Les définitions et les formes de violence en milieu de travail

Comme démontré par Chappel et Di Martino [2], les définitions de la violence en milieu de travail varient largement entre les disciplines et entre les pays, et présentent des différences linguistiques et culturelles. Plusieurs termes ou notions apparentés sont utilisés pour traiter de la violence en milieu de travail : agression, harcèlement, intimidation, menace. De nombreux articles tentent de définir la violence par opposition à l’agression, le harcèlement par opposition à l’intimidation, ou encore la violence sexuelle par opposition à d’autres formes de violence. Le Bureau international du travail définit la violence en milieu de travail comme « toute action, tout incident ou tout comportement qui s’écarte d’une attitude raisonnable, par lesquels une personne est attaquée, menacée, lésée ou blessée dans le cadre ou du fait direct de son travail » [3]. Toutefois, une vue d’ensemble de la littérature permet de constater qu’il n’existe pas de définition universelle, transversale et absolue pour l’ensemble des termes relatifs à la violence en milieu de travail, constat partagé par un rapport soumis pour discussion à la Réunion d’experts sur la violence contre les femmes et les hommes dans le monde du travail tenue en octobre 2016 [4]. Une analyse critique de la littérature portant sur les définitions de la violence suggère que les diverses manifestations de la violence font partie d’un continuum et que, pour cette raison, le concept de violence devrait être interprété de façon large [5]. Les termes utilisés dans ce chapitre sont définis dans l’optique de fournir aux lecteurs une compréhension commune des différents concepts présentés dans la littérature. La violence en milieu de travail est tout d’abord définie en fonction de différentes formes de violence vécues en milieu de travail. Par la suite, une typologie de la provenance de la violence en milieu de travail est présentée.

Les formes de violence vécues en milieu de travail

La violence en milieu de travail peut prendre différentes formes, et celles présentées dans cette section représentent celles qui sont les plus documentées dans la littérature. Cependant, ces formes de violence ne sont pas mutuellement exclusives, en ce sens que différentes formes peuvent se retrouver comprises sous une autre forme; par exemple, le harcèlement psychologique qui peut inclure de la violence verbale et du harcèlement sexuel.

Violence physique

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’OIT définissent le concept de violence physique comme l’usage de la force physique contre une autre personne ou un groupe de personnes, qui entraîne un préjudice physique, sexuel ou psychologique. Sont visés, entre autres, les coups, coups de pied, gifles, coups de couteau, coups de feu, bousculades, morsures et pinçage [6].

Des auteurs ont noté que certaines études sur la violence physique ne différencient pas la violence infligée et les menaces de violence physique proférées [7]. Conceptuellement, il s’agit de deux catégories distinctes, la première ayant potentiellement des conséquences physiques et psychologiques, alors que la seconde peut engendrer principalement des conséquences sur le plan psychologique.

Une étude du Royaume-Uni portant sur les agressions physiques en milieu de travail montre que 4,9 % des travailleurs rapportent avoir vécu une expérience de violence physique au travail au cours des deux dernières années, et certains d’entre eux sur une base régulière [8]. Selon cette étude, les femmes sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes à être exposées à la violence physique au travail. Également, les travailleurs gais ou bisexuels sont proportionnellement plus nombreux à être exposés à la violence physique au travail que les travailleurs hétérosexuels. Les travailleurs ayant une déficience physique, intellectuelle ou psychologique sont aussi proportionnellement plus nombreux à rapporter avoir vécu de la violence physique, comparativement aux travailleurs sans déficience.

Violence psychologique

Une abondante littérature a été développée au cours des dernières années sur le bullying, un terme utilisé au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans d’autres pays anglo-saxons; sur le mobbing, un concept plus commun en Scandinavie et dans les pays germanophones; sur le harcèlement moral, utilisé principalement en France et en Belgique; et sur le harcèlement psychologique, le terme officiel au Québec et dans certaines législations canadiennes. Aux fins de ce chapitre, ces termes seront utilisés de façon interchangeable (voir Lippel [9] pour les détails des significations des termes dans les différentes langues).

