12 juin 2019

Portrait des appels au Centre antipoison du Québec de 2013 à 2015 par catégorie de pesticides : pertinence et implications

Article
Auteur(s)
Véronique Fryer
M.D., CCFM, médecin résident en santé publique et médecine préventive, Université de Sherbrooke
Simon Beaudoin
Ph. D., agent de planification, de programmation et de recherche, Direction de santé publique de la Montérégie
Germain Lebel
M. A., M. Sc., conseiller scientifique, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie
Guillaume Bélair
Infirmier clinicien - Assistant du supérieur immédiat, Centre antipoison du Québec
Maude St-Onge
M.D., Ph. D., FRCPC, Directrice médicale du Centre antipoison du Québec, Clinicienne chercheuse, Université Laval, CHU de Québec
Évelyne Cambron-Goulet
M.D. M. Sc. FRCPC, médecin-conseil en santé au travail, Direction de santé publique de la Montérégie et Université de Sherbrooke
Huy Hao Dao
M.D. Ph. D. FRCPC, médecin-conseil en santé environnementale, Direction de santé publique de la Montérégie et Université de Sherbrooke

Résumé

Les appels au Centre antipoison du Québec (CAPQ) pour intoxications réelles ou suspectées aux pesticides sont publiés à l’Infocentre de santé publique en considérant différentes variables. Cependant, ces données sont regroupées sans tenir compte des différentes catégories de pesticides. Le CAPQ possède toutefois les données pour certaines de ces catégories. Cet article dresse le portrait des appels au CAPQ pour intoxications de 2013 à 2015 au Québec selon les trois catégories suivantes : insecticides, herbicides et fongicides. Les données d’appels impliquant les trois catégories de pesticides ont été extraites, cumulées séparément, puis exprimées en fréquence relative d’appels pour chacune des variables d’intérêt. Des différences par catégorie de pesticides ont été observées pour l’âge, le sexe, la voie d’exposition, la toxicité potentielle et le lieu de traitement. Il appert qu’un portrait par catégorie de pesticides est pertinent et utile pour mieux caractériser les intoxications aux pesticides au Québec et dégager certaines pistes d’intervention et de recherche.

Introduction

Les pesticides appartiennent à une famille hétérogène de substances chimiques, dont les trois catégories principales sont les herbicides, les insecticides et les fongicides (1,2). Ceux-ci sont surtout utilisés en agriculture et en milieu urbain (3). En 2017, 81,6 % des pesticides ont été vendus en milieu agricole, alors que 9,8 % et 8,6 % étaient respectivement vendus en milieu urbain ou pour d’autres milieux (voir tableau 1). En milieu agricole, les ventes étaient largement dominées par les herbicides (69,3 %), suivis de loin par les fongicides (13,2 %), puis les insecticides (10,3 %). Les ventes pour des usages domestiques en milieu urbain étaient quant à elles majoritairement composées des insecticides (59,8 %), des herbicides (41,1 %) et, dans une moindre mesure, des fongicides (2,3 %).

Tableau 1 — Domaines d’utilisation des pesticides selon le type de milieu

Les préoccupations sanitaires de l’exposition aux pesticides sont liées aux intoxications aiguës, mais également à une exposition à long terme. Une exposition aiguë aux pesticides peut engendrer des symptômes non spécifiques tels que des céphalées, des nausées, des vomissements, des dermatites ou de l’irritation oculaire (4). Le potentiel de toxicité aiguë des insecticides est par ailleurs généralement considéré plus important que pour les herbicides ou les fongicides. Par exemple, certains insecticides comme les organophosphorés et les carbamates ont une dose létale médiane plus faible étant donné leur capacité à bloquer rapidement l’acétylcholinestérase (5,6). Selon la littérature scientifique, une exposition chronique aux pesticides pourrait quant à elle mener au développement, entre autres, de cancers de la prostate et du pancréas, de lymphomes non hodgkiniens, de la maladie de Parkinson, de troubles de la reproduction et de troubles neurodéveloppementaux (7-11).

Les effets des pesticides sur la santé peuvent varier selon la formulation (ex. : poudre ou liquide), les propriétés toxicologiques des pesticides, l’interaction entre les différents pesticides lorsqu’il s’agit d’un mélange, le mode d’application, les voies d’exposition, le respect des mesures de protection, la nature des adjuvants dans la préparation commerciale, etc. (8,12). Quant aux voies d’exposition, elles peuvent être de différentes natures (ex. : orale, respiratoire, cutanée, oculaire) et concomitantes.

