Changements climatiques au Québec méridional : perceptions des gestionnaires municipaux et de la santé publique

Dans le cadre des obligations canadiennes en vertu du protocole de Kyoto, le ministère Ressources naturelles Canada a coordonné l'Évaluation nationale des conséquences du changement climatique, laquelle doit être finalisée sous peu. Afin de contribuer à son volet santé, l'Évaluation nationale du changement climatique et de la santé, et à la mise en place des premiers jalons d'une adaptation aux conditions climatiques à venir, comme le prévoit le Plan d'action québécois sur les changements climatiques, la Direction des risques biologiques, environnementaux et occupationnels de l'Institut national de santé publique du Québec a proposé d'approfondir les connaissances entourant les vulnérabilités aux changements climatiques de la population du Québec méridional et d'évaluer sa capacité et celle de certaines institutions à atténuer les risques pour la santé associés à ces vulnérabilités.

C'est dans ce contexte que s'inscrit le présent rapport portant sur les principaux résultats (considérés selon une perspective théorique référant à l'apprentissage organisationnel) d'une recherche réalisée en 2005 parmi des gestionnaires municipaux (72) et de la santé publique du Québec méridional (n=58), dont l'objectif général visait à étudier l'interrelation entre la préoccupation des gestionnaires à propos des changements climatiques et de leurs impacts, et leur perception de l'importance de planifier des mesures d'atténuation ou d'adaptation pour contrer ou s'adapter à ces changements sur un horizon de dix ou vingt ans. Concrètement, il suggère diverses adaptations futures, dont certaines font déjà l'objet de recommandations à l'échelle nationale et internationale, après avoir apporté quelques éléments de réponse aux questions suivantes :

  • Quels sont les sous-groupes de personnes considérés par les gestionnaires comme étant les plus vulnérables aux changements climatiques, au plan socioéconomique, de la santé et de l'environnement, parmi la population de leur ville, municipalité régionale de comté ou région sociosanitaire?
  • Quelle est la perception des gestionnaires quant à la fréquence et la sévérité de ces changements dans leur région et au Québec? S'en préoccupent-ils?
  • Quels sont les impacts régionaux des changements climatiques appréhendés par les gestionnaires, notamment sur la santé, la sécurité civile, l'environnement bâti ou naturel, les infrastructures et l'économie?
  • Quelle est la perception des gestionnaires sur la nécessité de mettre en place, dans leur région respective, des programmes spécifiques d'intervention relativement à ces changements? Pourquoi sont-ils nécessaires?
  • Quelles actions, selon eux, ont déjà été entreprises dans leur région pour faire face à aux changements climatiques? Quels sont les acteurs-clés jouant actuellement un rôle dans ce dossier, sur le plan local, régional ou national, ou encore pouvant y contribuer éventuellement?

Très succinctement, tous les gestionnaires municipaux et de la santé percevaient des vulnérabilités déjà existantes sur leur territoire, qu'elles soient environnementales, socioéconomiques ou liées à la santé. De même tous ont relevé des impacts régionaux liés aux changements climatiques, soit sur la population générale ou sur des sous-groupes davantage vulnérables, soit sur l'environnement naturel ou bâti, soit sur les activités récréatives, sportives, ou touristiques, soit encore sur l'économie. Sur le plan régional, la perception de l'élévation à la hausse de la température moyenne était mitigée. Néanmoins, la majorité des gestionnaires jugeaient les hivers moins rigoureux qu'autrefois : la fréquence des pluies hivernales, ainsi que l'amplitude et le nombre de fluctuations des températures avaient augmenté; les tempêtes de neige et sa quantité au sol, diminué. Toujours à l'échelle régionale, l'augmentation de la fréquence et de la violence des événements climatiques extrêmes faisaient davantage consensus que le réchauffement de la température. On référait surtout aux épisodes survenant durant l'été et l'hiver, tout spécialement aux vagues de chaleur ou de froid, aux pluies diluviennes ou verglacées (incluant leurs impacts, telles les inondations), ainsi qu'aux grandes variations de température. Relevons qu'à l'échelle provinciale, les perceptions sur les changements climatiques ont été généralement de même nature qu'au plan régional, mais rapportées de façon plus affirmative.

Une forte majorité des participants croyaient que l'émergence des changements climatiques, avant tout d'ordre naturel, pouvait être accélérée par certaines activités humaines. Malgré cela, tous n'étaient pas persuadés d'assister présentement à de tels changements, ou encore ne leur attribuaient pas explicitement les événements climatiques extrêmes survenus sur leur territoire ou dans l'ensemble du Québec au cours des dernières décennies.