Pour Ståle Einarsen et ses collaborateurs [10], le concept de harcèlement psychologique réfère à des actions et des conduites répétées et dirigées contre un ou plusieurs travailleurs; lesquelles sont non désirées par la victime; peuvent être commises délibérément ou inconsciemment, mais entraînent manifestement de l’humiliation, une offense ou de la détresse; et peuvent interférer avec la performance au travail ou engendrer un environnement de travail désagréable. Cette définition a été largement reprise dans les recherches en management et en psychologie organisationnelle. Les législateurs, pour leur part, définissent le terme différemment, en fonction des contextes légaux dans lesquels ils introduisent le concept. Par exemple, l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail au Québec reprend cette définition, en y ajoutant la possibilité qu’un événement unique grave puisse constituer du harcèlement, même en l’absence de répétition.

Violence verbale et menaces de violence

La violence verbale est incluse dans la majorité des études qui s’intéressent à la violence en milieu de travail, ainsi que dans les outils et guides portant sur la prévention des risques dans le milieu de travail qui ont été produits par l’OIT [11]. Les auteurs d’une revue systématique de la littérature portant sur la violence verbale au travail ont observé que, bien qu’il n’y ait pas de définition commune de la violence verbale au travail dans les différents écrits recensés, la majorité des définitions incluent les concepts de menaces, d’insultes, et parfois de communications orales visant à humilier ou dénigrer la victime [12]. Cette revue s’inscrit dans une perspective de genre, et révèle que la majorité des études portant sur la violence verbale en milieu de travail ne permettent pas de conclure à une différence entre les genres.

Le concept de menace est défini dans un rapport de l’OIT comme une « menace de mort, ou annonce de l’intention de faire du mal à quelqu’un ou d’endommager ses biens matériels » [13]. Dans un autre rapport conjoint de l’OIT et de l’OMS concernant la violence au travail dans le secteur de la santé, la menace est définie comme la « promesse de recourir à la force physique ou au pouvoir (force psychologique) entraînant la crainte de dommages physiques, sexuels ou psychologiques ou d’autres conséquences négatives pour les personnes ou les groupes visés » [6].

Harcèlement sexuel

Les définitions et les mesures du harcèlement sexuel varient selon les juridictions et les cultures [2,14–17]. Selon l’OIT (2012) :

« Les définitions du harcèlement sexuel contiennent les éléments suivants : 1) (« quid pro quo ») : tout comportement non désiré à connotation sexuelle s’exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, ou tout autre comportement fondé sur le sexe, ayant pour effet de porter atteinte à la dignité de femmes et d’hommes, qui n’est pas bienvenu, déraisonnable et offense la personne; et le rejet d’une telle conduite par une personne, ou sa soumission à cette conduite, est utilisé de manière explicite ou implicite comme base d’une décision qui affecte son travail; 2) (environnement de travail hostile) : une conduite qui a pour effet de créer un environnement de travail intimidant, hostile ou humiliant pour une personne »  [18].

La définition de l’article 2 de la Directive européenne (2002/73/EC) va dans le même sens en définissant le concept comme suit :

« là où toute forme de conduite à caractère sexuel non désirée survient, qu’elle soit verbale, non verbale ou physique, dans le but ou ayant l’effet de porter atteinte à la dignité d’une personne, en particulier lorsqu’il y a création d’un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. »

