’en demeure pas moins que des symptômes respiratoires dus aux émissions de l’industrie pourraient aussi avoir été ressentis chez d’autres enfants vivant à proximité de l’industrie sans toutefois qu’il en résulte une hospitalisation.

Originalité de l’étude

Les études sur les effets aigus de la population sont généralement réalisées en milieu urbain où il est difficile de distinguer la contribution des multiples sources de pollution atmosphérique. La présente étude a la particularité de concerner un milieu où les autres sources de pollutions atmosphériques sont, sommes toutes, négligeables par rapport à celles de l’industrie. L’utilisation des données de direction des vents se veut une méthode originale pour estimer l’exposition des enfants aux émissions atmosphériques de l’aluminerie. Elle permet notamment de prendre en compte l’exposition à tous les polluants émis par l’industrie. De plus, cette méthode permet de pallier les limites associées à l’utilisation des stations de surveillance, qui sont souvent peu nombreuses ou encore situées de façon non-optimale pour représenter l’exposition des populations locales à la pollution de l’air émise par les industries.

La suite des travaux

Ce travail est le premier d’une série d’études qui seront réalisées par l’équipe de recherche d’Audrey Smargiassi (professeure à l’Université de Montréal - département de santé environnementale et chercheure à l’INSPQ) et ses collaborateurs sur l’asthme chez les enfants en lien avec l’exposition aux émissions atmosphériques des industries. Les futurs travaux viseront notamment à quantifier les risques sanitaires attribuables à l’exposition à court terme aux émissions d’autres industries au Québec ainsi qu’au Canada. De plus, ils permettront de comparer les risques sanitaires attribuables à divers secteurs industriels.

Références :

  1. Pope CA, 3rd, Dockery DW. Health effects of fine particulate air pollution: lines that connect. Journal of the Air & Waste Management Association (1995). 2006 Jun;56(6):709-42. PubMed PMID: 16805397. Epub 2006/06/30. eng.
  2. Sacks JD, Stanek LW, Luben TJ, Johns DO, Buckley BJ, Brown JS, et al. Particulate matter-induced health effects: who is susceptible? Environ Health Perspect. 2011 Apr;119(4):446-54. PubMed PMID: 20961824. Pubmed Central PMCID: PMC3080924. Epub 2010/10/22. eng.
  3. 3. Lewin A, Buteau S, Brand A, Kosatsky T, Smargiassi A. Short-term risk of hospitalization for asthma or bronchiolitis in children living near an aluminum smelter. Journal of exposure science & environmental epidemiology. 2013 Sep-Oct;23(5):474-80. PubMed PMID: 23695491. Pubmed Central PMCID: PMC3748758. Epub 2013/05/23. eng.
  4. Environment-Canada National Pollutant Release Inventory (NPRI). 2008 (updated November 6 2012) Available from: www.ec.gc.ca/pdb/websol/querysite/facility_substance_summary_e.cfm?opt_npri_id=0000003057&opt_report_year=2008.