Insalubrité dans l’habitation : portrait de la situation au Québec

Il est difficile d’évaluer l’ampleur des problèmes d’insalubrité au Québec en raison du manque de données quantitatives. La plupart des organisations ne tiennent pas de registre ou de base de données pour colliger les signalements et les interventions effectuées. Cependant, il semblerait qu’une proportion non négligeable de ménages québécois vivrait avec un ou plusieurs facteurs d’insalubrité (Dufour-Turbis, Levasseur, et al., 2015).

La situation est particulièrement criante dans les grandes agglomérations. Par exemple, à Montréal, près d’un tiers des ménages ferait face à au moins un problème d’insalubrité (insectes ou animaux indésirables, moisissures, humidité excessive, etc.), les locataires étant proportionnellement plus concernés que les propriétaires (CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, 2015). Dans ces villes, la densité de la population, le vieillissement du parc immobilier et la présence plus importante de ménages locataires font en sorte que davantage de situations d’insalubrité sont signalées.

Pour pallier ces problèmes, quelques villes se sont dotées d’une réglementation concernant la salubrité ou les nuisances, dont les villes de Québec, de Trois-Rivières et de Montréal. En plus d’une réglementation de base, cette dernière a également adopté un Plan d’action de lutte à l’insalubrité des logements 2014-2017 (Ville de Montréal, 2014). Ce plan vise à guider les actions de la Ville de Montréal pour les prochaines années afin d’exiger des correctifs par les propriétaires, d’encourager l’amélioration des logements, de sévir contre les propriétaires délinquants, de soutenir les locataires aux prises avec ces problèmes et d’éviter la stigmatisation des citoyens et des quartiers. L’adoption d’un tel plan d’action, soutenu par des mesures coercitives (amendes, condamnations) et davantage d’inspecteurs et de suivis des dossiers, pourrait contribuer à la gestion de ce type de situations dans d’autres municipalités. De plus petites municipalités comme Saint-Faustin, Sorel-Tracy et plusieurs autres ont également adopté des règlements, relatifs à la salubrité, à la construction ou à l’entretien, qui régissent divers aspects relatifs aux bâtiments sur leur territoire. D’autres types de politiques peuvent également être adoptés pour encadrer le secteur de l’habitation, comme l’adoption d’une politique du logement à Salaberry-de-Valleyfield (Municipalité de Salaberry-de-Valleyfield, 2007).

Bien que la situation du logement puisse varier passablement d’une région à une autre au Québec, certaines ont des particularités qui méritent d’être soulignées. C’est le cas de la situation du logement dans la région des Terres-Cries-de-la-Baie-James, telle que décrite dans l’encadré suivant.

Les neuf communautés cries (région sociosanitaire 18) sont situées au nord de Val-d’Or et de Chibougamau. Les Cris nomment ce territoire « Eeyou Istchee ». Dans chaque communauté, le Conseil Cri de la santé et des services sociaux de la Baie James offre des services de première ligne, ainsi que quelques services de deuxième ligne (santé publique) dans les deux communautés les plus grandes, Mistissini et Chisasibi.

La population totale compte présentement 17 657 personnes, avec un taux de croissance de 15,7 % en 5 ans, comparativement à 4,7 % au Québec (Direction de santé publique et Conseil Cri de la Santé et des Services Sociaux de la Baie James, 2016). En 2015, presque 4 000 logements (Katapatuk, 2016) ont été recensés, dont plus de la moitié a été construite avec les fonds d’un programme de la SCHL pour des logements sociaux (John, 2013), et seulement 7 % étaient des logements privés. Environ 20 % des logements appartenaient à des employeurs (Conseil Cri de la santé et des services sociaux, commission scolaire crie, gouvernement de la nation crie, etc.).