Au Québec, le concept de harcèlement sexuel est compris dans le concept plus large de harcèlement psychologique dans le cadre de la Loi sur les normes du travail, ainsi que dans le concept de harcèlement discriminatoire dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (article 10.1). Bien qu’il ne soit pas défini explicitement dans la Charte, le concept du harcèlement sexuel a été précisé par la jurisprudence [19], qui retient une définition à deux volets. En premier lieu, le harcèlement sexuel inclut « une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes du harcèlement » [20–22] (Janzen c. Platy Enterprises ltd, [1989] 1 R.C.S. 1252, 1284). En deuxième lieu, la jurisprudence définit le harcèlement sexuel résultant d’un « milieu de travail hostile » lorsqu’on y retrouve les manifestations suivantes : « diverses formes allant de l’usage d’un langage cru, de blagues grivoises, de remarques désobligeantes, de rebuffades, de brimades, d’injures et d’insultes aux menaces, de voies de fait ou d’autres agressions, en passant par des caricatures, graffitis et dommages causés à la propriété de la victime ou aux lieux et objets mis à sa disposition; le tout en mettant particulièrement en cause les caractéristiques proprement féminines » (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Québec (Procureur général), [1998] R.J.Q. 3397, [1998] no AZ-98171043 (T.D.P.Q.), paragr. 168).

Le harcèlement sexuel en milieu de travail est un phénomène sous-déclaré pouvant se chevaucher avec d’autres formes de violence ou être inclus dans le concept plus large de harcèlement psychologique, en particulier si les victimes sont stigmatisées lorsqu’elles se plaignent de harcèlement sexuel [20–22]. Les recherches montrent que la grande majorité des victimes de harcèlement sexuel sont des femmes, alors que les harceleurs sont majoritairement des hommes. Cependant, il ne faut pas passer sous silence le fait qu’il y a des cas de harcèlement sexuel où les victimes sont des hommes, et où les harceleurs sont des femmes ou des hommes [23].

Harcèlement discriminatoire

Le harcèlement discriminatoire est une forme de harcèlement psychologique dirigée contre une personne en raison de motifs discriminatoires. Il s’agit d’un phénomène interdit en Amérique du Nord, en Australie et en Europe depuis plusieurs années. Les législations gouvernant cette interdiction requièrent normalement qu’il soit démontré que le harcèlement soit lié à une catégorie ciblée comme interdite de discrimination, et ces catégories varient considérablement selon les nations. Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne reconnaît les motifs de discrimination suivants : la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge (sauf dans la mesure prévue par la loi), la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap (article 10), et interdit le harcèlement fondé sur l’un de ces motifs (article 10.1). Le harcèlement lié à l’origine ethnique ou à la race est interdit dans la plupart des lois et règlements relatifs aux droits de l’homme, mais l’interdiction de harcèlement fondé sur l’âge ou sur l’orientation sexuelle est moins universelle. Cependant, même si la discrimination et le harcèlement fondés sur l’origine ethnique ou la race sont interdits dans plusieurs pays, l’efficacité de telles mesures de protection est rarement étudiée, et les études qui existent montrent que les minorités ethniques sont plus souvent exposées au harcèlement et à la discrimination [24,25]. Aussi, il est à souligner que le harcèlement à l’égard des travailleurs avec des incapacités a été peu étudié jusqu’à maintenant [26].

Par ailleurs, un nouveau pan de la littérature portant sur le harcèlement sexuel à l’égard de l’orientation et de l’identité sexuelles prend de plus en plus d’importance [27], notamment en Australie, où la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle est interdite [28]. Au Québec, cette interdiction existe depuis 1977.

Violence entre partenaires intimes

La violence entre partenaires intimes, aussi appelée violence conjugale1, est un phénomène que l’on retrouve dans la littérature portant sur la violence au travail et qui est étudié sous différents angles. En effet, dans certains cas, cette forme de violence peut survenir en milieu de travail lorsque, par exemple, un conjoint commet un acte de violence envers sa partenaire intime sur le lieu de travail [29]. Dans d’autres cas, la violence conjugale peut engendrer des conséquences qui se répercutent dans le travail. Ainsi, il arrive que la violence commise par un partenaire intime dans la sphère personnelle nuise à la capacité de la travailleuse à exercer son travail ou à conserver son emploi [29]. La violence entre partenaires intimes, peu importe l’endroit où elle se déroule, peut avoir un impact négatif sur les habiletés de la victime à se rendre au travail, à y demeurer et à travailler convenablement. À ce sujet, certaines études documentent comment la performance au travail des victimes de violence conjugale peut être influencée négativement par la violence commise à l’extérieur du travail [29–32]. Ces deux facettes de la violence entre partenaires intimes et de sa relation avec le travail font l’objet de débats quant aux protections réglementaires du droit du travail nécessaires pour assurer, d’une part, la sécurité des victimes et, d’autre part, leur capacité à se maintenir en emploi dans un milieu de travail. D’autres études s’intéressent aux effets de l’exposition à la surcharge de travail sur le risque que les travailleurs adoptent des comportements violents à la maison [33], ou encore aux pratiques organisationnelles pour gérer les cas d’employés faisant preuve de violence conjugale à l’extérieur du milieu de travail [34].

