Les avertisseurs de monoxyde de carbone comme mesure de protection au Québec : état de situation et perspectives d'intervention

La présence de monoxyde de carbone (CO) dans l'environnement domestique est à l'origine de plusieurs épisodes d'intoxication et de décès chaque année au Québec. Depuis 20 ans, le ministère de la Santé et des Services sociaux et les directions de santé publique réalisent de nombreuses activités d'éducation et de sensibilisation afin de mieux faire connaître les dangers associés au monoxyde de carbone et en particulier, de faire la promotion des avertisseurs de monoxyde de carbone comme moyen de protection. Le Comité provincial sur la prévention des intoxications au monoxyde de carbone de la Table nationale de concertation en santé environnementale a été particulièrement actif pour assurer la continuité dans les interventions et la concertation entre les partenaires. Toutefois, étant donné le peu d'information quant aux effets réels des efforts déployés, le Comité a adressé une demande d'état de situation concernant spécifiquement l'utilisation de l'avertisseur de monoxyde de carbone au sein de la population et sur les facteurs en jeu dans son utilisation. L'objectif général consiste à améliorer la connaissance des facteurs déterminants l'acquisition, l'utilisation des avertisseurs de CO au sein de la population québécoise, et plus spécifiquement à :

  • Estimer la prévalence de sources potentielles de CO dans les résidences principales et secondaires québécoises et la proportion de ménages pourvus d'avertisseurs de CO pour le Québec;
  • Identifier les facteurs personnels et environnementaux qui renforcent, qui prédisposent ou qui facilitent l'acquisition d'un avertisseur de CO;
  • Suggérer des pistes d'intervention pour améliorer la prévalence d'utilisation des avertisseurs de CO au sein de l'habitation.

La démarche méthodologique adoptée a été guidée par l'approche du marketing social qui s'intéresse tout particulièrement à une meilleure compréhension du public visé par une intervention ayant comme objet l'adoption d'un comportement. Pour guider la segmentation en divers publics cibles en fonction des étapes du processus de décision, nous avons opté pour le cadre conceptuel développé par Weinstein et Sandman (2002).

Pour mener notre enquête, un sondage téléphonique, en français et en anglais, a été réalisé au printemps 2006 auprès de 2 938 responsables de ménages du Québec, divisé selon quatre strates géographiques. Outre les variables sociodémographiques et résidentielles, le questionnaire visait à identifier les sources potentielles d'exposition au CO ainsi que certains comportements à risque d'exposition, soit dans la vie courante ou lors de circonstances exceptionnelles. Le questionnaire visait aussi à recueillir des données sur les connaissances générales quant au CO lui-même, aux sources pouvant produire du CO, sur la perception du danger ainsi que sur les symptômes associés. Les représentants des ménages ayant une source potentielle d'exposition au CO avaient à se prononcer sur leur intention de se procurer un avertisseur de CO. D'autres questions visaient à dresser le profil particulier des ménages ayant une source potentielle de CO. Finalement, les facteurs incitatifs et les barrières à l'acquisition d'un avertisseur de CO ont été explorés alors que les préférences médiatiques ont été mesurées.

Étant donné la stratégie d'échantillonnage, une pondération a posteriori a été faite par expansion au nombre de ménages, selon leur taille pour chacune des strates géographiques, basée sur les données du dernier recensement canadien (2001). Ceci a permis que l'échantillon ait la même distribution pour ces caractéristiques que les ménages québécois, donc théoriquement représentatif de ces caractéristiques pour les 2 978 035 ménages du territoire étudié. Des analyses de régression logistique ont été réalisées afin d'établir les facteurs associés au passage des ménages d'une étape du processus de décision d'acquisition d'un avertisseur de CO à l'autre, tout en contrôlant pour les variables potentiellement confondantes. Le seuil de signification statistique a été fixé à 0,05 (5 %).

Les résultats montrent que pour la population prise dans son ensemble, la notoriété en lien avec le CO est élevée puisqu'une très bonne proportion de la population dit connaître le gaz (9 ménages sur 10). En revanche, la connaissance des sources de CO n'est pas suffisamment adéquate, car les sources mentionnées, tout en étant diversifiées, sont dans certains cas erronées. Quant aux symptômes, les résultats indiquent une bonne diversité de symptômes identifiés et une confusion avec ceux reliés à l'exposition à la fumée. Les mesures préventives identifiées sont elles aussi diversifiées, mais certaines sont erronées.

Pour la recherche d'informations sur la question du CO, les représentants des ménages mentionnent Internet dans une proportion de 55 %, suivi des services municipaux dans une proportion de 25 %.

