La vitesse au volant : son impact sur la santé et des mesures pour y remédier - Synthèse des connaissances

Le non-respect de la vitesse est un phénomène généralisé et non seulement réservé à un petit groupe délinquant : entre 50 et 80 % des conducteurs québécois enfreignent les limites légales. Le problème sévit autant en ville que sur les routes rurales et sur les autoroutes. Parler de vitesse excessive ne fait pas seulement référence aux grands excès ou aux grandes vitesses qui sont plutôt marginaux. La majorité du problème est due à des dépassements de vitesse moins grands, mais beaucoup plus fréquents.

Or, malgré l'émission croissante de contraventions pour vitesse au Québec, la perception du risque d'être arrêté reste faible. Et pour un risque comparable, peu d'interventions systématiques et soutenues ont été implantées à ce jour pour contrer la vitesse, comme ce fut le cas pour l'alcool au volant.

Enjeux pour la santé

La littérature mondiale a amplement démontré le lien entre la vitesse des véhicules à moteur et le risque de collision et de blessures. En réalité, la vitesse est en cause comme facteur contributif dans tous les cas de mortalité et de morbidité. Une loi de la physique explique ce fait : le transfert d'énergie absorbée par le corps lors de l'impact est la cause unique des traumatismes. La vitesse accroît la quantité d'énergie transférée et ce, de façon exponentielle.

Au Québec, le bilan annuel moyen des victimes de la route atteint environ 700 décès et 6 000 hospitalisations. La vitesse serait la cause directe de 30 à 50 % des collisions mortelles et de 25 % des collisions avec blessés graves. Par la seule mortalité, la vitesse créerait ainsi un déficit équivalent aux naissances de deux villes comme Rimouski et Drummondville.

Sur l'environnement, la vitesse accentue les effets pervers des polluants émis par le transport : les émissions des principaux contaminants ont augmenté dans l'air à la suite d'une hausse des vitesses pratiquées aux États-Unis.

De même, parce qu'elle crée de l'insécurité, la vitesse nuit à la pratique de la marche et de la bicyclette, reconnues pour leur effet protecteur au regard de plusieurs maladies chroniques.

Le choix de la vitesse : une responsabilité partagée

Plusieurs facteurs influencent le choix de la vitesse des conducteurs : le véhicule, l'environnement routier et les lois. Les fabricants sont autorisés à construire, à publiciser et à vendre des véhicules qui peuvent atteindre des vitesses bien supérieures à celles permises. L'aménagement de routes larges, rectilignes et sans obstacle favorise la vitesse. Des lois moins sévères et une application moins systématique que pour l'alcool au volant affaiblissent le message «nbsp;La vitesse tuenbsp;». Avec autant d'incitatifs à transgresser la loi, on laisse aux seuls conducteurs la décision de respecter la limite, sous peine de sanction. C'est ainsi que les vitesses pratiquées résultent d'une responsabilité partagée : entre l'État, qui édicte les lois et les normes, l'industrie et les usagers.

Les mesures pour y remédier

Dans l'approche de prévention des traumatismes, les actions prioritaires misent sur l'efficacité des interventions à empêcher, limiter ou atténuer l'accumulation et le transfert d'énergie. Parce qu'elles agissent dans ce sens, les améliorations techniques «nbsp;passivesnbsp;», (coussin gonflable, ceinture de sécurité, casque de vélo et de moto) ont le plus contribué à la réduction des victimes, selon le Conseil européen pour la sécurité dans les transports.

L'examen des interventions visant à réduire la vitesse et les traumatismes associés conclut dans le même sens.

Le limiteur de vitesse est considéré comme la technologie ayant le plus grand potentiel de réduction des vitesses et du nombre de victimes, dès que le parc automobile en sera équipé dans une bonne proportion. Il rendrait même caduques les autres mesures. Cependant, comme toute innovation, cette technologie doit faire l'objet d'une implantation progressive : en Angleterre et en Suède, on prévoit déjà qu'elle pourrait devenir obligatoire d'ici 10 à 15 ans.