La violence à caractère criminel en milieu de travail

La violence physique en milieu de travail, y compris les homicides, les diverses formes d’agressions et les menaces de violence, peut avoir un caractère criminel. Dans certains cas, le traitement de telles situations peut relever de la compétence de la législation criminelle, bien que la mise en œuvre du droit pénal dans les milieux de travail soit, dans de nombreux secteurs, exceptionnelle [35]. Dans les secteurs des soins de santé ou de l’éducation, par exemple, la violence physique commise par des usagers ou des étudiants est souvent normalisée dans les milieux de travail, perçue comme faisant partie du travail [36]. Il est donc peu commun que des plaintes soient portées au criminel. De plus, dans les cas de jeunes enfants ou d’adultes jugés légalement inaptes, il est très rare que les lois criminelles s’appliquent.

Cela dit, dans certains pays, tels les États-Unis, le crime violent est le centre d’intérêt premier dans la littérature portant sur la violence au travail. Aussi, les études menées principalement dans le domaine de la criminologie abordent plus fréquemment les problèmes sous l’angle de la prévention des crimes que sous celui de la santé au travail. Une étude de Statistique Canada portant sur les victimes d’actes criminels en milieu de travail en 2004 a révélé que 37 % des incidents violents en milieu de travail avaient été signalés à la police, et que les victimes de sexe masculin étaient beaucoup plus susceptibles que les victimes féminines de déclarer les incidents violents à la police. Les auteurs de cette étude suggèrent que ce résultat pourrait s’expliquer par le fait que les hommes présentent plus fréquemment des blessures physiques, alors que les femmes sont davantage victimes d’agression sexuelle, et que ce type d’agression a un faible taux de dénonciation à la police. Toujours selon cette même étude, 66 % des incidents de violence en milieu de travail ont été perpétrés par une personne connue de la victime, et 18 % ont été commis par un collègue de travail, les autres incidents étant majoritairement commis par une personne connue, mais extérieure à l’organisation, tels un ex-conjoint ou un voisin [35].

Violence systémique, structurelle, technologique et autres formes de violence

La « violence systémique » réfère à la « violence produite par l’organisation du travail », et signifie que la structure de l’organisation peut avoir des caractéristiques qui rendent les travailleurs susceptibles de vivre ou de commettre de la violence [36].

Le terme « violence structurelle » a été employé, quant à lui, pour identifier la charge de travail élevée, le faible degré d’autonomie décisionnelle au travail, le faible statut hiérarchique, les procédures de travail rigides et le faible soutien relationnel, comme des formes de violence au travail. Une étude canadienne menée auprès de travailleurs du domaine de la santé montre que ces conditions de travail sont non seulement néfastes pour la santé physique et psychologique des travailleurs, mais elles limiteraient aussi la capacité des travailleurs à fournir la qualité des soins qu’ils savent qu’ils sont capables de fournir [37]. Ces mêmes auteurs ont également amené le concept de « violence épistémologique » en tentant d’expliquer ce qui incitait les usagers des établissements de soins de longue durée à faire preuve de violence à l’égard des travailleurs de la santé. Les chercheurs concluent qu’il existe des liens entre la rationalisation des services offerts aux usagers en contexte de restructuration des services de santé et l’augmentation des cas de violence perpétrés à l’endroit des travailleurs de la santé [38].

