9 avril 2014

Les matières dangereuses vues sous l’angle des activités industrielles et de transport

Résumé scientifique
Le texte qui suit est le résumé d’une publication scientifique (ou d’une étude) n’ayant pas été réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec. Cette analyse critique ne peut donc pas être considérée comme la position de l’Institut. Son objectif est de porter à l’attention des lecteurs des éléments récents de la littérature scientifique, et ce, sous un éclairage critique découlant de l’expertise des auteurs du résumé.
Auteur(s)
Leylâ Deger
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Lise Laplante
M.D., médecin-conseil, Institut national de santé publique du Québec
Rollande Allard
M.D., médecin-conseil, Institut national de santé publique du Québec

INTRODUCTION

Le 8 septembre 2010, un incendie se déclare dans un entrepôt d’engrais et de pesticides situé à Lévis. Les risques de propagation de l’incendie et la dispersion d’un panache de fumées toxiques entraînent l’évacuation d’une cinquantaine de personnes résidant à proximité afin d’assurer leur sécurité et de protéger leur santé. Plus récemment, le 6 juillet 2013, un train transportant du pétrole brut déraille dans la ville de Lac-Mégantic. Quelques instants après, plusieurs explosions se produisent et un incendie violent embrase le centre-ville. Cet accident ferroviaire a causé 47 décès et entraîné l’évacuation de milliers de personnes. Il a occasionné des dommages matériels importants. De plus, des répercussions sanitaires, psychosociales, environnementales et socioéconomiques se sont manifestées sur le territoire de Lac-Mégantic, de même que dans les régions limitrophes.

De tels événements ne surviennent pas fréquemment, mais ils mettent en évidence les risques reliés aux matières dangereuses (MD), notamment lorsque celles-ci sont utilisées, entreposées ou transportées de part et d’autre de secteurs habités. Ils soulèvent aussi des préoccupations au sein de la population et interpellent les autorités municipales, plusieurs ministères et organismes publics, ainsi que les entreprises privées concernées. Dans ce contexte, comment peut-on améliorer l’évaluation des risques associés aux MD pour en assurer une gestion plus efficace?

C’est précisément cette question qui a guidé la réalisation de l’ouvrage Stratégies logistiques et matières dangereuses, sous la direction de Nathalie de Marcellis-Warin, Martin Trépanier et Ingrid Peignier, chercheurs du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) et de l’école Polytechnique de Montréal. Paru à l’automne 2013, cet ouvrage constitue une synthèse des résultats de plusieurs années de recherches, et la mise en commun de l’expertise d’une vingtaine de chercheurs et de praticiens québécois et français. Il comprend notamment des données de première main, et propose une analyse et une réflexion approfondie des stratégies logistiques et des risques associés à la manutention, à l’entreposage et au transport des MD. Le présent résumé présente quelques faits saillants s’y rapportant.

LES ACTEURS CONCERNÉS PAR LA LOGISTIQUE DES MD EN QUELQUES CHIFFRES

Chaque année, au Québec et au Canada, des tonnes de MD aux propriétés inflammables, toxiques, corrosives, explosives et même radioactives sont fabriquées, manipulées, entreposées et transportées. Ces matières sont utilisées dans notre vie quotidienne dans divers secteurs de l’économie (agricole, commercial, industriel). Les principaux acteurs impliqués dans la logistique des MD sont les entreprises industrielles (sites fixes) et de transport. Voici quelques chiffres les concernant :

  • En 2007, 3 764 entreprises canadiennes possédaient des MD en quantité suffisante pour les déclarer à Environnement Canada en vertu du Règlement sur les urgences environnementales[1]. De ce nombre, 759 entreprises étaient situées au Québec, notamment le long de la vallée du Saint-Laurent.
  • Une enquête réalisée par le CIRANO, en 2008, a permis d’estimer que les classes de MD les plus représentées au Québec dans les sites d’entreprises industrielles sont les liquides inflammables, les matières corrosives et les gaz comprimés. Plusieurs classes de MD peuvent être présentes sur un même site.
  • D’après des données de 2008 de Transports Canada, le transport routier est le plus utilisé pour les MD (70 % du tonnage de MD). Il est estimé que les classes les plus transportées par route sont les liquides inflammables, les gaz comprimés et les matières corrosives.
  • En tout temps, la gestion des MD implique divers risques, tels que des défaillances du mode de transport ou du confinement, ou bien l’erreur humaine dont la contribution est estimée à 65 % au regard des accidents qui surviennent durant le transport des MD au Canada.

RÉSULTATS DE DEUX ÉTUDES RÉALISÉES AUPRÈS D’ENTREPRISES QUÉBÉCOISES

Deux enquêtes réalisées en 2008 et 2009 au Québec, par le CIRANO, ont permis de relever les stratégies logistiques des entreprises qui fabriquent, utilisent, entreposent ou transportent des MD sur le réseau routier. Ces enquêtes sont innovantes du fait qu’elles associent des éléments techniques (couverture géographique des activités, classe de matières dangereuses, pratique de chargement et déchargement, etc.) à des éléments organisationnels (formation, sélection des sous-traitants, préparation aux situations d’urgence, contraintes de la réglementation, etc.). Un total de 106 sites fixes et 211 transporteurs routiers y ont participé.