Les nourrissons et les jeunes enfants constituent une population plus vulnérable en raison de leurs caractéristiques physiologiques (absorption, distribution, métabolisme, excrétion) et comportementales (ex. : port des mains à la bouche, présence accrue au sol) (13,14). Les travailleurs, agricoles ou non, utilisant des pesticides sont aussi davantage susceptibles de subir une intoxication aiguë et chronique, surtout si l’organisation du travail est inadéquate, si des équipements d’application ou de protection individuelle sont mal décontaminés ou utilisés et si les mesures d’hygiène ne sont pas respectées (15,16). Les membres de la famille d’un travailleur agricole comptent aussi parmi les groupes de personnes pouvant être davantage exposés comparativement à la population en général, car le travailleur peut ramener des pesticides à son domicile (ex. : contamination des vêtements) et ainsi exposer indirectement son entourage (17).

Contrairement à la Californie, par exemple, le Québec ne dispose actuellement pas d’un système spécifiquement dédié à la surveillance des intoxications aux pesticides (18). Toutefois, comme d’autres centres antipoison ailleurs dans le monde, le Centre antipoison du Québec (CAPQ) reçoit des appels téléphoniques de cas réels ou suspectés d’intoxication aux pesticides. La collecte et l’analyse des données colligées lors de ces appels peuvent servir d’indicateur pour surveiller les intoxications aux pesticides au Québec. Ainsi, les appels au CAPQ pour intoxication aux pesticides, selon différentes variables (ex. : année, mois, région sociosanitaire, sexe, voies d’exposition, groupe d’âge, etc.), sont disponibles pour les intervenants du réseau de la santé et des services sociaux à l’Infocentre de santé publique du Québec (19). Contrairement au programme de surveillance américain, les données de l’Infocentre sont agrégées pour l’ensemble des pesticides, et non par catégorie (20,21). Le CAPQ possède toutefois les données pour les trois catégories de pesticides et sur la base d’une entente de collaboration, la Direction de santé publique de la Montérégie a pu accéder à ces données et en faire l’analyse.

Aucun portrait complet détaillé des intoxications par catégorie de pesticides ne semble avoir été établi récemment, tant au Canada, aux États-Unis qu’au Québec (20-25). Un tel exercice permettrait de mieux caractériser la situation des intoxications aux pesticides et d’orienter les actions futures en matière de prévention et de recherche.

Objectif

Comme le CAPQ possède des informations détaillées sur les intoxications par catégorie de pesticides au Québec, l’objectif de cette étude consistait à effectuer le portrait des appels au CAPQ pour une intoxication réelle ou suspectée pour chacune des principales catégories de pesticides (insecticides, herbicides, fongicides), et ce, en fonction des variables d’intérêt disponibles.

Méthodologie

Le CAPQ consigne chaque appel des demandeurs (citoyen ou professionnel de la santé) de façon manuscrite à l’aide d’une fiche standardisée. Par la suite, certaines informations prédéfinies sont saisies sur support informatique dans un registre nommé TOXIN et rendues disponibles pour des analyses quantitatives.

Les données extraites couvrent la totalité des appels consignés dans le registre TOXIN du CAPQ pour les années 2013 à 2015 inclusivement et impliquant des insecticides, des herbicides et des fongicides. La période choisie correspond aux années les plus récentes pour lesquelles les données par catégorie de pesticides étaient disponibles. Les appels provenant de l’extérieur du Québec ainsi que ceux pour des demandes de renseignement n’ont pas été considérés. Aux fins de cette étude, un appel correspond à une demande de renseignement lorsqu’il y a une demande d’information sur un ingrédient ou un produit sans qu’il y ait une exposition.