En somme, 73 % des logements appartiennent au Conseil de bande et chaque conseil a un département qui s’occupe de la distribution des logements, de la collecte des loyers, de la maintenance et de la planification de nouveaux logements, avec l’appui du Département des travaux d’immobilisations et services du gouvernement de la nation crie (Gouvernement de la Nation crie, 2016).   

Le logement typique consiste en une maison unifamiliale occupée par 4 à 5 personnes et comportant une salle de bain et 3 chambres à coucher. Selon le recensement de 2011, 19,6 % des logements en Eeyou Istchee étaient surpeuplés (comparativement à 1,3 % pour l’ensemble du Québec)5 et 31,6 % des logements habités par des autochtones nécessitaient des réparations majeures (comparativement à 7,2 % pour l’ensemble du Québec et 30,6 % pour les autres communautés autochtones du Québec) (Direction de santé publique et Conseil Cri de la Santé et des Services sociaux de la Baie James, 2016). 

Les communautés cries ne sont pas des munipipalités et ni la Régie du logement ni la Société d’habitation du Québec (SHQ) n’ont compétence sur ce territoire. Une loi fédérale, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec (S.C. 1984, ch.18) a remplacé la Loi sur les Indiens dans ces communautés. Elle décrit la gouvernance et les pouvoirs de chacune des communautés, notamment le pouvoir de faire des règlements, entre autres sur les bâtiments et les habitations, la santé et l’hygiène. À l’échelle régionale, le gouvernement de la nation crie (« l’Autorité régionale crie ») a le pouvoir de réglementer les logements et les infrastructures sanitaires.

À l’heure actuelle, il n’y aurait pas suffisamment de logements pour les jeunes familles. Il y aurait également un manque de variété dans les types d’habitations, notamment de maisons multigénérationnelles, de logements pour personnes seules ou encore pour celles qui ont des besoins particuliers (p. ex. problèmes de santé mentale ou handicaps physiques).

Le surpeuplement des logements, le manque de réparations, la présence d’infiltrations d’eau ou d’humidité excessive menant à la prolifération de moisissures sont des problèmes fréquents. Le syndrome de Diogène semble plus rare, possiblement en raison du manque de logements, qui fait en sorte que très peu de personnes se retrouvent seules et isolées. Les infestations d’insectes, telles les punaises de lit, sont peu fréquentes. 

La DSP de la région des Terres-Cries-de-la-Baie-James est contactée à l’occasion par du personnel de la clinique de santé ou par des locataires. Les professionnels de la DSP procèdent parfois à des inspections.

Une investigation d’un échantillon de maisons a permis de relever qu’en général, les locataires semblaient ignorer les mesures simples pouvant réduire l’humidité excessive et limiter le développement des moisissures. De plus, ils ne semblaient pas bien comprendre le fonctionnement du système de ventilation mécanique présent dans la plupart des maisons. Des documents explicatifs ont été développés pour soutenir les occupants face à ces problématiques (voir par exemple : Your Health, Your Home – Indoor Air Quality and Moulds).

Ainsi, la gestion des problèmes de qualité de l’air intérieur et de salubrité dans cette région est tributaire de cette réalité locale en matière de logement.

Dans le cadre des travaux entourant la rédaction de la première version du Guide d’intervention intersectorielle, les membres du Groupe de travail avaient établi les constats suivants, qui sont encore valides en 2016 :

  • Aucune organisation ne possède à elle seule l’ensemble des mandats, des compétences, des pouvoirs et des outils nécessaires pour soutenir les citoyens;
  • Les citoyens aux prises avec des problèmes d’air intérieur et d’insalubrité sont souvent laissés à eux-mêmes ou ballotés d’un organisme à l’autre;
  • Les citoyens les plus touchés sont souvent des locataires à faible revenu, qui dépendent de tiers pour la mise en place de solutions;
  • Les problèmes dus à l’humidité excessive et à la présence de moisissures et de punaises de lit sont les plus fréquemment rapportés dans la plupart des régions et nécessitent souvent la participation d’intervenants de plusieurs secteurs pour une gestion efficace des situations;
  • L’absence d'encadrement légal (homologation ou accréditation des services privés comme les inspecteurs en bâtiments, les services d’évaluation, de nettoyage, de décontamination, etc.) laisse souvent le citoyen perplexe quant aux choix qui lui sont offerts, ce qui le place dans une situation où il est plus vulnérable.