L'exposition potentielle au CO dans l'environnement domestique touche une proportion de 55 % des ménages, soit près de 1 600 000 ménages. Le chauffage au combustible et la présence d'un garage attenant à la maison en sont les principales sources. Par ailleurs, 14 % des représentants des ménages ont mentionné avoir déjà adopté un comportement risqué soit lors de l'utilisation d'un véhicule ou d'un appareil à combustion dans un endroit clos ou encore par l'utilisation de divers appareils pouvant émettre du CO pendant une panne électrique. Ceci représente environ 425 000 ménages. Autant pour l'exposition potentielle au CO dans l'environnement domestique que pour un comportement risqué, des différences significatives au plan statistique sont notées entre les diverses strates géographiques ainsi que selon le statut de propriété et le type d'habitation.

Nos observations indiquent que 67 % des ménages ayant une source potentielle de CO n'ont pas d'avertisseur, ce qui représente un potentiel de 1 140 000 ménages non protégés. Les situations les plus problématiques sont les ménages chauffés au bois ou à l'huile. La présence d'un garage attenant à la maison et l'utilisation d'un abri temporaire durant la saison froide représentent aussi une situation potentielle d'exposition importante au CO. À ce constat, s'ajoute le fait que plusieurs ignorent qu'ils sont en présence de ces sources au sein même de leur espace domestique.

Il a été possible de diviser les responsables des ménages en fonction des stades de prise de décision menant à l'acquisition d'un avertisseur de CO. La proportion est de 10 % de représentants de ménage inconscients du problème, de 28 % qui n'y ont jamais pensé, de 18 % qui ne sont pas intéressés, de 14 % qui sont indécis et finalement de 30 % qui en possède un. Les connaissances, l'attitude face au danger et les facteurs influençant la prise de décision varient selon ces étapes vers une prise de décision.

Afin d'augmenter la proportion de ménages pourvue d'un avertisseur de CO, une stratégie de communication efficace devrait permettre de corriger les confusions de sens observées au niveau des connaissances rattachées au CO en s'associant à des partenaires « naturels » et considérés crédibles par la population et en utilisant des moyens de communication qui tiennent compte des préférences de la population (Internet par exemple). Le cheminement d'un stade à l'autre doit prendre en compte les différences observées entre les stades d'adoption du comportement en ce qui a trait au niveau de connaissances ou encore aux croyances face au danger. Le fait de rendre l'avertisseur de CO obligatoire représente l'argument massue pour l'ensemble des ménages (mentionné par 72 %) suivi de près par le fait qu'il soit recommandé par le service des incendies (60 %).

Les résultats obtenus dans cette étude sont toutefois encourageants et montrent qu'une bonne proportion de ménages qui est en présence d'une source de CO est sur le point de passer à l'action à condition d'accentuer auprès d'eux la croyance du danger réel représenté par le CO. L'augmentation graduelle de la proportion de détenteurs d'avertisseurs de CO pourra à long terme faire changer la norme sociale en regard de ce comportement, ce qui représenterait un pas décisif dans la bonne direction.

L'adoption de comportements imprudents lors de circonstances exceptionnelles telles que les pannes de courant doit également faire l'objet de messages spécifiques et répétés en temps opportun étant donné que ces situations, sans présence de source d'exposition potentielle au CO dans l'environnement domestique, ne nécessitent pas la présence d'un avertisseur de CO.

Basé sur les leçons tirées de l'expérience des détecteurs de fumée, il importe d'aller au-delà de la sensibilisation afin d'augmenter de manière substantielle le nombre de ménages bien protégés et de diminuer les problèmes d'intoxication au CO. Les évaluations disponibles nous indiquent que bien que la sensibilisation soit un moyen intéressant de favoriser l'adoption d'un comportement, son efficacité est relativement modeste. C'est pourquoi des stratégies parallèles qui visent les mesures environnementales sont à soutenir fortement. On peut penser par exemple à des dispositifs automatiques d'arrêt en cas de mauvais fonctionnement des appareils domestiques fonctionnant au combustible ou encore dans les voitures stationnaires lorsque le moteur fonctionne trop longtemps. La fiabilité des avertisseurs est à améliorer afin de réduire le nombre de personnes qui débranchent leur appareil trop sensible. Finalement, étant donné que le fait de rendre obligatoire l'avertisseur de CO semble l'argument le plus efficace, on doit viser l'adoption d'un tel règlement applicable auprès de personnes qui sont en présence d'une source domestique.

La promotion des avertisseurs de CO auprès de la population québécoise représente un objectif de santé publique identifié par le Programme national de santé publique. Cette étude fournit des données qui permettent de quantifier la situation et d'en faire un suivi régulier afin d'évaluer les efforts consentis au cours des prochaines années.

Auteur(-trice)s
Claire Laliberté
M. A., M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Suzanne Gingras
Institut national de santé publique du Québec
Marion Schnebelen
Institut national de santé publique du Québec et Ministère de la Santé et des Services sociaux
ISBN (électronique)
978-2-550-58684-5
ISBN (imprimé)
978-2-550-58683-8
Notice Santécom
Date de publication