Récemment, les chercheurs et les législateurs ont porté leur attention sur la cyberintimidation, qui consiste à utiliser les technologies de communication, telles qu’Internet, les sites de réseautage social, les sites Web, le courriel, la messagerie texte (SMS) et la messagerie instantanée pour intimider une personne à répétition [39]. La cyberintimidation est une nouvelle forme de violence psychologique et, dans certains cas, de violence sexuelle. Il s’agit d’agissements tels que l’envoi de courriels agressifs ou menaçants, la publication sur le Web d’informations à caractère sexuel explicite, et la propagation de rumeurs malveillantes sur les réseaux sociaux [4]. La majorité de ces travaux étudient la violence faite contre les filles et les femmes, ou encore la cyberintimidation dans les écoles, mais peu se sont intéressés aux liens entre la violence basée sur la technologie et le travail.

Il existe quelques études portant sur la cyberintimidation dans les milieux de travail, notamment en Inde [40], en Suède [41] et en Australie [42]. À titre d’exemple, une étude menée auprès des salariés de plusieurs universités du Royaume-Uni révèle que la cyberintimidation au moyen de courriels, de SMS et d’affichages sur le Web est aussi courante au travail que le harcèlement psychologique « classique »2. D’autres études incluent la violence commise à l’aide d’une technologie traditionnelle, soit le téléphone. Par exemple, les femmes travaillant dans des centres d’appel en Allemagne seraient, selon une étude, plus susceptibles de subir du harcèlement sexuel de la part de la clientèle que leurs collègues masculins [43]. Aussi, le personnel français travaillant dans les départements de service à la clientèle, ainsi que les travailleurs de centres d’appel en Chine, présentent un plus grand risque de subir de la violence de la part de la clientèle [44,45]. Enfin, une autre étude conclut que les agressions à teneur raciale seraient aussi un risque du travail dans les centres d’appel [46].

Au Québec et au Canada, en 2016, la violence à l’égard des travailleurs des centres d’appel a fait l’objet d’une campagne nationale de sensibilisation menée par le Syndicat des Métallos qui souhaitait sensibiliser la population aux effets néfastes des comportements de violence verbale de la part de la clientèle sur la santé des travailleurs. Une pétition a également été lancée afin de demander aux employeurs de mettre en œuvre des politiques pour permettre aux travailleurs de raccrocher lorsqu’un client fait preuve de violence au téléphone3.

La documentation sur la violence traite également d’autres formes d’agression en milieu de travail, y compris l’incivilité4. Certaines de ces catégories peuvent être considérées comme des facteurs de risque psychosociaux, précurseurs d’autres formes de violence professionnelle.

Une typologie de la provenance de la violence en milieu de travail : de l’interne ou de l’externe

Selon la définition retenue par l’OIT, le « lieu de travail » réfère à tous les endroits où les travailleurs doivent se trouver ou se rendre du fait de leur travail, et qui sont placés sous le contrôle direct ou indirect de l’employeur [2]. La définition du lieu de travail est centrale, car elle peut mener à diverses interprétations, lesquelles influencent notamment les statistiques sur la violence au travail ou l’interprétation des différentes mesures législatives. La violence en milieu de travail peut provenir de collègues, de supérieurs hiérarchiques ou de subordonnés, ou encore de personnes qui n’ont pas de lien d’emploi avec l’entreprise de la personne ciblée. Une des distinctions classiques dans la littérature sur la violence au travail et qui est utilisée par l’OIT est la distinction entre la violence interne et la violence externe [2]. La violence interne est celle qui se manifeste entre les travailleurs provenant d’une même organisation, y compris le personnel d’encadrement. La violence externe s’exprime entre des travailleurs et toute autre personne présente dans le milieu de travail, mais non salariée de l’organisation. Généralement, on parle de violence externe lorsque l’auteur de la violence provient de l’extérieur de l’organisation, tel qu’un client, un patient ou un usager, et que la violence survient sur le lieu, dans les circonstances ou à l’occasion du travail. Cette distinction est pertinente pour la prévention de la violence, et notamment pour le développement de nouvelles mesures de protections légales, ainsi que pour la conception d’interventions préventives en milieu de travail. En effet, certains instruments réglementaires en matière de santé et sécurité du travail permettent de juger un même comportement de façon différente si l’auteur est de provenance interne ou externe à l’organisation [47].