Optimale, son efficacité repose sur sa capacité à réduire la vitesse sur l'ensemble du réseau routier et à toute heure, une fois implantée sur les véhicules. On lui impute aussi des effets positifs sur l'environnement grâce à une diminution estimée de la consommation d'essence et d'émission de polluants.

Favorables aux piétons et aux cyclistes, les mesures d'apaisement de la circulation incitent ou forcent le conducteur à ralentir par des obstacles physiques ou des aménagements. Largement implantée en Europe, cette approche appliquée en milieu urbain, a démontré des effets moins probants, mais positifs sur la sécurité et la réduction de la vitesse. Les carrefours giratoires et les dos-d'âne seraient parmi les mesures ciblées les plus efficaces : une fois installées dans un milieu donné, elles ne requièrent aucun renforcement (passives).

Mais avant tout, toutes les mesures s'appuient sur le choix des vitesses autorisées. L'expérience américaine et européenne a prouvé abondamment que les hausses de limites de vitesse influencent les vitesses pratiquées et le bilan des victimes. Inversement, l'abaissement des vitesses légales a un effet positif sur celles pratiquées, et sur le nombre et le taux de vies sauvées. Des vitesses crédibles incitent fortement les conducteurs à les respecter et pour ce faire, elles doivent être adaptées au milieu et à l'ensemble des usagers.

Par ailleurs, les mesures visant à modifier le comportement ont eu des résultats limités. Les campagnes de promotion et de sensibilisation, réalisées seules, ont un effet à court terme. Elles ne réussissent ni à augmenter le respect de la vitesse, ni à réduire le nombre de victimes.

Une forte évidence empirique a depuis longtemps démontré les effets préoccupants de cours de conduite et des programmes d'éducation à la conduite chez les nouveaux conducteurs. En incitant les jeunes à prendre leur permis plus tôt, ces activités augmentent leur exposition et leur taux d'implication dans les collisions et parmi les victimes. Ainsi, ces mesures doivent être exclues des actions d'une stratégie préventive.

Quant à l'efficacité des mesures de contrôle (surveillance policière ou automatisée), elle repose sur la perception du risque d'être arrêté. Pour modifier la vitesse et les blessures, il faut maintenir une grande intensité des activités de surveillance. Or, ces programmes coûtent cher et les effets restent limités dans le temps et aux sites de contrôles.

Le cinémomètre photographique (photoradar) amplifie la perception du risque d'être arrêté parce qu'il permet de détecter un grand nombre de contrevenants, à toute heure du jour ou de la nuit. Pour être efficaces, les sites doivent être choisis sur le critère de leur dangerosité associée aux vitesses pratiquées : sans quoi la mesure est discréditée parce que perçue comme une taxe destinée à remplir les coffres de l'État. De toute façon, une fois la mesure bien implantée, les bénéfices financiers s'amenuisent avec le temps.

Au-delà des mesures : une volonté gouvernementale

Au-delà des interventions précises pour lesquelles existent des données probantes, un constat plus général s'impose : les plus grandes réussites sur la diminution du nombre de victimes de la route appartiennent aux pays ayant retenu la vitesse comme une priorité équivalente à l'alcool. Des pays comme la Grande-Bretagne, la Suède, les Pays-Bas et l'Australie ont adopté une politique gouvernementale de sécurité qui repousse les seuils de mortalité évitable à leur plus bas niveau. Leur vision promeut la technologie comme un moteur pour atteindre des objectifs ambitieux et réalistes. Elle rééquilibre aussi l'importance de la sécurité par rapport aux dictats de la mobilité.

Les coûts humains, sociaux et économiques des traumatismes routiers justifient le choix des mesures les plus aptes à réduire le nombre de victimes associées à la vitesse. C'est aussi le leitmotiv du Programme national de santé publique.

