9 février 2018

L’exposition à la fumée secondaire issue de la combustion du cannabis peut-elle constituer un risque à la santé?

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Patrick Poulin
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec
Jean-Marc Leclerc
M. Sc., conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Annie Montreuil
Ph. D., chercheuse établissement, Institut national de santé publique du Québec
Mariejka Beauregard
M. D., M. Sc., M.B.A., médecin résidente, Université Laval

Holitzki et al. (2018). Health effects of exposure to second- and third-hand marijuana smoke: a systematic review. Canadian medical association journal, 5(4), E814-E822.

Introduction

Alors que les effets associés à l’inhalation directe du cannabis sont de mieux en mieux documentés (p. ex. : effets sur le développement cérébral des adolescents et de jeunes adultes), les effets sanitaires potentiellement engendrés par l’exposition indirecte (ou passive) au cannabis doivent être mieux définis et communiqués aux instances concernées. À l’heure actuelle, les effets associés à l’exposition à la fumée secondaire des produits du tabac (p. ex. : anomalies fœtales, maladies respiratoires et cardiovasculaires, cancer) ont fait l’objet de plusieurs études. Bien que plus récentes, les études qui s’intéressent à la fumée tertiaire ont également permis de mettre en lumière certains effets tributaires de l’exposition aux substances qu’elle contient (p. ex. : augmentation du taux sanguin de radicaux libres).

Le gouvernement fédéral a entrepris de légaliser la possession et l’usage de marijuana à des fins récréatives d’ici juillet 2018. Ce changement législatif a notamment pour effet de contraindre les autorités de santé publique à documenter les divers enjeux sanitaires associées à la légalisation du cannabis afin de déployer, entre autres, des mesures de réduction des méfaits, ainsi que des politiques de gestion éclairées (p. ex : lieu où il sera autorisé de consommer du cannabis). C’est dans ce contexte que la revue de littérature systématique réalisée par Holitzki et collaborateurs nous apparaît pertinente. Le principal objectif de cette revue était de recenser les effets sanitaires pouvant être engendrés par l’exposition à la fumée secondaire et tertiaire, qui est produite par la combustion de cannabis en milieu intérieur (voir l’encadré suivant pour une courte description de ces types de fumée).

TYPES DE FUMEE (DEFINITIONS COMPATIBLES AVEC LA FUMEE DE TABAC ET DE CANNABIS)

Fumée primaire : la fumée primaire est celle directement inhalée par les fumeurs. Ce type de fumée contient des produits de combustion potentiellement toxiques, dont certains sont reconnus comme cancérigènes.

Fumée secondaire : la fumée secondaire est un mélange de fumée expirée par les fumeurs et du courant de fumée qui se dégage de la combustion entre les bouffées. Elle est généralement associée à la fumée ambiante qui est involontairement inhalée par l’entourage des fumeurs.

Fumée tertiaire : la fumée tertiaire est constituée d’une variété de composés chimiques adsorbés sur différents substrats du milieu intérieur (p. ex. : mobilier, tapis, rideau, mur, plancher, etc.). Il s’agit des constituants de la fumée qui persistent pendant des années dans ou sur les surfaces poreuses, même si l’odeur est dissipée depuis longtemps. Certains composés, dits semi-volatils, peuvent être remis en suspension dans l’air intérieur et engendrer de nouveaux contaminants lorsqu’ils réagissent avec les agents oxydants présents en milieu intérieur (p. ex. : ozone).

Méthodologie

Pour effectuer cette revue, les auteurs ont d’abord entrepris des recherches dans six bases de données bibliographiques (MEDLINE, Cochrane Database of Systematic Reviews, Embase, PsychINFO, CINAHL et HTA) à l’aide de mots clefs (langage naturel et MESH) élaborés avec l’appui d’un spécialiste en recherche documentaire. Pour être considérés, les articles scientifiques devaient être publiés avant le mois d’octobre 2017, être rédigés en anglais ou en français et contenir des données originales. Une analyse rigoureuse des résumés, puis des textes intégraux a été effectuée en parallèle par deux personnes. Les études retenues devaient traiter de cas humains, être fondées sur des devis de type in vivo ou in vitro et rapporter des données quantitatives originales. Trois types de résultats ont été retenus dans la foulée de la réalisation de cette revue : I) la présence de cannabinoïdes (et de métabolites) dans les fluides corporels; II) les effets psychoactifs autodéclarés; ainsi que, III) les effets irritants et les inconforts oculaires.

Résultats

À partir des 1 701 résumés identifiés par le biais de la recherche documentaire, l’analyse du texte intégral de 60 articles scientifiques a permis d’en retenir 15 qui répondaient aux critères d’inclusion et qui contenaient des informations jugées pertinentes. Suite à l’application des critères de Downs et Black, les auteurs ont déterminé que ces documents regroupaient à la fois des articles de bonne et de moins bonne qualité, mais ceux-ci ont tout de même été considérés aux fins de l’analyse. De façon plus spécifique, les 15 articles retenus portaient sur des études expérimentales réalisées en milieux contrôlés en évaluant les effets physiologiques ou psychologiques chez des individus non-fumeurs de cannabis. Toutes ces études portaient sur les effets de la fumée secondaire de cannabis uniquement et traitaient des effets à court terme (observés à l’intérieur d’une période de moins de 24 heures suivant l’exposition). Aucune étude portant sur les effets de l’exposition à la fumée tertiaire de cannabis n’a été recensée dans le cadre de cette revue.

