27 juin 2019

Les composés organiques volatils dans les résidences canadiennes : volatils, mais pas futiles!

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Ce document ne peut donc pas être considéré comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Axelle Marchand
M. Sc., conseillère scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie
Patrick Poulin
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec

Li Y, Cakmak S, Zhu J. Profiles and monthly variations of selected volatile organic compounds in indoor air in Canadian homes: Results of Canadian national indoor air survey 2012–2013. Environ Int. 1 mai 2019;126:134-44.

Mise en contexte

La présence de composés organiques volatils (COV) en milieu intérieur demeure, comme plusieurs autres polluants, un important facteur de dégradation de la qualité de l’air intérieur. Comme leur nom l’indique, les COV regroupent une variété de molécules de faible poids moléculaire formées d’un ou de plusieurs atomes de carbone (excluant le monoxyde et le dioxyde de carbone) qui s’évaporent rapidement à température et à pression ambiantes. Les concentrations de COV sont fréquemment plus importantes dans les bâtiments que dans l’air extérieur en raison de la présence de nombreuses sources d’origine domestique. Combinés au fait que la population canadienne passe la majeure partie de son temps à l’intérieur, les enjeux associés à l’exposition des occupants aux COV apparaissent d’autant plus préoccupants. Parmi les sources de COV les plus communes en milieu intérieur, il faut noter les matériaux de construction, les meubles, le chauffage au bois, la cuisson, les assainisseurs d’air, les produits personnels et de nettoyage ainsi que la consommation de tabac et de cannabis. Le corps humain, à l’instar de la majorité des organismes vivants, émet lui aussi, en moindre quantité, certains COV dans son environnement immédiat. Ces sources émettent également d’autres polluants qui s’ajoutent à la problématique de l’exposition aux COV.

Les inquiétudes des autorités sanitaires quant à la présence des COV en milieu intérieur se basent sur les risques à la santé pouvant découler d’une exposition chronique à de telles substances, même à de faibles concentrations, et qui varient de façon importante en fonction des substances retrouvées. Selon le type d’exposition et les voies d’exposition considérés, les atteintes à la santé peuvent être multiples, allant d’une légère irritation des muqueuses respiratoires à une toxicité hépatique ou rénale, voire au développement de cancers. Les effets sanitaires découlant d’une exposition prolongée à de très faibles concentrations demeurent cependant méconnus, en grande partie à cause du manque de données probantes relatives aux concentrations retrouvées dans les milieux intérieurs résidentiels.

Un article publié récemment par un groupe de chercheurs de Santé Canada présente les résultats d’analyse de plusieurs COV mesurés lors de la campagne d’échantillonnage de 2012-2013 dans le cadre de l’Enquête canadienne sur les mesures de santé (ECMS) dans l’air intérieur des résidences. Les objectifs de cette étude étaient :

  1. de rapporter les concentrations de COV mesurées dans les résidences canadiennes;
  2. de comparer ces résultats à ceux de la période 2009-2011 et;
  3. d’évaluer les variations mensuelles de la concentration de ces composés dans l’air intérieur.

Méthodologie

Afin d’obtenir un échantillon représentatif de la population canadienne, 16 sites d’échantillonnage (points géographiques déterminés aléatoirement dans un rayon donné) ont été sélectionnés dans 5 régions du pays : 2 sites dans les provinces de l’Atlantique, 4 sites au Québec, 6 sites en Ontario, 2 dans les Prairies et 2 en Colombie-Britannique. Des examens de santé ont également été effectués auprès des occupants de chacun des sites à l’aide d’un centre médical mobile. Les habitations ont été désignées au hasard dans un rayon de 50 km du centre médical mobile pour les zones urbaines, et dans un rayon atteignant 100 km de ce même point pour les zones rurales. Un tube à désorption thermal a été remis à chaque représentant des ménages sélectionnés, puis installé par ce dernier dans la salle familiale de la résidence selon les directives convenues pour une période de 7 jours, de façon à prélever passivement des échantillons de COV.

L’échantillonnage a été mené au cours de diverses saisons afin de caractériser la variabilité temporelle des concentrations de COV au regard des différentes saisons. Les composés d’intérêt ont été analysés à l’aide d’un spectromètre de masse (GC-MS) dans les 72 heures après leur arrivée au laboratoire. Les échantillons pour lesquels des informations contextuelles étaient manquantes ou inadéquatement compilées par les occupants des résidences investiguées ont été exclus. Les composés les plus fréquemment identifiés dans le cadre de l’étude menée de 2009 à 2011 ont été retenus comme variables d’intérêt pour la seconde étude réalisée en 2012-2013.

Résultats et discussion

Concentrations mesurées dans les milieux résidentiels canadiens

Au total, 88 COV ont été mesurés dans 3524 résidences sur une période de 24 mois (2012-2013). Plus de la moitié des composés analysés (soit 55 sur 88) ont été détectés dans plus de 50 % des résidences. Parmi les composés dont les concentrations rapportées sont les plus élevées, plusieurs d’entre eux sont susceptibles de provenir de produits cosmétiques (parfums, désodorisants, etc.). Ces résultats renforcent l’idée que les activités des occupants influencent fortement la présence des COV dans l’air intérieur. De plus, 96 % des corrélations (présence simultanée) évaluées par le test de Spearman entre ces 55 composés se sont avérées significatives. Ce résultat peut notamment s’expliquer par la présence de sources communes (ex. matériaux de construction), mais aussi par les sources situées dans l’environnement limitrophe du bâtiment; les échanges d’air entre l’intérieur et l’extérieur des bâtiments résidentiels joueraient d’ailleurs un rôle significatif sur l’apport concomitant de contaminants de source extérieure et la dilution de contaminants de source intérieure.