Le portrait actuel de l’insalubrité au Québec permet de dresser certains nouveaux constats :

  • La réglementation municipale joue un rôle important dans la gestion des problèmes d’insalubrité en encadrant la capacité des acteurs régionaux et locaux à intervenir auprès de la population, pour autant qu’elle soit accompagnée des leviers pour la faire appliquer (ressources suffisantes, sévérité des peines, volonté d’agir, etc.) (TNCSE, 2012);
  • Les délais à la Régie du logement, tribunal responsable de rendre des décisions concernant les litiges entre propriétaires et locataires, peuvent être importants;
  • L’absence d’une définition claire de l’insalubrité peut freiner la volonté d’intervenir et servir de prétexte à la non-intervention;
  • Le nombre de ressources disponibles pour la gestion des problèmes d’insalubrité est variable d’une municipalité à une autre (ressources en santé physique et mentale, inspecteurs municipaux, préventionnistes en sécurité incendie, etc.);
  • Les réalités régionales et territoriales, urbaines et rurales, font en sorte que les situations d’insalubrité diffèrent d’une région à l’autre, d’une municipalité à l’autre, voire d’un secteur à un autre;
  • De nombreux professionnels peuvent être impliqués dans la gestion des situations d’insalubrité, tant du secteur municipal (inspecteurs, services de sécurité incendie, etc.) que du réseau de la santé (santé publique, soins à domicile, soins en santé mentale, etc.), en passant par les organisations communautaires, les entreprises d’économie sociale et le secteur de l’habitation.

À la lumière de ces constats, il semblerait opportun d’entreprendre une réflexion globale sur ces enjeux pour assurer une prise en charge intégrée des situations d’insalubrité en milieu résidentiel au Québec. Puisque les intervenants se trouvent principalement au niveau régional ou local, cette réflexion pourrait d’abord s’amorcer entre les différents intervenants régionaux afin de mettre en place des modes d’intervention efficaces pour mieux gérer les situations concernant l’insalubrité, tout en étant soutenue par les instances provinciales et les ministères concernés.

Pour ce faire, des outils pratiques sont présentés dans le présent ouvrage afin de favoriser la prise en charge concertée de la gestion des cas. Voici un aperçu des neuf outils qui accompagnent ce document.

Outils pratiques

Un premier outil pouvant contribuer à améliorer la gestion des situations concernant la qualité de l’air intérieur ou la salubrité consiste d’abord à se doter d’une réglementation municipale à cet effet. L’Outil pratique A présente des exemples de dispositions pouvant être intégrées à un règlement sur la salubrité ou les nuisances. Cette réglementation doit généralement venir de pair avec la disponibilité d’un inspecteur pour effectuer les inspections et faire respecter les obligations découlant de la réglementation. Afin de pallier le manque de ressources de certaines municipalités qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour retenir les services d’un inspecteur à elles seules, il arrive que quelques municipalités s’associent afin d’engager un inspecteur qui couvrira l’ensemble de leurs territoires respectifs ou encore qu’un ou plusieurs inspecteurs soient engagés par la municipalité régionale de comté (MRC) pour couvrir l’ensemble de son territoire2.