Sept variables d’intérêt sont définies et/ou saisies de la manière suivante dans le registre TOXIN :

  1. Les valeurs définies pour le groupe d’âge sont :
    0-5 ans, 6-12 ans, 13-49 ans, plus de 49 ans, adulte sans précision d’âge et inconnu.
  2. Les valeurs pour le sexe sont : féminin et masculin.
  3. La voie d’exposition est le mode de pénétration de la substance dans l’organisme. Les valeurs sont : orale (ingestion), inhalation, cutanée, oculaire, multiple, autre et inconnue.
  4. Le type d’exposition est la circonstance liée à l’exposition réelle ou suspectée aux pesticides. Les valeurs sont : involontaire, volontaire, toxicomanie, erreur thérapeutique, en milieu de travail, alimentaire, effet secondaire, autre et inconnu.
    • Les expositions en milieu de travail sont involontaires par défaut à moins que les notes de l’infirmière ou de l’infirmier statuent autrement.
    • L’erreur thérapeutique ne s’applique pas aux expositions aux pesticides, mais représente un type d’exposition possible dans les cas d’intoxication impliquant une médication.
  5. La toxicité potentielle découle du jugement du professionnel du CAPQ sur le risque associé à une situation d'exposition en prenant en considération toutes les variables ou les caractéristiques relatives à l'exposition (ex. : toxicité intrinsèque du produit, voie d’exposition, quantité ou dose) et à l'usager (ex. : âge, antécédents). Les valeurs sont : aucune, locale, potentiellement toxique et inconnue.
  6. L’évolution finale représente l’issue finale à la suite d’une exposition. Elle est basée sur la symptomatologie reliée à l’exposition ou à ses complications. Les valeurs sont : aucun effet, effet léger, effet modéré, effet sévère, décès, non toxique sans relance, effet clinique mineur possible sans relance, relance impossible potentiellement toxique, symptomatique non relié, confirmé pas d’exposition, décès plus ou moins relié (indirect).
  7. Le lieu de traitement est l’endroit où le traitement a eu lieu. Les valeurs sont : maison, hôpital et maison-hôpital lorsque le traitement a été amorcé à la maison et complété à l’hôpital.

À partir des données fournies par le CAPQ, un portrait descriptif des fréquences relatives d’appels a été effectué selon ces variables d’intérêt révélatrices de trois types d’information :

  1. Groupe d’âge et sexe : variables sociodémographiques;
  2. Voie d’exposition et type d’exposition : variables d’exposition;
  3. Toxicité potentielle, évolution finale et lieu de traitement : variables de présentation clinique.

Les fréquences relatives par catégorie de pesticides ont été calculées en utilisant le nombre d’appels pour la valeur de la variable d’intérêt (ex. : 0-5 ans; inhalation) et le nombre d’appels total pour la catégorie de pesticides (ex. : insecticides, herbicides et fongicides).

La formule suivante a été utilisée :

Fréquence relative par catégorie de pesticides (%)
= (Ʃn-VIcat-pesticides/ ƩN-totalcat-pesticides) x 100

où Ʃn-VIcat-pesticides est la somme du nombre d’appels pour la valeur de la variable d’intérêt de 2013 à 2015, inclusivement.

où ƩN-totalcat-pesticides est la somme du nombre d’appels pour la catégorie de pesticides de 2013 à 2015, inclusivement.

L’obtention, l’analyse et l’interprétation des données ont été réalisées avec l’accord du CAPQ. Aucune fiche d’appel ni aucune information nominale ou individuelle sujette à la confidentialité n’a été transmise par le CAPQ.

Résultats

De 2013 à 2015 inclusivement, le CAPQ a reçu 3360 appels en lien avec des intoxications réelles ou suspectées aux pesticides, dont la grande majorité a impliqué des insecticides (3040) et, dans une moindre mesure, des herbicides (240) et des fongicides (76). Au total, ces appels représentaient environ 4 % des 45 000 appels reçus pour la période investiguée au CAPQ. Les figures et les tableaux de cette section présentent l’ensemble des fréquences relatives d’appels au CAPQ par catégorie de pesticides selon ces variables : groupes d’âge, sexe, voie d’exposition, type d’exposition, toxicité potentielle, évolution finale et lieu de traitement.

La fréquence relative d’appels pour intoxication aux insecticides a été plus importante pour le groupe d’âge 0-5 ans (insecticides : 34,4 %; herbicides : 17,8 %; fongicides : 14,1 %). De manière intéressante, les fréquences relatives d’appels pour des intoxications aux herbicides et aux fongicides impliquant des personnes de 13 à 49 ans (insecticides : 35,7 %; herbicides : 47,7 %; fongicides : 49,6 %) et celles de plus de 49 ans (insecticides : 20,3 %; herbicides : 24,1 %; fongicides : 31,6 %) ont été les plus élevées en comparaison avec la fréquence relative d’appels pour des intoxications aux insecticides (voir figure 1).