À ce jour, la Politique québécoise de sécurité dans les transports 2001-2005 a inscrit des interventions qui ciblent surtout la modification du comportement (surveillance policière, cinémomètre, sensibilisation, sanctions et publicité), la définition de normes de l'aménagement routier et l'établissement de critères pour la détermination des vitesses sur le réseau. Or, afin de protéger la population au moindre coût, et sur la base de l'efficacité, tout examen attentif de la littérature devrait cibler les interventions s'appliquant à tous les véhicules en tout temps : les mesures passives. Les mesures physiques d'apaisement de la circulation peuvent être introduites à moyen terme dans un contexte d'expérimentation tandis que l'introduction de limiteurs de vitesse qui permettent de régler le problème à la source est envisageable à moyen et à long terme. À court terme, les solutions visant le comportement des conducteurs doivent être modulées selon les critères reconnus pour accroître leur efficacité.

Les orientations qui découlent de cet état des connaissances sont suffisamment claires pour susciter les meilleurs choix. Seule une perspective globale permet d'intégrer à la fois des objectifs de santé publique, de développement durable et de sécurité pour l'ensemble des usagers du réseau routier.

Cette plate-forme peut servir de base de discussion entre les acteurs qui partagent la responsabilité du problème et des solutions.

Une seconde. C'est le temps minimum qu'il faut au conducteur vigilant pour réagir à l'obstacle. 76 mètres. C'est la distance totale qu'aura franchie un véhicule avant de s'arrêter si le conducteur roulait à 100 km/h sur une chaussée sèche, et 165 mètres s'il roule à 130 km/h. Zéro. C'est la probabilité pour un piéton de survivre à un impact s'il a été frappé par un véhicule à 80 km/h. 708. Chaque année en moyenne, c'est le nombre de décès sur les routes du Québec soit l'équivalent des passagers de deux Boeing 747 ou du total des naissances des villes de Rimouski et Drummondville dans une année. 6 167. C'est le nombre de journées d'hospitalisation annuel moyen pour cette même cause. 30 à 50 %. Le rôle de la vitesse dans les collisions mortelles selon plusieurs experts dans le monde, ce qui en fait un facteur aussi important que l'alcool au volant. D'autant plus que le phénomène est répandu chez l'ensemble des usagers. 596 649. C'est le nombre d'infractions pour dépassement de vitesse au Québec en 2001, soit les trois quarts de toutes les infractions émises par les policiers. Un conducteur sur deux. Et même deux sur trois et trois sur quatre qui ne respectent pas les limites de vitesse autorisée selon le type de route au Québec. 95 %. C'est la proportion d'automobilistes qui considèrent sécuritaire leur vitesse personnelle. Faible. C'est la perception du risque de se faire arrêter pour dépassement de la vitesse chez les conducteurs québécois. 200 km/h. La vitesse maximale que peuvent atteindre plus de 50 % des véhicules construits et vendus aujourd'hui. L'énergie. Les lois de la physique montrent que le transfert d'énergie que subit le corps lors d'une collision est l'unique cause des décès et des blessures : avec la vitesse, le risque croît de façon exponentielle. Exiger du seul conducteur qu'il réfrène la puissance de son véhicule et se priver des moyens techniques, tel le limiteur de vitesse, pour réduire à la source ces décès évitables, équivaudrait à se priver d'un vaccin connu pour contrer une épidémie. Un fléau qui atteint surtout les adultes et les jeunes de la société québécoise.

Auteur(-trice)s
Diane Sergerie
Institut national de santé publique du Québec et Direction de santé publique de la Montérégie
Norman King
M. Sc., Direction de santé publique de Montréal
Louis Drouin
Direction de la santé publique de Montréal
Isabel Fortier
Génome Québec
Audrey Smargiassi
Institut national de santé publique du Québec, Direction de santé publique de Montréal et Centre de recherche Léa-Roback
Type de publication
ISBN (électronique)
2-550-46110-X
ISBN (imprimé)
2-550-46109-6
Notice Santécom
Date de publication