Enjeux liés au diagnostic et à la prise en charge initiale des enfants atteints de la fibrose kystique au Québec

L'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) s'est vu confier le mandat « d'évaluer les enjeux liés au diagnostic et à la prise en charge initiale des enfants atteints de la fibrose kystique (FK) au Québec » par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). La présente synthèse des connaissances vise à recenser les enjeux en lien avec le dépistage, le diagnostic et le traitement initial des patients qui sont cités dans la littérature et à décrire le contexte dans le but de proposer des pistes de solution adaptées aux réalités et aux enjeux québécois. Cette synthèse a été le document de référence employé lors du Forum délibératif sur la FK qui s'est tenu les 1er et 2 novembre 2011.

Méthodologie employée

La synthèse repose sur une revue de revues internationales ainsi que d'études primaires québécoises publiées depuis 1995 sur le dépistage, le diagnostic et le traitement précoces de la FK. Des données contextuelles québécoises ont également été obtenues auprès d'intervenants clés, des centres spécialisés en FK et de deux laboratoires. Des données additionnelles ont été fournies par Fibrose Kystique Canada (FKC). La synthèse a été revue par trois réviseurs externes et a été soumise à une révision en ligne. Tous les auteurs, membres du comité organisateur et réviseurs externes déclarent n'avoir aucun conflit d'intérêts.

En quoi la fibrose kystique est-elle un problème de santé?

La FK est une maladie autosomique récessive mortelle. Elle est causée par des mutations du gène CFTR qui sont à l'origine de sécrétions visqueuses nuisant au fonctionnement de certains organes, principalement les poumons, le pancréas, le tractus digestif et les glandes sudoripares. La FK est caractérisée par un large spectre de formes cliniques de gravité variable allant des formes les plus classiques avec une atteinte pulmonaire, une insuffisance pancréatique et une malnutrition, aux formes atypiques avec des manifestations moins sévères, parfois limitées à un seul organe. Le nombre de mutations CFTR connues s'accroît, mais il est difficile de prédire le pronostic et d'établir le plan thérapeutique sur la base du génotype. La mutation delF508 est la plus fréquente, y compris au Québec, mais des disparités régionales dans les profils génétiques sont observées et sont amplifiées par l'immigration.

La FK est particulièrement fréquente parmi les populations d'origine caucasienne, ce qui explique sa prévalence au Québec, de l'ordre de 4 cas/10 000 naissances (1989). La prévalence est plus élevée au Saguenay–Lac-Saint-Jean (SLSJ), avec près de 11 cas/10 000 naissances entre 1975 et 1995, en raison d'un effet fondateur. Les données de FKC recensaient 1 136 patients québécois en 2009, dont 36 nouvellement diagnostiqués durant l'année, et indiquaient que l'âge moyen au décès est passé de 18 à 34 ans entre1984 et 2009.

Quels sont les enjeux associés au diagnostic?

La non-spécificité des symptômes initiaux de la FK est souvent source d'errance diagnostique et, conséquemment, de coûts et d'anxiété parentale. Le test de sudation (TS) est l'examen diagnostique de référence. Toutefois, dans les cas ambigus (symptômes atypiques et/ou résultats du TS intermédiaires), une analyse moléculaire et, parfois, d'autres investigations peuvent s'avérer nécessaires. La pratique et l'interprétation du TS, ainsi que les protocoles diagnostiques à suivre dans les différents cas de figure, ont fait l'objet de guides de pratiques. Selon les données de 2009 de FKC, l'âge médian au diagnostic de la FK au Québec demeure relativement stable à 6 mois tandis que la moyenne d'âge au diagnostic a augmenté au fil du temps avec 31 % des patients diagnostiqués après un an. Cette évolution peut être liée à la détection de plus de formes atypiques et/ou à l'organisation des services. En effet, outre l'errance diagnostique, les données contextuelles révèlent l'existence de délais significatifs pour l'accès aux tests diagnostiques, l'obtention des résultats et, dans certains cas, la prise en charge par une clinique spécialisée. De plus, les protocoles diagnostiques sont variables parmi les centres spécialisés. Le TS est réalisé dans plusieurs laboratoires, sans standardisation des pratiques et de l'interprétation. Les analyses moléculaires réalisées dans le cadre d'un bilan diagnostique sont principalement effectuées dans un laboratoire, seul le séquençage complet du gène étant effectué hors Québec lorsqu'il est requis. Un autre laboratoire procède à la recherche d'un nombre limité de mutations fréquentes au Québec.

Quels sont les enjeux associés à la prise en charge initiale?

Le fardeau thérapeutique de la FK est lourd de la naissance au décès, aussi bien pour les patients que pour leurs parents et le système de santé. Bien qu'il n'y ait pas de traitement curatif, l'évolution des modalités thérapeutiques a permis d'améliorer les issues nutritionnelles et pulmonaires ainsi que la survie. Toutefois, la mise en évidence de plus en plus fréquente de formes atypiques contribue probablement à ce profil changeant. Le but du traitement est de : compenser l'insuffisance pancréatique et maintenir un état nutritionnel optimal; améliorer la fonction respiratoire et ralentir sa dégradation, notamment par le traitement précoce des infections bronchopulmonaires et la prévention des surinfections chroniques; et enfin, prévenir d'autres complications associées à la FK. La prise en charge comprend des services destinés à la famille, dont la formation pour prodiguer les soins à l'enfant, le conseil génétique, le dépistage en cascade, s'il est souhaité, et le soutien psychologique. Elle doit se faire dans un centre de soins spécialisé offrant une approche multidisciplinaire et un contrôle adéquat des infections croisées. La conformité aux lignes directrices est souhaitable tant pour les pratiques que pour l'organisation des services. La prise en charge est toutefois mieux établie pour les formes classiques qu'atypiques.