Quant aux fréquences relatives d’appels selon le sexe, un peu plus de la moitié des appels pour intoxication aux insecticides, soit 52,7 %, concernait des personnes de sexe féminin. Une fréquence relative inverse a été observée dans le cas des appels concernant les herbicides et les fongicides, où 55,0 % et 61,8 % des appels ont impliqué des personnes de sexe masculin (voir figure 2). Le ratio hommes-femmes (H-F) a donc été plus élevé pour les fongicides (1,6), suivi des herbicides (1,2) et des insecticides (0,9).

Figure 1 — Fréquence relative d’appels au CAPQ par catégorie de pesticides selon le groupe d’âge, Québec, 2013-2015

Figure 2 — Fréquence relative d’appels au CAPQ par catégorie de pesticides selon le sexe, Québec, 2013-2015

La fréquence relative d’appels pour des intoxications pour une exposition par voie orale a été la plus élevée dans le cas des intoxications aux insecticides, soit de 39,4 %, alors que la fréquence relative des appels impliquant la voie cutanée a été plus importante dans le cas des intoxications aux herbicides, soit de 42,9 % (voir tableau 2).

De façon intéressante, la fréquence relative d’appels liés à une exposition oculaire a été plus élevée pour une intoxication aux fongicides, soit de 22,4 %, comparativement aux autres catégories de pesticides.

Pour le type d’exposition, les fréquences relatives d’appels concernant une intoxication involontaire ont occupé une plus grande part pour les insecticides, soit 91,1 %, alors que ces fréquences relatives étaient moins élevées pour les herbicides (78,3 %) et les fongicides (80,2 %).

Concernant le type d’exposition, la fréquence relative d’appels concernant des milieux de travail était moins élevée pour les insecticides (4,6 %) que celle pour les herbicides et les fongicides, soit respectivement de 19,2 % et de 18,4 %.

Dans la grande majorité des appels pour intoxication en lien avec les trois catégories de pesticides, l’exposition n’a pas entraîné de symptômes ou n’a entraîné que des symptômes locaux. De même, l’évolution finale a été plus souvent non toxique et sans relance pour les insecticides, comparativement aux deux autres catégories de pesticides (voir tableau 3). Bien que la très grande majorité des situations à l’origine des appels n’ait pas nécessité le recours aux services hospitaliers, une plus grande fréquence relative d’appels pour des intoxications aux fongicides avait comme lieu de traitement l’hôpital (30,0 %), alors que ces fréquences relatives ont été moindres dans le cas des intoxications aux herbicides (18,8 %) et aux insecticides (12,5 %).

Tableau 2 — Fréquences relatives d’appels au CAPQ par catégorie de pesticides selon la voie d’exposition et le type d’exposition, Québec, 2013-2015

Tableau 3 — Fréquence relative d’appels au CAPQ par catégorie de pesticides selon la toxicité potentielle, l’évolution finale et le lieu de traitement, Québec, 2013-2015

Discussion

Le portrait des appels effectués au CAPQ pour intoxication réelle ou suspectée à des pesticides est, au meilleur des connaissances des auteurs, le premier portrait nord-américain effectué par catégorie de pesticides, et ce, selon plusieurs caractéristiques (ex. : caractéristiques sociodémographiques, voies d’exposition, présentation clinique), dont certaines ont été peu ou pas explorées dans les études antérieures. Ce portrait a mis en lumière des différences parfois importantes dans les fréquences relatives d’appels au CAPQ entre les insecticides, les herbicides et les fongicides. Les variables pour lesquelles les différences de fréquences relatives d’appels étaient les plus marquées ont été le groupe d’âge, les voies d’exposition, le type d’exposition, l’évolution finale et le lieu de traitement.

Groupes d’âge

La plus grande fréquence relative d’appels pour des intoxications aux insecticides concernant les 0-5 ans, par rapport aux autres groupes d’âge, a aussi été observée dans la littérature (20, 21). Ce constat pourrait en partie être expliqué par la plus grande probabilité qu’ont les enfants de 0 à 5 ans d'être exposés aux insecticides lors de travaux d'extermination ou lors d'usages domestiques d'insecticides. De plus, les fréquences relatives d’appels au CAPQ rapportées pour ce groupe d’âge sont comparables à celles des centres antipoison américains pour l’année 2017 (insecticides : 29,1 %; herbicides : 18,6 %; fongicides : 16,9 %) (20).

