Présence de fibres d'amiante dans l'air intérieur et extérieur de la ville de Thetford Mines : estimation des risques de cancer du poumon et de mésothéliome - Mise à jour septembre 2010

À l'automne 2007, l'Association des victimes de l'amiante du Québec (AVAQ) et le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs du Québec (MDDEP) publiaient des études sur les concentrations d'amiante mesurées dans l'air intérieur et dans l'air extérieur de Thetford Mines. Ces résultats ont incité les directions de santé publique de Chaudière-Appalaches et de l'Estrie à solliciter l'aide de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) pour la réalisation d'une évaluation du risque de cancer du poumon et de mésothéliome de la plèvre dans cette population.

Il existe deux familles d'amiante : les amphiboles (crocidolite, amosite, trémolite, actinolite et anthophyllite) et les serpentines (chrysotile). Les trois principales maladies associées à une exposition à l'amiante sont l'amiantose, le cancer du poumon et le mésothéliome de la plèvre et du péritoine. Le risque de mésothéliome de la plèvre attribuable à l'exposition aux amphiboles serait plus élevé que celui attribuable au chrysotile. De plus, le mésothéliome pourrait être provoqué par des expositions faibles et sporadiques à l'amiante, et la survenue d'amiantose est peu probable chez les individus exposés de façon non professionnelle aux concentrations d'amiante généralement présentes dans l'environnement. C'est pourquoi seul le risque associé aux deux cancers a été considéré.

L'évaluation du risque cancérigène à Thetford Mines a été réalisée selon deux approches. La première est tirée de la méthodologie proposée dans les lignes directrices pour la réalisation des évaluations du risque toxicologique pour la santé humaine du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS). Cette méthode s'appuie sur l'hypothèse que le risque est le même que l'on soit exposé à des amphiboles ou au chrysotile. Quant à la deuxième approche, elle se fonde sur le récent modèle de Berman et de Crump. Selon ce modèle, le risque associé aux amphiboles diffère de celui associé au chrysotile. Les deux démarches tiennent compte de la dose d'exposition moyenne à vie (somme de la dose d'exposition moyenne par inhalation d'air intérieur et de la dose d'exposition moyenne par inhalation d'air extérieur) et de facteurs de risque cancérigène propres à l'amiante.

La dose d'exposition pour l'air intérieur a été calculée à partir des concentrations provenant de l'étude de l'AVAQ. En 2003 et 2004, les auteurs de cette étude ont évalué les concentrations d'amiante dans l'air intérieur de 26 résidences de la ville de Thetford Mines. La plupart des fibres d'amiante détectées étaient des fibres de chrysotile, mais on a aussi identifié de l'actinolite et de la trémolite. Comme le recommande le MSSS, c'est la limite supérieure (LS) de l'intervalle de confiance à 95 % (IC 95 %) de la moyenne arithmétique des concentrations mesurées, qui est utilisée pour estimer l'exposition. Elle est de 0,0031 fibre/ml (f/ml). En ce qui concerne l'air extérieur, les résultats de l'étude du MDDEP, effectuée en 2004 dans l'air ambiant de la ville de Thetford Mines, ont été retenus. Des fibres de chrysotile et d'amosite ont été détectées dans les échantillons. La LS de l'IC à 95 % est de 0,0035 f/ml. À partir de ces deux séries de données, la dose d'exposition moyenne à vie est de 0,0031 f/ml.

Avec cette dose, selon la méthodologie des lignes directrices, l'excès de mortalité vie durant par cancer du poumon et par mésothéliome se situe entre 72 et 125 pour 100 000 personnes de Thetford Mines exposées continuellement à de l'amiante durant toute leur vie. L'excès de mortalité vie durant pour ces mêmes cancers, estimé à partir du modèle de Berman et de Crump, s'élève à 8,2 pour 100 000 personnes exposées continuellement durant toute leur vie à des fibres de chrysotile.

À titre comparatif, les risques associés aux concentrations en fibres d'amiante généralement trouvées dans l'environnement ont été calculés. Ils s'étendent de 0,46 à 7,1 pour 100 000 personnes selon l'approche utilisée (modèle de Berman et de Crump ou lignes directrices du MSSS).