Les résultats suggèrent que certaines pratiques adoptées par les entreprises peuvent favoriser un transfert du risque relié aux MD des sites fixes où elles sont utilisées ou entreposées vers les activités de transport. En effet, pour se conformer aux lois et aux règlements en vigueur concernant l'entreposage de ces matières, en réponse à une croissance des activités de l’entreprise ou encore, dans une optique de gestion de type juste-à-temps, des entreprises choisiront d’avoir recours à des transports plus fréquents. De telles pratiques peuvent avoir des répercussions sur la santé et la sécurité de la population, particulièrement en cas d’accident impliquant des MD.

Aussi, les données recueillies montrent que les entreprises sous-traitent une partie de leurs activités reliées à la distribution des MD, particulièrement pour le transport (expédition et approvisionnement) et la manutention (chargement et déchargement) de ces matières. Quelques entreprises semblent assumer que la sous-traitance de ces activités peut les soustraire à leurs responsabilités en cas d’accident, ou encore de partager le risque associé à leur gestion. Autrement, les résultats montrent que certains responsables d’entreprises tendent à se désintéresser des risques relatifs aux MD une fois qu’elles ont quitté les sites sous leur responsabilité immédiate. Par exemple, peu d’entreprises réalisent des audits de sécurité auprès de leurs transporteurs, ce qui peut augmenter le risque encouru pour l’entreprise expéditrice. Dans un tel contexte, les auteurs soulignent qu’un travail de sensibilisation, de responsabilisation et d’encadrement peut bénéficier aux pratiques organisationnelles des entreprises.

En ce qui concerne les transporteurs routiers, les résultats montrent que les grandes entreprises ont adopté des pratiques de sécurité appropriées, et sont généralement conscientes des risques associés aux MD transportées. La gestion du risque semble plutôt constituer un défi pour les petites entreprises de transport ou celles qui en transportent peu souvent. Un autre constat est que la majorité des transporteurs croient qu’il y a plus de risque lors de la phase du transport, alors que les statistiques au Canada montrent que les accidents se produisent deux fois plus souvent lors du chargement et du déchargement des ces marchandises. Ces statistiques devraient être communiquées aux transporteurs afin de les sensibiliser aux risques réels.

QUELQUES PRÉCISIONS SUR LE CONTEXTE RÉGLEMENTAIRE

Les auteurs soulignent que les activités de manutention, d’entreposage et de transport s’inscrivent dans un système d'étiquetage et de classification nationale et internationale, de même que dans un cadre législatif et réglementaire parfois complexe.

Les organismes qui réglementent les activités reliées aux MD sont partagés entre les paliers municipal, provincial et fédéral de divers domaines d'expertise (transport, environnement, sécurité publique, santé ainsi que santé et sécurité au travail, ressources naturelles, etc.). À cette complexité s'ajoutent certaines zones d’ambigüité identifiées par les auteurs concernant l'application sur le terrain des lois et des règlements. Certaines concernent, par exemple, les appellations et les définitions utilisées (par exemple, le sens du terme « expéditeur » peut varier selon le contexte), alors que d'autres portent sur les exigences réglementaires qui s'appliquent.

UNE APPROCHE INTÉGRÉE DE LA GESTION DES RISQUES

Les entreprises qui utilisent, fabriquent, entreposent et transportent des MD sont exposées en tout temps à des risques pour chacune des activités impliquant des MD. Toutefois, les entreprises tendent à considérer la gestion logistique de leurs activités et la gestion des risques reliés aux MD de façon dissociée. Une approche globale, qui intègre la gestion de ces risques aux processus de décisions logistiques et d’opération, serait sans doute plus efficace pour prévenir et réduire les risques d’accidents impliquant des MD. De façon complémentaire, les auteurs présentent, dans cet ouvrage, les résultats d’autres thématiques de recherche (ex. : analyse de bases de données nord-américaines d’accidents, prise en compte du risque dans l’aménagement du territoire, etc.). Ils proposent aussi des applications concrètes en matière de gestion des risques reliés aux MD.

POUR EN SAVOIR PLUS (Référence principale)

DE MARCELLIS-WARIN, N., M. TRÉPANIER et I. PEIGNIER (2013). Stratégies logistiques et matières dangereuses. Presses internationales Polytechnique, Montréal. 293 p.


[1] En vertu du Règlement sur les urgences environnementales de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), les personnes et les entreprises sont tenues de déclarer, à Environnement Canada les substances toxiques ou dangereuses utilisées ou entreposées dont la quantité totale ou bien la capacité maximale du plus grand réservoir dans lequel la substance est entreposée atteint ou dépasse celle prescrite (ex. : pour le chlore, la quantité minimale est de 1,13 tonne métrique). Le texte complet de ce règlement peut être consulté à partir du lien suivant : laws-lois.justice.gc.ca/fra/reglements/dors-2003-307/TexteComplet.html.