Chez les adultes, une comparaison des données du Québec avec la littérature est difficile en raison des différences méthodologiques dans la catégorisation des groupes d’âge. Néanmoins, le portrait a permis de mettre en évidence des fréquences relatives plus importantes d’appels pour intoxication aux herbicides et aux fongicides impliquant des adultes. Ces fréquences plus élevées pourraient correspondre à des intoxications en milieu agricole, considérant que la main-d’œuvre pour ce secteur est majoritairement adulte et que l’utilisation d’herbicides et de fongicides est plus importante dans le domaine agricole. À la lumière d’un tel constat, des campagnes de prévention d’exposition ne devraient pas seulement viser les enfants de 0 à 5 ans, souvent priorisés, mais également inclure d’autres groupes d’âge ou populations cibles pertinentes, comme les travailleurs agricoles ou non agricoles.

Sexe

Dans le présent portrait, la fréquence relative d’appels au CAPQ concernant des intoxications aux insecticides a touché davantage des personnes de sexe féminin, ce qui diffère de données de 1988 du Centre anti-poison régional du Minnesota, où un ratio H-F de 1,3 avait été observé (21). Les résultats du portrait québécois sont comparables au portrait effectué au Minnesota en regard de la fréquence relative d’appels pour les herbicides, où une plus grande fréquence relative d’appels avait impliqué des hommes, avec un ratio H-F de 2 (21). Ce constat pour les herbicides pourrait concorder avec des intoxications en milieu agricole, considérant que la main-d’œuvre pour ce secteur est majoritairement masculine. Pour mieux comprendre la disparité hommes-femmes, il serait intéressant de détailler le ratio par groupe d’âge et par lieu d’exposition.

Voies d’exposition

Concernant les fréquences relatives d’appels selon les voies d’exposition, il existe des similitudes entre ce portrait québécois et un portrait de 1991 basé sur les données du Centre anti-poison régional du Minnesota (21). Dans les deux cas, les fréquences relatives d’appels pour intoxication aux insecticides par voie orale ont été les plus élevées, alors que celles pour intoxication aux herbicides par voie cutanée ont été prédominantes. Élément intéressant, la fréquence relative d’appels pour intoxication aux fongicides par voie oculaire a été la plus élevée dans le présent portrait. Une hypothèse pouvant expliquer cette prépondérance est que les utilisateurs de fongicides ne porteraient pas adéquatement l’équipement de protection oculaire.

Comme des renseignements au sujet du port d’équipement de protection individuelle ne sont actuellement pas colligés lors des appels au CAPQ, il est impossible de savoir si des intoxications via certaines voies d’exposition auraient pu être liées à des mesures de protection déficientes. Des enquêtes auprès de travailleurs et de non-travailleurs ont toutefois démontré un faible taux d’adhérence au port de gants, de lunettes de protection et de la protection respiratoire (26,27). Il est donc possible que certaines intoxications surviennent en raison de mesures de protection inadéquates ou absentes. Dans cette perspective, il serait utile de renforcer les campagnes de sensibilisation existantes auprès des travailleurs agricoles (ex. : Formation itinérante : protégez vos cultures, protégez votre santé de l’Union des producteurs agricoles).

Types d’exposition

Les données colligées par le CAPQ en regard du type d’exposition ont permis de connaître les fréquences relatives d’appels par catégorie de pesticides, dont l’intoxication est survenue en milieu de travail. Dans le présent portrait, les fréquences relatives d’appels pour des intoxications aux herbicides et aux fongicides dans ce milieu ont été plus élevées que celles pour des intoxications aux insecticides. L’importance du nombre d’intoxications en milieu de travail semble par ailleurs être appuyée par de plus grandes fréquences relatives d’appels pour ces deux catégories de pesticides pour les adultes et les personnes de sexe masculin, si on considère que la majorité des agriculteurs sont des hommes. Puisqu’aucune étude ayant effectué le portrait par catégorie de pesticides selon le milieu d’exposition n’a pu être identifiée, la comparaison avec les présents résultats n’a pas été possible.