La figure qui suit permet de distinguer la violence interne de la violence externe, ainsi que les différentes relations que l’on peut retrouver en milieu de travail, entre les auteurs et les victimes de violence.

Figure 1 - Distinction entre la violence interne et la violence externe en milieu de travail

 

La violence interne

La violence interne inclut toute forme de violence exprimée entre deux ou plusieurs travailleurs, y compris les gestionnaires, d’une même organisation. Par exemple, la violence interne concerne la violence entre collègues d’une même équipe, ou la violence entre collaborateurs de différentes équipes ou directions. Elle concerne aussi la violence entre gestionnaires, de niveaux hiérarchiques comparables ou distincts, ainsi que la violence entre un gestionnaire et un travailleur de niveau hiérarchique moindre. Comprendre la relation entre les cibles de la violence interne et ses auteurs est essentiel pour prévenir la violence au travail et pour développer des recours réglementaires appropriés. On retrouve principalement ces distinctions quant à la relation de la violence interne dans la littérature sur le harcèlement psychologique au travail, où l’on distingue la violence verticale et la violence horizontale [48]. Le concept de violence verticale est utilisé lorsqu’il existe une relation hiérarchique entre la cible de la violence et son auteur, laquelle implique généralement un supérieur ciblant un subordonné avec moins de pouvoir. Cependant, il existe aussi des cas de supérieurs hiérarchiques faisant l’objet de harcèlement de la part de leurs subordonnés. La violence perpétrée par des collègues de même niveau hiérarchique est considérée comme de la violence horizontale.

Violence externe

La violence externe concerne la violence provenant de clients, d’usagers, d’étudiants, de fournisseurs, de sous-traitants et même celle commise par des membres de la famille d’employés [49–51]. Ces acteurs, externes à l’organisation, ne sont pas soumis au contrôle de l’employeur au même titre que les employés. En effet, l’employeur, conformément à son droit de gérance, dispose de moyens lui permettant de sanctionner au besoin un employé qui commet un acte de violence.

La littérature américaine et européenne comprend plusieurs études récentes sur la violence externe, définissant et documentant le phénomène et, dans certains cas, décrivant des interventions préventives que les milieux de travail peuvent mettre en œuvre. Une publication française décrit les diverses définitions institutionnelles de la violence au travail et des types de violence externe, couvrant le spectre de l’incivilité, jusqu’à l’homicide. Cet écrit discute des facteurs potentiels qui influencent la violence externe, que ce soit relatif à certains secteurs ou professions spécifiques, ou encore en lien avec l’organisation du travail. Une étude portant sur les taux d’incidence de la violence commise par une tierce partie en Europe montre une augmentation des incidents entre 1995 et 2005 [52]. 

  1. Voir le chapitre 5 de ce rapport.
  2. University of Sheffield. (2012). Hidden cyberbullying is as common as conventional counterpart in the workplace. En ligne : https://www.shef.ac.uk/news/nr/ cyberbullying-festival-social-sciences-christine-sprigg-carolyn-axtell-sam-farley-1.222243 [consulté le 5 juillet 2016].
  3. Syndicat des Métallos. (2016). Des travailleurs de centres d’appels lancent une campagne pour mettre fin à l’abus « déshumanisant ». En ligne : http://www.usw.ca/fr/nouvelles/centre-presse/actualites/2016/des-travailleurs-de-centres-dappels-lancent-une-campagne-pour-mettre-fin-a-labus-deshumanisant.
  4. Selon Anderson et Pearson (1999), l’incivilité est définie comme un comportement déviant qui est en violation des normes de respect mutuel établies dans le milieu de travail, et où l’intention de nuire n’est pas toujours présente. (Réf. : Anderson et Pearson (1999). Tit for tat? The spiraling effect of incivility in the workplace. Academy of management review, vol. 24, no 3, p. 452-471.)