Exposition aux champs électromagnétiques : mise à jour des risques pour la santé et pertinence de la mise en oeuvre du principe de précaution

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a confié à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) le mandat d'évaluer la pertinence d'appliquer le principe de précaution à l'égard de l'exposition aux champs électromagnétiques (CEM). L'INSPQ devait pour cela faire le point sur les plus récents développements en matière d'effets sur la santé au regard des CEM et documenter l'exposition de la population aux fréquences de 60 Hz (extrêmes basses fréquences). Comme la plupart des études ont évalué la composante champ magnétique (CM) des CEM, tant au niveau de l'exposition que pour l'évaluation du risque à la santé, cet élément se reflète dans ce document où le volet CM est prédominant.

L'analyse des études d'exposition aux CEM nous confirme la variabilité des champs en milieu résidentiel selon plusieurs facteurs, notamment : le milieu urbain ou rural, la configuration du réseau électrique, les caractéristiques de la résidence ou encore l'utilisation ou la proximité de certains appareils électriques. Au Québec, les données actuelles nous indiquent que la population a une exposition résidentielle moyenne supérieure à celle observée dans d'autres provinces canadiennes ou ailleurs dans le monde. Les lignes à haute tension sont généralement la principale source d'exposition pour les populations résidant à leur proximité. Cependant, le nombre de personnes impliquées par une telle exposition est restreint. Au niveau de l'ensemble de la population québécoise, les lignes de distribution, le filage électrique des résidences, la mise à la terre ainsi que l'utilisation d'appareils électriques sont des éléments pouvant contribuer de façon plus importante à l'exposition. Aucune norme ne régit l'exposition aux champs d'extrêmes basses fréquences au Québec. Cependant, les recommandations proposées par l'International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection font office de critères de référence dans de nombreux pays. Des dépassements de ces recommandations, la plupart du temps occasionnels, sont quelques fois observés au Québec, tant pour le champ électrique (CE) que le CM.

Les résultats des études épidémiologiques récentes (1999 à 2004), ainsi que les avis des principales organisations ayant statué sur les risques à la santé associés à l'exposition aux CEM, ne modifient pas la conclusion de l'analyse faite dans le rapport de consensus réalisé en 2000 par les membres du groupe de travail du réseau de la santé québécois (Levallois, 2000a). La possibilité d'un faible risque de cancer, principalement de leucémie chez l'enfant, demeure mais le lien de cause à effet n'est toutefois toujours pas démontré. Les études sur la leucémie chez l'adulte quant à elles sont non concluantes. Les études sur le cancer du sein tendent plutôt vers une absence d'association. Pour les autres formes de cancer, les résultats actuels sont trop limités pour statuer sur ces risques. Les nouvelles études associées aux malformations congénitales demeurent équivoques. Un risque accru d'avortements spontanés associés aux valeurs maximales d'exposition au CM est rapporté mais peu d'études évaluant cet indicateur sont disponibles et la plausibilité biologique d'un tel effet est incertaine. Les nouvelles études sur le risque de troubles dépressifs et neurocomportementaux n'apportent pas d'éléments convaincants. Certaines associations observées avec les maladies neurodégénératives, telles que la maladie d'Alzheimer et la sclérose latérale amyotrophique, méritent d'être approfondies. Enfin, les études récentes sur les problèmes cardiovasculaires tendent plutôt vers une absence de risque avec les CEM.

Relativement aux incertitudes liées aux effets de l'exposition aux CEM, plusieurs pays ont adopté des mesures visant à appliquer le principe de précaution. Bien qu'aucune définition universelle ne soit retenue pour ce principe, il est généralement compris comme étant la nécessité de prendre action dans le but de prévenir un risque significatif dans les circonstances où l'incertitude scientifique est grande. C'est le cas pour les CEM. En effet, les données scientifiques actuelles ne permettent pas d'estimer de façon précise le niveau de risque associé à une exposition et donc ne peuvent soutenir l'adoption d'un niveau limite de CM. À cela, s'ajoutent les incertitudes liées à la méconnaissance d'un mécanisme d'action et à la difficulté de prendre en compte les divers paramètres d'exposition (moyenne d'exposition, seuils d'intensité, variabilité des champs, période d'exposition, fréquences harmoniques, etc.). Devant ce constat, les mesures visant à appliquer le principe de précaution aux CEM, peuvent être très variables. Elles doivent s'appuyer sur des principes généraux et faire l'objet de consensus auprès des parties intéressées.