Présentation clinique

La présentation clinique des intoxications peut être estimée à partir des informations tirées de la toxicité potentielle, de l’évolution finale et des lieux de traitement. Selon ces trois variables, il semble que les appels pour des intoxications aux insecticides correspondent à des cas dont la présentation clinique est moins sévère. Or, les insecticides correspondent souvent, mais pas toujours, à la catégorie de pesticides habituellement la plus toxique lors d’une exposition aiguë. Il est possible que ces résultats soient expliqués par une fréquence relative d’appels plus importante pour des enfants de 0 à 5 ans. En effet, les appels impliquant ce groupe d’âge peuvent davantage correspondre à des intoxications suspectées, plutôt que réelles, en raison des préoccupations des parents ou des barrières d’expression propres à ces âges (13,14).

Il est aussi intéressant d’observer des fréquences relatives d’appels plus élevées pour des intoxications aux herbicides et aux fongicides, dont la toxicité potentielle était locale et dont le lieu de traitement était l’hôpital. Cela suggère que ces deux catégories de pesticides, dont les niveaux d'exposition risquent d'être plus importants en milieu agricole, car elles y sont davantage utilisées, peuvent entraîner des intoxications relativement sévères et peut-être même davantage que les insecticides. Cette hypothèse est d’autant plus plausible que les fréquences relatives d’appels d’évolution non toxique sans relance ont été moins importantes pour les intoxications aux herbicides et aux fongicides, en comparaison des intoxications aux insecticides. Ces résultats suggèrent que la prévention des intoxications aiguës à ces deux catégories de pesticides est tout aussi importante que la prévention des intoxications aux insecticides.

Forces et limites des données du CAPQ pour établir le portrait des intoxications

Ce premier portrait québécois des appels au CAPQ, pour une intoxication selon les trois principales catégories de pesticides, a permis de mieux comprendre les impacts sanitaires associés à l’utilisation des pesticides, surtout des herbicides et des fongicides. Il importe toutefois de rappeler que les appels au CAPQ correspondent, par définition, à des intoxications réelles ou suspectées puisque les informations ne sont pas vérifiables (28), faisant en sorte qu’ils ne peuvent pas être utilisés pour établir la prévalence ou l’incidence des intoxications. À ce point de vue, puisque les appels colligés au CAPQ inclus les intoxications suspectées, les données ont l’avantage de favoriser la sensibilité dans l’identification des cas d’intoxications. Parmi les autres limites des données du CAPQ pour établir le portrait des intoxications, il faut souligner que les appels au CAPQ ne sont pas systématiques ou obligatoires et qu’il n’y a pas de suivi en fin d’épisode pour vérifier l’évolution ou la validité des informations fournies par l’appelant. En outre, des études américaines ont relevé certaines inégalités parmi les déterminants d’utilisation des centres antipoison, dont la race, l’éducation, la langue et la densité de population (29, 30), ce qui pourrait aussi être le cas au Québec. Enfin, une méconnaissance de l’existence du CAPQ et la sous-déclaration contribueraient aussi à la sous-estimation des cas d’intoxication par le biais des appels au CAPQ.

Toutes ces raisons font en sorte que l’utilisation de ce seul indicateur à des fins de surveillance ne permet pas d’établir un portrait précis et exhaustif des intoxications aux pesticides. Par conséquent, ce portrait pourrait être complété à l’aide des données du système MADO-Chimique concernant les maladies à déclaration obligatoire et de la banque MED-ÉCHO qui contient des données relatives aux séjours hospitaliers. L’intégration d’indicateurs supplémentaires et de sources de données additionnelles (ex. : fichier des hospitalisations ou des décès), comme dans le cas des systèmes américains de surveillance, pourrait ainsi contribuer à obtenir un portrait plus complet de la situation (31,32).

Il est pertinent de noter que, depuis le 6 février 2019, le CAPQ a déployé son nouveau système complètement informatisé de gestion de cas, appelé ToxiQC. Ce système permettra une extraction de données plus efficiente et précise par ingrédient actif associé à un code d’usage de l’American Association of Poison Control Centers (AAPCC) afin d’harmoniser les produits du CAPQ avec les quatre autres centres canadiens et les centres américains. En outre, le système ToxiQC permettra aussi de préciser le lieu d’exposition (domicile, lieu de travail, milieu de soin, école, restaurant, lieu public, centre d’hébergement de soins de longue durée [CHSLD], résidences privées pour personnes âgées, etc.), alors que l’ancien système TOXIN permettait seulement de trouver les intoxications en milieu de travail.