La concentration moyenne en fibres d'amiante mesurée dans l'air intérieur des résidences de la ville de Thetford Mines est 1,7 fois plus faible que celle relevée dans 17 écoles du Québec, 1,4 fois plus faible que celle mesurée dans deux résidences touchées par la poussière engendrée par l'effondrement des tours du World Trade Center (WTC) quelques jours après les événements du 11 septembre 2001. Toutefois, la concentration moyenne en structures d'amiante est 232 fois plus élevée que le bruit de fond mesuré dans des appartements de New York. Enfin, la concentration moyenne d'amiante (structures ou fibres) dans les maisons de Thetford Mines est de 4 à 46 fois plus élevée que les concentrations moyennes relevées aux États-Unis dans des résidences et des édifices publics comprenant des matériaux contenant de l'amiante (MCA).

La concentration moyenne en fibres d'amiante mesurée par le MDDEP dans l'air extérieur de la ville de Thetford Mines est restée stable depuis 1997. Elle est cependant 215 fois supérieure à celle mesurée à partir d'échantillons prélevés dans l'ensemble des États-Unis et 7 fois plus élevée que la limite de détection de la méthode analytique utilisée pour mesurer les concentrations d'amiante en milieu urbain au Québec et à proximité d'une halde inactive de Tring-Jonction en 2004.

Finalement, parmi les quatre critères de qualité de l'air intérieur répertoriés, seul celui du WTC a été retenu (0,0009 fibre PCMe d'amiante/ml), car il est le seul qui a été déterminé en tenant compte des effets sur la santé. Dix-neuf pour cent des échantillons d'air intérieur de l'étude de l'AVAQ dépassaient ce critère. Lorsque plus de 10 % des échantillons dépassent le critère sélectionné, on considère qu'un impact sur la santé a pu survenir ou pourrait survenir. Aucun des critères de qualité de l'air extérieur relevés n'a été retenu.

Les résultats des évaluations du risque doivent être interprétés avec prudence, puisqu'elles comportent des incertitudes reliées, entre autres 1) à la détermination des risques unitaires vie durant, qui sont élaborés à partir des modèles de relation dose-réponse provenant d'études épidémiologiques menées auprès de travailleurs; 2) aux modèles statistiques utilisés pour l'extrapolation des résultats obtenus à partir de cohortes de travailleurs à une population exposée à de faibles doses dans l'environnement et 3) aux concentrations employées pour déterminer la dose d'exposition moyenne à vie à partir des études de l'AVAQ et du MDDEP. Ces incertitudes ont pu mener à une surestimation ou à une sous-estimation des risques calculés qu'il est difficile de quantifier.

Nonobstant les incertitudes et les limites citées plus haut, les résultats de l'évaluation du risque ainsi que l'analyse comparative des concentrations en amiante mesurées à Thetford Mines suggèrent un risque pour la santé attribuable à la présence d'amiante dans l'air de cette région. Les niveaux de risque estimés dans cette étude ne peuvent être extrapolés à l'ensemble de la population de Thetford Mines que dans la mesure où les concentrations provenant de ces deux sources de données sont représentatives des concentrations auxquelles est exposé l'ensemble de la population de la ville. Il serait indiqué de confronter le risque estimé selon les deux approches aux données épidémiologiques récentes sur le cancer du poumon et sur le mésothéliome de la plèvre à Thetford Mines pour « cerner » s'il y a une surestimation ou une sous-estimation du risque, même si les données épidémiologiques des années 2000 découlent d'une exposition s'étant déroulée des années 1960 aux années 1980 environ.

En terminant, il convient de souligner que, selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), il n'y a pas de preuve de seuil sécuritaire pour les effets cancérigènes de l'amiante et qu'un accroissement du risque de cancer a été observé dans des populations exposées à de très faibles concentrations d'amiante. Dans cette optique, il est souhaitable de réduire le plus possible l'exposition. Par conséquent, certaines mesures de contrôle doivent être envisagées telles que l'interdiction d'accès aux haldes ou encore l'arrêt de l'utilisation des résidus miniers aux fins de remblayage et comme abrasif ou autre. De plus, il serait indiqué de prendre de nouvelles mesures d'amiante dans l'air de Thetford Mines afin de surveiller l'exposition dans le temps, pour s'assurer qu'elle n'augmente pas.

Auteur(-trice)s
Marie-Hélène Bourgault
M. Sc., conseillère scientifique, Institut national de santé publique du Québec
ISBN (électronique)
978-2-550-61366-4
Notice Santécom
Date de publication