Relativement aux incertitudes liées à l'exposition chronique aux CEM, les mesures de précaution proposées visant la gestion de ce risque doivent demeurer raisonnables. Cette approche, dite «nbsp;raisonnablenbsp;», est d'ailleurs en accord avec la position de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui précise dans un document de consultation que dans le contexte actuel, seules des mesures à faibles coûts seraient justifiées. Certaines actions en lien avec l'application du principe de précaution sont suggérées par l'OMS telles que : informer la population sur les sources de CEM et sur les façons de réduire cette exposition, développer la recherche visant à répondre aux incertitudes actuelles de la science ou documenter l'exposition. Des approches visant la réduction de l'exposition telles que la modification des pratiques de mise à la terre, des modifications de la conception des appareils électriques ou encore des modifications lors de planification de lignes à haute tension peuvent être évaluées si des raisons autres que le risque à la santé motivent de tels changements (raisons de sécurité, coûts/bénéfices, préoccupations du consommateur), ou encore selon des circonstances particulières spécifiques à chaque pays.

Le niveau de risque associé à l'exposition aux CEM pour l'ensemble de la population, s'il est réel, s'avère faible. Néanmoins, du fait que pour certains groupes plus exposés, il peut s'agir d'un risque important, l'Institut national de santé publique du Québec considère que le gouvernement du Québec devrait prendre position sur la gestion des CEM et se doter d'une approche de précaution. Cette position devra considérer d'une part, la sensibilité des enjeux autour du risque de leucémie chez l'enfant et d'autre part, les incertitudes scientifiques quant à la détermination d'un lien causal.

Devant la diversité des enjeux d'une telle approche (santé, économiques, techniques, sociaux, politiques), le réseau de la santé ne pourra définir à lui seul les mesures de précaution devant être adoptées pour la gestion des CEM et d'autres organisations publiques et gouvernementales concernées par cette problématique devront être interpellées. L'INSPQ recommande de mettre sur pied un groupe de travail réunissant les principales organisations concernées par cette problématique. Ce groupe aura à évaluer et à proposer, le cas échéant, des mesures raisonnables et proportionnées de gestion des CEM au Québec. L'approche proposée devra s'appuyer entre autres sur le cadre de référence en gestion des risques pour la santé de l'INSPQ qui prône la réduction et l'élimination des risques tant dans un contexte de relative certitude que d'incertitude scientifique. Associé à ces mesures, le MSSS pourrait rendre disponible au grand public de l'information visant à faire état des connaissances et des incertitudes actuelles quant aux risques à la santé liés à l'exposition aux CEM.

L'Institut national de santé publique du Québec recommande également de poursuivre ses actions de vigilance concernant l'évolution des connaissances sur les risques à la santé des CEM et la documentation des diverses sources et niveaux d'exposition aux CEM en milieu résidentiel et endroits publics. L'étude des possibilités techniques et économiques de réduction de ces sources doit être poursuivie. Enfin, bien que ne pouvant préciser le niveau de risque réel et la protection véritable des recommandations proposées par l'International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection, l'INSPQ considère que l'atteinte de ces valeurs guides (qui découlent d'experts internationaux) est souhaitable. Une meilleure information à la population québécoise et aux organisations impliquées devrait être diffusée quant aux recommandations proposées par l'ICNIRP et sur les façons de limiter les expositions au-dessus de ces niveaux.

Auteur(-trice)s
Denis Gauvin
M. Sc, conseiller scientifique, Institut national de santé publique du Québec
Patrick Levallois
M. D., M. Sc. FRCPC, médecin spécialiste. Institut national de santé publique du Québec
ISBN (électronique)
978-2-550-50437-5
ISBN (imprimé)
978-2-550-50438-2
Notice Santécom
Date de publication