Enfin, il sera désormais possible d’accéder, via le portail de l’Infocentre de santé publique, aux données sur les intoxications aux pesticides selon la catégorie de pesticides, et non en un seul indicateur unique regroupant l’ensemble des pesticides. Cette nouvelle catégorisation sera rendue disponible dans les requêtes lors de la mise à jour des données des appels au CAPQ de 2013 à 2018 à l’Infocentre de santé publique (en utilisant les données de TOXIN, ainsi que les données ToxiQC par la suite).

Pertinence du portrait et pistes d’action

Le présent portrait par catégorie de pesticides renforce la notion que les données du CAPQ pourraient être utiles pour mieux caractériser les appels et ainsi aider à déterminer les facteurs de risque d'intoxication, à identifier les groupes plus vulnérables et à cibler les besoins en matière d’intervention de santé publique (ex. : campagnes de sensibilisation auprès des travailleurs et de la population, identification des stratégies de réduction d’utilisation des pesticides, développement de politiques et de cadres réglementaires) (33). Considérant les bonifications à venir du système du CAPQ par la mise en place de ToxiQC, l’utilité des données sera encore plus importante.

Afin de favoriser une plus grande utilité des données colligées lors des appels au CAPQ, de mieux comprendre les intoxications aux pesticides au Québec et d’établir des interventions mieux contextualisées, des informations supplémentaires devraient être recueillies si cela s’avère possible : ingrédients actifs, formulations des pesticides, lieux précis d’exposition (code postal, intérieur/extérieur, cuisine, garage, etc.), nature du travail (ex. : agriculture ou jardinage en milieu urbain), port des équipements de protection et contextes d’exposition (entreposage, zone traitée, application, gestion des contenants vides, dérive, etc.). Cette collecte plus élargie pourrait aussi s’avérer utile pour d’autres contaminants chimiques (ex. : monoxyde de carbone, plomb).

Certaines pistes d’action peuvent être dégagées à partir de l’analyse du présent portrait. En premier lieu, l’ensemble des acteurs interpellés par les pesticides, que ce soit en milieu agricole ou urbain, devrait poursuivre la réflexion sur le développement d’un système de surveillance intégré et systématique concernant les impacts sanitaires de l’exposition aux pesticides. Ceci est pertinent dans la mesure où les données du CAPQ représentent une source de données utiles, malgré les limites énoncées précédemment.

En deuxième lieu, selon les résultats obtenus dans ce portrait, une attention particulière devrait être accordée par le milieu de la recherche aux travailleurs manipulant des herbicides et des fongicides. En raison de différences dans le contexte d’utilisation et de la nature des produits, une évaluation spécifique à la réalité des travailleurs (ex. : formulation, mode d’application, travailleurs étrangers en milieu agricole) permettrait de développer et de mettre en œuvre des interventions préventives de santé publique mieux adaptées.

En dernier lieu, des portraits à l’échelle régionale ou locale permettraient de prioriser certaines interventions spécifiques ou de justifier l’adoption ou la modification de certaines dispositions réglementaires (34). Ceci est d’autant plus important que l’utilisation de pesticides, plus fréquente en milieu agricole, peut grandement varier d’une région à l’autre.

Conclusion

Ce premier portrait québécois des appels pour une intoxication par catégorie de pesticides a permis d’explorer les données disponibles et de dégager certains constats pertinents, dont notamment une plus grande sévérité de la présentation clinique des cas d’intoxication aux herbicides et aux fongicides. Une mise à jour de ce portrait au cours des prochaines années, la considération de nouvelles variables et des analyses statistiques pourraient s’avérer utiles et pertinentes afin de guider des interventions de santé publique et d’évaluer leurs impacts afin de réduire l’exposition de la population et des travailleurs aux pesticides.

Remerciements

Les auteurs souhaitent exprimer leur gratitude envers le Centre antipoison du Québec pour le partage, l’extraction des données et la contribution à la rédaction de cet article.

Pour toute correspondance

Simon Beaudoin
Direction de santé publique de la Montérégie
CISSS de la Montérégie-Centre
1255, rue Beauregard
Longueuil (Québec)  J4K 2M3
Courriel : [email protected]

Références

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