Trois des études recensées ont évalué les concentrations de tétrahydrocannabinol (THC) dans la salive. Des concentrations non négligeables de cette substance ont été mesurées dans la salive de tous les participants (fumeurs et non-fumeurs de cannabis). De façon similaire, six études ont rapporté des concentrations de THC dans des échantillons sanguins de participants fumeurs et non-fumeurs de cannabis. Bien que ces concentrations étaient plus élevées chez les fumeurs de cannabis, les non-fumeurs exposés à la fumée secondaire avaient des concentrations bien au-dessus des seuils de détection. Une de ces études révélait que la concentration en THC de la marijuana consumée (variant entre 5,5 % et 11,3 %) n’était pas corrélée aux concentrations de métabolites sanguines des participants fumeurs, ou non-fumeurs exposés uniquement à la fumée secondaire. Enfin, neuf études portaient sur la présence de métabolites de THC dans des échantillons d’urine. Dans ce cas, les chercheurs ont constaté que la concentration en THC de la marijuana consumée était corrélée à la concentration de métabolites de THC dans l’urine des participants. Il est à noter que les résultats des deux études répertoriées traitant de l’influence de la ventilation (naturelle et mécanique) ont montré que les concentrations de métabolites de THC tant urinaires que sanguines étaient généralement moins élevées chez les participants exposés à la fumée secondaire dans un milieu bien ventilé ou qui contenait moins de fumeurs actifs de cannabis.

Deux études ont évalué les effets psychoactifs ressentis par les non-fumeurs exposés à l’aide d’un questionnaire validé ou de perceptions auto rapportées. Dans ces études, les fumeurs et les non-fumeurs exposés à la fumée secondaire rapportaient des effets psychoactifs similaires, mais les effets rapportés étaient plus faibles chez les non-fumeurs. Il est également à noter que tous les participants de la seule étude répertoriée traitant des effets irritatifs de la fumée secondaire, ont rapporté des inconforts et des irritations oculaires.

Synthèse des résultats 

Substance ou paramètre évalué

Matrice biologique

Principaux résultats

THC

Salive

Retrouvés chez les fumeurs et non-fumeurs exposés à la fumée secondaire

THC et métabolites de THC

Sang

Retrouvés chez les fumeurs et non-fumeurs exposés à la fumée secondaire

THC et métabolites de THC

Urine

Retrouvés chez les fumeurs et non-fumeurs exposés à la fumée secondaire

THC et métabolites de THC

Urine
Sang

Influence notable de la ventilation, du nombre de fumeurs et de cigarettes de cannabis allumées sur la concentration des substances recherchées dans les matrices biologiques des non-fumeurs exposés à la fumée secondaire

Effets psychologiques

 

Patron d’intoxication similaire chez les fumeurs et non-fumeurs exposés à la fumée secondaire

Effets irritatifs

 

Retrouvés chez les fumeurs et non-fumeurs exposés à la fumée secondaire

Discussion et conclusion

Sur la base des résultats agrégés issus des études originales retenues, Holitzki et collaborateurs rapportent l’existence de certaines données démontrant qu’il est possible de détecter la présence de THC chez les individus non-fumeurs exposés à la fumée de marijuana. L’ampleur de l’association est modulée par différents facteurs comme : la concentration en THC dans la marijuana consumée, le nombre de cigarettes de marijuana allumées, le nombre de fumeurs présents dans la pièce, la concentration de fumée et l’intensité de la ventilation. Aucune donnée probante concernant les effets observés chez les fumeurs occasionnels ou découlant d’exposition chronique à la fumée secondaire et tertiaire de cannabis n’a pu être compilée. Mentionnons également que les études analysées couvrent une période de 40 ans (1977 à 2017), au cours de laquelle la concentration de THC pourrait avoir changé, et que les études portent sur un petit nombre de participants.

En accord avec les résultats des études répertoriées, les auteurs de la revue de littérature soutiennent que l’exposition à la fumée de marijuana peut engendrer la présence de métabolites de cannabinoïdes dans les fluides corporels des non-fumeurs. Les auteurs soulèvent l’hypothèse que la légalisation du cannabis à des fins récréatives pourrait contribuer à ce qu’une plus grande fraction de la population soit exposée aux substances actives issues du cannabis. Par ailleurs, l’harmonisation des politiques publiques et des règlements sur le tabagisme et le cannabis pourrait s’avérer efficace pour réduire l’exposition populationnelle à la fumée provenant de la combustion du tabac et du cannabis. Selon les auteurs, la mise en place de politiques publiques visant à limiter l’exposition des enfants, des travailleurs, et de toutes personnes ne souhaitant pas être exposées à la fumée secondaire de cannabis s’avère opportune. De même, les résultats de cette revue de littérature démontrent que l’application de seuil pour la détection de la conduite automobile avec les facultés affaiblies (p. ex. : 5 ng/L de sang ou 10 ng/L d’urine) devrait considérer le fait qu’il soit possible de détecter de faibles quantités de THC dans la salive, le sang et l’urine des non-utilisateurs exposés.

Dans ce contexte, il s’avère nécessaire de poursuivre les recherches afin de mieux comprendre les effets à long terme pouvant être induits par l’exposition à la fumée secondaire de cannabis, afin de préparer de meilleurs politiques de protection de la santé publique et de meilleures pratiques de gestion en ce qui a trait à l’exposition indirecte à la fumée de cannabis.

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