La plupart des gestionnaires municipaux et de la santé étaient cependant préoccupés par les impacts régionaux et provinciaux des changements climatiques sur un horizon de dix ans et presque tous les autres répondants, sur un horizon de vingt ans. De même, la majorité des gestionnaires ont relevé la nécessité d'implanter, au cours de la prochaine décennie, des programmes d'intervention en rapport avec les changements climatiques. Relevons toutefois que le déploiement, à ce jour, de mesures régionales d'urgence pour atténuer ou s'adapter aux changements climatiques était relativement petit, loin d'être uniforme à l'échelle provinciale, et essentiellement axé sur les vagues de chaleur.

Enfin, selon plusieurs participants, la responsabilité du dossier des changements climatiques incombait à tous les paliers de l'organisation politique, mais sa gestion devait être davantage attribuée aux instances régionales municipales et de la santé. Pour faciliter la mise en place d'une stratégie d'interventions portant sur les changements climatiques, il était par contre des plus souhaitables de lever certains obstacles, dont : l'ambiguïté du message des gouvernements supérieurs; l'absence de mandat définissant les responsabilités et rôles respectifs des instances décisionnelles; et le manque de soutien financier et technique, surtout pour les petites et moyennes municipalités, pour implanter des mesures d'atténuation et d'adaptation aux changements climatiques.

Concluons en proposant de mettre en place une stratégie d'interventions dites sans regret plus active et adaptée aux municipalités et aux agences de santé publique, et intégrant diverses méthodes déjà éprouvées pour prévenir la survenue des impacts négatifs des changements climatiques. Cette stratégie pourrait inclure les cinq volets suivants.

  1. Clarifier le mandat de la prise en compte des changements climatiques

Il s'avère primordial que les deux ordres de gouvernement, fédéral et provincial, émettent un message précis et cohérent en rapport avec les changements climatiques, incluant la définition explicite des mandats et des rôles des parties impliquées dans ce dossier. Cette démarche est une condition incontournable pour que les gestionnaires municipaux et de la santé publique se sentent avalisés d'aller de l'avant avec la mise en place de mesures concrètes et, s'il y a lieu, d'amorcer des processus internes pour développer des réponses novatrices à des situations inhabituelles. Afin de soutenir les gestionnaires, ce message devra vraisemblablement prendre la forme d'une obligation légale de tenir compte des risques climatiques dans le processus de prise de décision des Agences de santé et services sociaux, des municipalités et de certains ministères à l'échelle provinciale et fédérale.

  1. Profiter positivement du présent cycle d'investissement dans les infrastructures publiques

Afin d'offrir une meilleure protection à la fois pour la sécurité et la santé de la population québécoise, il apparaît impérieux de profiter positivement du présent cycle d'investissement dans les infrastructures publiques, en promulguant des normes et pratiques prenant en compte les impacts potentiels des changements climatiques. Emboîter le pas en profitant de cette occasion ne peut qu'avoir des effets bénéfiques pour les prochaines décennies.

  1. Adapter les normes, procédures et routines organisationnelles

Outre le soutien financier pour réparer ou renouveler les infrastructures, il serait parallèlement indiqué de d'adapter les normes, procédures et routines organisationnelles, notamment : en mettant sur pied des formations pour développer des compétences (p. ex. analyse de risque, incluant des cartes de zones à risque); en élaborant des protocoles d'interventions ou des guides structurés, facilement utilisables et accessibles; en créant des comités provinciaux ad hoc regroupant divers experts et gestionnaires ayant une expérience terrain et pouvant aider techniquement les régions moins fortunées aux prises avec une situation fortuite.

  1. Transférer et partager les connaissances plus efficacement

Il est probablement temps que les activités de recherche et développement, surtout menées jusqu'ici au sein du Consortium Ouranos, commencent à devenir plus disponibles sur le terrain. Ce transfert des connaissances faciliterait la prise de décision, la définition de normes et procédures utilisables localement par les organisations et les municipalités, à travers le Québec. Cette approche contribuerait certainement à lever la brume de haute technologie semblant entourer les sciences du climat dans l'esprit des gestionnaires. Ceci étant dit, plusieurs adaptations aux changements climatiques demeurent des types d'interventions que certaines autorités locales et régionales mettent déjà en oeuvre pour bien d'autres raisons. Le partage de ce «nbsp;savoir-fairenbsp;» indéniable serait un ajout significatif pour celles qui n'ont pas leur expertise ou leurs ressources.5. Sensibiliser la population sur les changements climatiques Pour supporter les gestionnaires au moment opportun, il est primordial que la population soit sensibilisée sur les enjeux actuels et futurs des changements climatiques. Un programme structuré, à long terme, et adapté à diverses clientèles constituerait une contribution des plus souhaitables.

 

Auteur(-trice)s
Diane Bélanger
Ph. D., Institut national de la recherche scientifique et Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec
Pierre Gosselin
M.D., MPH, Institut national de santé publique du Québec, Institut national de la recherche scientifique
ISBN (électronique)
2-550-48321-9
ISBN (imprimé)
2-550-48320-0
Notice Santécom
Date de publication