Projet de loi 88 : Loi sur le développement de l’industrie des boissons alcooliques artisanales - Mémoire déposé à la Commission des finances publiques

Dans le présent mémoire, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) examine le projet de loi 88, Loi sur le développement de l’industrie des boissons alcooliques artisanales. Certaines des modifications législatives proposées sont susceptibles d’avoir des implications sur la consommation d’alcool au Québec, et par extension, sur la santé de la population. L’INSPQ souhaite attirer l’attention de la Commission sur certaines de ces implications.

La consommation d’alcool représente un problème de santé publique au Québec

La consommation d’alcool est associée à environ 200 problèmes sociaux et de santé : des cancers, des maladies cardiaques et digestives, des problèmes de dépendance, des blessures, ainsi que des comportements violents et leurs conséquences.

Au Québec, on estime que les maladies et les traumatismes liés à l’alcool ont engendré 324 245 jours d’hospitalisation en 2002, dernière année où des données sont disponibles. Les coûts sociaux de l’alcool s’élevaient à plus de 3 milliards de dollars, dont 651 millions en soins de santé pour la même période. Ces coûts n’incluent pas les impacts chez les personnes qui sont victimes de la consommation d’alcool d’autrui. Or, la consommation annuelle d’alcool par habitant a augmenté depuis l’année 2000, passant de 8,0 litres d’équivalent d’alcool pur en 2004-2005 à 8,9 litres en 2011-2012 pour diminuer à 8,4 litres en 2013-2014. Cette quantité représenterait une moyenne d’environ 586 consommations d’alcool par personne par année parmi les buveurs d’alcool au Québec. La consommation excessive d’alcool chez les buveurs a également fait un bond durant cette période, passant de 18 % en 2000 à 23 % en 2011-2012.

Plusieurs moyens sont reconnus efficaces pour prévenir les problèmes liés à la consommation d’alcool

Monopole d’État

Le monopole d’État est une façon efficace de règlementer et de contrôler la consommation d’alcool et de diminuer ses méfaits. Il joue un rôle particulièrement important pour mettre en place des conditions de mise en marché qui reflètent que l’alcool n’est pas un produit ordinaire, par exemple des prix de vente élevés et d’autres mesures comme le respect de l’âge minimal légal et l’établissement des heures et des jours d’ouverture.

Limites à l’accessibilité économique à l’alcool

L’accessibilité économique est le principal déterminant de la consommation d’alcool et des problèmes connexes. Elle réfère à la capacité financière de se procurer ce produit et est déterminée par son prix et le pouvoir d’achat. Pour limiter l’accessibilité économique, trois moyens de fixation des prix sont bien documentés et font consensus chez les experts : fixer des prix minimums, ajuster les prix selon la teneur en alcool et ajuster régulièrement les prix à l’indice des prix à la consommation (IPC). Le Québec applique déjà une politique de prix minimum sur la bière, mais le vin et les spiritueux ne font pas l’objet d’une telle mesure.

Limites à l’accessibilité physique à l’alcool

L’accessibilité physique est également un déterminant important de la consommation d’alcool. Elle réfère au nombre de points de vente, pour emporter ou pour consommer sur place, ainsi qu’aux heures et jours d’ouverture de ces points de vente.

Certaines modifications législatives proposées dans le projet de loi 88 pourraient venir affaiblir le monopole d’État et les mesures relatives à l’accessibilité économique et physique de l’alcool.

Déjà partiel, le monopole d’État pourrait s’éroder en épargnant l’industrie des boissons alcooliques artisanales de certaines mesures. L’accessibilité économique serait augmentée s’il devient possible aux producteurs de boissons artisanales et, à long terme, à d’autres groupes de l’industrie de diminuer le prix des boissons alcooliques. En autorisant la vente de la bière par les producteurs artisanaux, le nombre de points de vente d’alcool pour emporter augmentera. De plus, appliquée telle quelle, la modification proposée pourrait entraîner un élargissement des heures de vente d’alcool pour emporter si les microbrasseries en vendent jusqu’à l’heure de fermeture des débits de boisson.

Recommandations

Afin de limiter l’impact du projet de loi 88 sur l’accessibilité économique et physique à l’alcool, l’INSPQ recommande les éléments suivants :

  • S’assurer que les prix des boissons alcoolisées artisanales, qu’elles soient vendues en épicerie ou directement par le producteur, demeurent à des niveaux comparables à ceux des produits de même type vendus à la SAQ.
  • Si une réduction ou une exemption de la majoration des prix est accordée aux boissons alcoolisées artisanales vendues en épicerie ou directement par le producteur, s’assurer qu’il s’agira d’une exception qui ne sera pas élargie au-delà de la production artisanale.
  • S’assurer que tous les modes de distribution, tels que la vente en ligne et les services de livraison, demeurent encadrés par les règlements notamment sur le prix et le respect de l’âge légal. S’assurer également de la mise en place de mécanismes pour contrôler le respect des règlements dans ces contextes.
  • S’assurer que la vente de bière artisanale pour emporter soit soumise aux mêmes règlements sur le prix minimum et les heures d’ouverture que la bière vendue dans les dépanneurs et épiceries.
  • Maintenir la proposition sur la distillation d’alcool artisanal qui assure une inspection de la qualité et la sécurité des spiritueux et n’en permettre la vente qu’à la SAQ.
  • Pour s’assurer que la loi ne produira pas d’effets indésirables sur la consommation d’alcool et la santé des Québécois, mettre en place un mécanisme de suivi de ses effets.

De façon globale, à l’instar d’autres provinces canadiennes et tel que proposé par des organisations internationales, l’INSPQ recommande au gouvernement d’envisager l’introduction de mécanismes de fixation des prix incluant des prix minimums pour l’ensemble des boissons alcoolisées vendues pour emporter ou pour consommation sur place. Cette mesure a l’avantage d’avoir des effets dissuasifs sur la consommation des buveurs excessifs et des jeunes, ceux qui sont le plus à risque de problèmes en lien avec leur consommation d’alcool.

De plus, l’INSPQ suggère au gouvernement de se doter d’une stratégie nationale sur l’alcool, tel que proposé par de nombreuses organisations internationales et au Canada.

Lien vers l'allocution : http://www.assnat.qc.ca/fr/video-audio/archives-parlementaires/travaux-commissions/AudioVideo-62923.html

Consultation sur le projet de loi n° 88 concernant l'industrie des boissons alcooliques artisanales

Consultation sur le projet de loi n° 88 concernant l'industrie des boissons alcooliques artisanales

Alain Poirier, Nicole April et Réal Morin, médecins spécialistes à l'Institut national de santé publique du Québec, se sont exprimés à l'Assemblée nationale, sur invitation de la Commission des finances publiques. Celle-ci s'est penchée sur le Projet de loi n° 88 - Loi sur le développement de l'industrie des boissons alcooliques artisanales. 
Consultez le mémoire déposé : https://www.inspq.qc.ca/publications/2098

Date de publication
Projet de loi 88 :  Loi sur le développement de l’industrie des boissons alcooliques artisanales - Mémoire déposé à la Commission des finances publiques
Auteur(-trice)s
Annie Montreuil
Ph. D., chercheuse établissement, Institut national de santé publique du Québec
Type de publication
ISBN (électronique)
978-2-550-75093-2
Notice Santécom
Date de publication