Évaluation des risques

Les organisations sanitaires compétentes ont proposé des valeurs de référence en milieu résidentiel pour un très faible nombre de COV. Par conséquent, les auteurs de cette étude n’ont été en mesure de se prononcer que sur l’ampleur du risque occasionné par les expositions résidentielles à un nombre réduit de contaminants. Le tableau 1 rapporte les concentrations de certains composés pour lesquels un dépassement des limites d’exposition a été observé.

Tableau 1 - Comparaison entre les valeurs guides et les concentrations de certains COV mesurés dans l’ECMS

 

OMS

Anses

Santé Canada

U.S. EPA

Allemagne

Concentrations mesurées
dans l’ECMS

Benzène

Pas de niveau sécuritaire

10 μg/m3
(˃ 1 an)

Aussi bas
que possible

Pas de niveau sécuritaire

 

1,05 μg/m3 (50e percentile)

14,1 μg/m3 (99e percentile)

Naphtalène

10 μg/m3
(24 h)

10 μg/m3
(˃ 1 an)

10 μg/m3
(24 h)

3 μg/m3
(24 h)

10 μg/m3

6,74 μg/m3 (95e percentile)

33 μg/m3 (99e percentile)

Xylènes (mélange)

 

 

180 μg/m3
(24 h)

100 μg/m3
(24 h)

100 μg/m3

109 μg/m3 (99e percentile) pour
m-xylène et p-xylène et 40,6 μg/m3 (99e percentile) pour o-xylène

Alpha-pinène

 

 

 

 

200 μg/m3

221 μg/m3 (99e percentile)

OMS : Organisation mondiale de la Santé; Anses : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail; U.S. EPA : United States Environmental Protection Agency; Allemagne : German Committee on Indoor Guide Values.

Il est intéressant de souligner que les valeurs rapportées pour le 99e percentile dépassent les valeurs guides recommandées par différentes agences gouvernementales de santé pour les substances présentées au tableau 1. En plus des composés présentés au tableau 1, le ministère de la Santé, du Travail et du Bien-être du Japon recommande une valeur limite de 41 μg/m3 pour le nonanaldéhyde. Dans l’ECMS, la concentration évaluée pour ce contaminant correspondant au 99e percentile est de 59,3 μg/m3. Ensemble, ces informations suggèrent que 1 % des habitants au Canada sont exposés à des concentrations de COV (celles du tableau 1 et le nonanaldéhyde) pouvant présenter des risques à la santé. En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) associe une valeur de 0,2 μg/m3 de benzène à un risque de développer un cancer équivalent à 1 chance sur 1 million (1 x 10-6). La concentration de benzène rapportée dans la présente étude pour le 5e percentile est de 0,24 μg/m3, ce qui suggère que plus de 95 % de la population canadienne est exposée à un risque d’ampleur comparable.

Comparaisons avec l’étude de 2009-2011

Lors de la phase d’échantillonnage de 2009-2011, 44 des 55 principaux composés identifiés dans l’ECMS avaient également été mesurés. Des concentrations moyennes (géométriques) semblables ont été déterminées pour une grande majorité des composés. Le délai rapproché entre les deux études peut expliquer l’absence d’une évolution temporelle significative. En comparant les valeurs obtenues dans les maisons unifamiliales et celles obtenues dans les appartements d’immeubles à logements, les mêmes observations ont pu être faites dans les deux études successives : les concentrations de la majorité des COV les plus fréquemment détectés sont plus élevées dans les maisons. De plus, les résidences occupées par au moins un fumeur présentaient des concentrations plus élevées de certains COV, dont plusieurs sont communs aux deux études. La prévalence de certains composés dans les maisons par rapport aux appartements pourrait s’expliquer en partie par la présence d’un garage attenant et l’entreposage de produits dans les maisons.

Variations saisonnières

En ce qui concerne les hydrocarbures aliphatiques et aromatiques (souvent co-présents dans l’essence et les solvants à base d’huile), leurs concentrations se sont généralement avérées plus élevées en hiver et en été, alors que la concentration des aldéhydes, des cétones et des alcools s’est révélée plus élevée en été et plus basse en hiver. Parmi les terpènes, le limonène était davantage présent dans l’air intérieur des habitations en saison hivernale, tandis que l’alpha-pinène était plus retrouvé en saison estivale. De plus, aucune corrélation n’a été observée entre les sites d’échantillonnage et les variations mensuelles. L’explication des différences spatiales s’est avérée plus difficile à articuler compte tenu du faible nombre d’informations assemblées au regard des sources potentielles. Il est également important d’interpréter ces résultats avec circonspection puisque les mesures hebdomadaires n’ont été effectuées qu’une seule fois dans chacune des habitations investiguées.

Conclusion

L’étude précédemment décrite permet de dresser un portrait des concentrations de COV retrouvées dans les résidences canadiennes. La comparaison des résultats obtenus lors de périodes d’échantillonnage distinctes met en relief la présence prépondérante de certains COV, et ce, particulièrement dans les maisons unifamiliales. L’analyse des variations mensuelles de ces COV suggère que ces dernières varient largement d’une classe de COV à l’autre, et même entre composés d’une même classe. Cette étude souligne l’impact de certains déterminants environnementaux et comportementaux sur les concentrations de COV dans l’air intérieur des résidences canadiennes, tels que le type d’habitation, le tabagisme et les variations saisonnières. Les résultats viennent également confirmer que la concentration de ces composés en milieu intérieur est en partie influencée par les activités des habitants, la présence de matériaux de construction émissifs et les dispositifs de ventilation en place.