Un autre outil efficace pour améliorer la gestion des situations d’insalubrité consiste à adopter un protocole d’entente entre les intervenants qui seront responsables de traiter les signalements. Les rôles et responsabilités de chacun y sont clairement établis, favorisant une collaboration efficace et harmonisée lors des interventions. De tels protocoles sont généralement établis entre les municipalités et les principaux acteurs du réseau de la santé (DSP, services psychosociaux, etc.), mais peuvent également inclure d’autres acteurs clés tels que les pompiers ou les sociétés protectrices des animaux ou sociétés pour la prévention de la cruauté envers les animaux (SPA, SPCA). Chaque entente reflète les réalités locales et implique les partenaires nécessaires au bon déroulement des interventions. Les échanges menant à la signature d’une telle entente permettent aux acteurs clés d’échanger et de tisser des liens qui s’avèrent utiles au moment de gérer les signalements. De plus, les protocoles d’entente ont pour but d’identifier et de mettre en place les principaux canaux de communication intersectorielle. Certaines villes ont déjà adopté ce type de protocole d’entente, dont la Ville de Québec (ASSS Capitale-Nationale et Ville de Québec, 2008), la Ville de Victoriaville (Centre de santé et de services sociaux d’Arthabaska-et-de-l’Érable, Ville de Victoriaville et Agence de la santé et des services sociaux de la Mauricie et du Centre-du-Québec, 2013) et plus d’une dizaine de municipalités des Laurentides (Lacombe et Cossette, à paraître). L’Outil pratique B présente deux modèles de protocoles d’entente de collaboration intersectorielle pouvant être adaptés aux réalités régionales.

L’Outil pratique C présente une grille d’aide à l’identification des partenaires appropriés pour réaliser une intervention. Cet outil permet d’identifier rapidement le ou les partenaires susceptibles d’être interpellés en fonction du contexte d’une situation donnée (p. ex. insalubrité en présence d’enfants).

L'Outil pratique D contient une grille d’évaluation de la salubrité et de la sécurité des lieux qui permet d’identifier certains facteurs d’insalubrité pouvant être préoccupants dans une habitation lors d'une inspection visuelle. Cette grille pourrait être utile entre autres pour interagir avec des professionnels de divers secteurs afin de les orienter sur les risques potentiels provenant de l’habitation inspectée.

Un aide-mémoire pour la gestion des interventions relatives à la salubrité et la qualité de l'air intérieur est présenté dans l’Outil pratique E. Il peut aider à cibler les types d'interventions et les partenaires à prioriser pour les réaliser, ainsi que les facteurs de succès.

L'Outil pratique F, qui traite de la qualité de l'air intérieur de votre habitation, se veut un document destiné au grand public qui vise notamment à aider à comprendre, déceler et régler les problèmes de qualité de l’air intérieur et à prévenir les différends entre locataires et propriétaires. Il offre également des conseils afin de faire un choix éclairé pour sélectionner les ressources appropriées pour réaliser certains travaux ou correctifs dans les habitations.

Un registre des cas d'insalubrité et une fiche de suivi pour un signalement sont également offerts dans l'Outil pratique G pour aider les intervenants à faire le suivi des cas d'insalubrité et des situations présentant des problèmes de qualité de l'air intérieur dans leur région ou dans leur municipalité.

Les notions de consentement et confidentialité des renseignements personnels, notions qui s'appliquent à tous les intervenants, sont présentées plus en détail dans l’Outil pratique H.

Des références utiles concernant l’évaluation ou la gestion de situations d’insalubrité au Québec et ailleurs dans le monde sont données dans l’Outil pratique I.

Enfin, la clarification des rôles et responsabilités de tous les partenaires potentiels lors d’interventions touchant la qualité de l’air intérieur et la salubrité dans les habitations, telle que présentée dans la section Acteurs et partenaires, reste essentielle afin de gérer adéquatement les signalements dans le respect des mandats de l’ensemble des organisations impliquées. Cela permet notamment d’identifier les possibilités de collaboration et d’intervention entre les diverses organisations, contribuant ainsi à intervenir de manière plus efficace.

  1. Cet encadré a été généreusement rédigé par les professionnels de la DSP 18.
  2. Constats soulevés lors de consultations téléphoniques auprès des directions de santé publique au printemps 2016.