Au Québec, la majorité des enfants diagnostiqués sont pris en charge dans un des sept centres spécialisés pédiatriques qui suivaient chacun entre 9 et 203 patients en 2011. Les enjeux associés à l'organisation des services comportent : l'éloignement d'un centre de soins spécialisé en FK pour certaines régions; de possibles lacunes de la standardisation et de la conformité aux lignes directrices; l'absence de programme reconnu d'assurance qualité; l'absence de couverture par les assurances de certaines thérapies et la non-disponibilité de certaines ressources humaines dans les centres spécialisés ou à domicile.

Comment améliorer le diagnostic et la prise en charge initiale?

En l'absence d'un programme de dépistage néonatal (DN), même s'il existe un éventail de voies d'amélioration possibles, les deux avenues prioritaires pour le Québec sont de réduire les délais de la démarche diagnostique et d'améliorer les pratiques du TS. L'amélioration des connaissances des professionnels de la santé, surtout ceux de première ligne, et de celles de la population générale par rapport aux symptômes suggestifs de la FK pourrait réduire l'errance diagnostique. Pour le TS, il semble nécessaire de réduire les délais de réalisation et d'interprétation, et de standardiser les protocoles analytiques, voire même de limiter le nombre de laboratoires accrédités pour effectuer ce test.

Quels seraient les avantages potentiels du dépistage néonatal de la fibrose kystique?

Cinq provinces et deux territoires canadiens ainsi que plusieurs pays ont instauré un programme de DN de la FK. Toutefois, les bases de cette décision sont très variables et ne sont pas toujours transparentes. Rares sont les autorités qui ont évalué formellement l'utilité clinique du DN et, à notre connaissance, aucune n'a estimé a priori sa faisabilité et son acceptabilité. Les avantages du DN de la FK mis de l'avant incluent la réduction de l'errance diagnostique et la possibilité de commencer rapidement une prise en charge de l'état nutritionnel et pulmonaire ainsi que d'offrir aux parents un conseil génétique.

L'évidence appuyant les bénéfices du DN est limitée en raison de lacunes existantes dans les études primaires. Les rapports révisés dans le cadre du présent travail ont interprété de manière variable la qualité et les résultats de ces études. Des bénéfices du DN pour certaines issues cliniques, surtout la croissance et la survie, dans certains groupes de patients ont été recensés. La preuve directe soutenant un bénéfice du DN sur la fonction pulmonaire est très faible, sans doute en raison des paramètres disponibles pour la mesurer, surtout en bas âge. Les arguments en faveur d'une prise en charge pulmonaire précoce et préventive reposent essentiellement sur des preuves indirectes de nature physiopathologique, dont la qualité n'a pas été évaluée dans les revues systématiques.

De nombreux enjeux techniques, psychosociaux et organisationnels sont à considérer avant de prendre une décision quant à l'implantation d'un programme de DN. Les enjeux techniques résultent de la grande variabilité des protocoles (choix de tests biochimiques et/ou moléculaires, nombre d'étapes, valeurs seuils, panel de mutations recherchées, tests complémentaires) et de l'absence de consensus quant au meilleur protocole. Les protocoles avec analyses moléculaires augmentent le nombre de cas atypiques et équivoques repérés et détectent invariablement un certain nombre de porteurs, ce qui a des répercussions organisationnelles et psychosociales. Parmi les enjeux cliniques et psychosociaux figurent la prise en charge lourde et peut-être superflue des cas atypiques ou équivoques et l'anxiété induite par ces résultats ou les résultats FP. La confirmation diagnostique chez des enfants ayant eu des résultats faux négatifs au DN peut être compromise. Le dépistage d'enfants porteurs semble avoir des effets psychologiques qui, pour être minimisés, imposent une planification minutieuse des modalités de communication de l'information aux parents. Le consentement parental pour le DN est aussi débattu, surtout pour la divulgation du statut de porteur qui soulève des questions d'ordre éthique et juridique.

Quels seraient les critères de qualité et de succès d'un programme de DN?

Parmi les critères de qualité et de succès d'un programme de DN figure une planification minutieuse de toutes les étapes, avec identification en amont des acteurs et de leurs responsabilités en ce qui a trait à : l'information et la formation des professionnels de la santé; l'information à transmettre aux parents et le processus de consentement; les divers choix techniques en lien avec l'algorithme de DN; les protocoles de transmission des résultats, de confirmation diagnostique et de prise en charge des patients et des familles; les critères d'assurance qualité du programme de DN et son financement. Il faut réaliser, a priori, une estimation de la charge de travail et des coûts liés aux procédures diagnostiques et à leur standardisation, au suivi clinique, au conseil génétique et à l'assistance psychologique pour les familles, entre autres pour les FP, les cas atypiques et équivoques, et les porteurs. La standardisation de la communication de l'information et des procédures de diagnostic et de prise en charge dans les centres spécialisés, ainsi que leur conformité aux guides de pratiques et leur contrôle par des programmes d'assurance qualité font aussi partie des gages de succès du DN. Le respect des critères de succès n'offre cependant pas une garantie que les bénéfices du DN vont l'emporter sur ses risques, et un monitorage serré demeure requis. Rappelons que le travail effectué est de l'ordre d'un « scoping review » et qu'une revue plus spécifique de la performance des protocoles de DN et des enjeux psychosociaux mériterait d'être effectuée afin de compléter la réflexion sur la pertinence du DN de la FK au Québec.

Type de publication
ISBN (électronique)
978-2-550-66171-9
ISBN (imprimé)
978-2-550-66170-2
Notice Santécom
Date de publication