Ampleur

L’ampleur du phénomène de la violence en contexte sportif est très peu documentée. Dans leur ouvrage phare sur la question de la protection des enfants en contexte sportif, Lang et Hartill démontrent à quel point ce domaine de recherche manque cruellement d’études robustes réalisées à grande échelle permettant de documenter la prévalence et l’incidence des problématiques de violence envers les jeunes sportifs [58]. Au Canada et au Québec, nous n’avons actuellement aucun portrait global des diverses formes de violence pouvant être vécues par les athlètes. Ces données sont pourtant cruciales et constituent le premier pas à réaliser dans une démarche de santé publique visant ultimement à prévenir de tels phénomènes. Ce portrait plus vaste est certainement l’étape la plus importante à franchir au cours des prochaines années.

Malgré l’absence de portrait général au Québec, des données récentes provenant d’autres pays suggèrent que la violence envers les athlètes en contexte sportif constitue un problème bien réel et préoccupant. En effet, Vertommen et ses collaborateurs ont questionné plus de 4 000 adultes belges et néerlandais sur leurs expériences de violence vécues avant l’âge de 18 ans dans le contexte sportif. Les résultats de cette étude montrent que 44 % des participants ont rapporté avoir vécu au moins une forme de violence dans le contexte sportif (sexuelle, psychologique, physique). De façon plus spécifique, les auteurs rapportent que 11 % des répondants ont vécu de la violence physique, 38 % de la violence psychologique et 14 % de la violence sexuelle. Les auteurs ont également classifié les violences vécues en degrés de sévérité, ce qui représente un aspect novateur de cette recherche. Lorsqu’on ne tient compte que des formes sévères de violence psychologique (ex. : être régulièrement humilié, subir des menaces constantes), physique (ex. : avoir été frappé) et sexuelle (ex. : viol, agression sexuelle), la prévalence chez les répondants est respectivement de 9 %, 8 % et 5 %. Il semble également que certains sportifs cumulent les formes de violence. En effet, 4 % des personnes interrogées rapportent avoir vécu les trois formes de violence. Parmi les répondants ayant rapporté avoir vécu de la violence physique ou sexuelle, la majorité (respectivement 80 % et 67 %) a déclaré avoir vécu au moins un incident de violence psychologique. Les auteurs de ces gestes de violence ne sont toutefois pas précisés dans le cas de cette étude [12].

Violence perpétrée par une personne en situation d’autorité

La prévalence de la violence perpétrée par une personne en position d’autorité a majoritairement été étudiée sous l’angle des gestes posés par l’entraîneur envers les jeunes athlètes, et porte souvent le terme d’abus (abus sexuel, abus physique, abus psychologique). Ces études sont presque exclusivement rétrospectives, c’est-à-dire qu’elles ont été menées auprès de participants adultes et ont documenté les expériences sportives vécues dans l’enfance et l’adolescence. Les études ayant documenté le harcèlement sexuel commis par un entraîneur font état d’une prévalence variant entre 3 % et 22 % [18,28,59–64], tandis que celles qui se sont attardées spécifiquement aux abus sexuels obtiennent des prévalences variant entre 0,2 % et 9,7 % [19,20,28,65]. Au Québec, Parent et ses collaborateurs ont documenté la violence sexuelle vécue par les jeunes sportifs de 14 à 17 ans. Les résultats issus de cette étude révèlent que 0,8 % des jeunes athlètes québécois âgés de 14 à 17 ans ont vécu un abus sexuel de la part d’un entraîneur au cours de leur vie, et que les entraîneurs sont responsables de 5,3 % des abus sexuels vécus par les jeunes Québécois. De plus, 1,6 % des jeunes athlètes rapportent avoir eu au cours de l’année précédant l’étude des relations sexuelles avec un entraîneur auxquelles ils jugeaient avoir consenti [8]. La notion de consentement ne pouvant s’appliquer dans ce cas [66], il semble donc qu’une certaine proportion des jeunes aient vécu une agression sexuelle sans toutefois la considérer comme un geste abusif de l’entraîneur. Finalement, Parent et ses collaborateurs rapportent que 0,4 % des jeunes sportifs québécois ont vécu du harcèlement sexuel de la part d’un entraîneur au cours de l’année précédant l’étude [8]. Sur le plan des abus physiques, Alexander et ses collaborateurs indiquent que 6,8 % des répondants interrogés ont déjà subi de la violence physique de la part de leur entraîneur. Les abus émotionnels s’avèrent pour leur part plus fréquents. En effet, ces auteurs rapportent que 23 % des participants ont vécu des abus émotionnels de la part de leur entraîneur avant l’âge de 16 ans [28]. Outre la violence sexuelle et les quelques études citées ci-dessus, les études sur la prévalence des autres formes de violence subies de la part d’un entraîneur (violence physique, violence psychologique, négligence) sont quasi inexistantes ou comportent des limites méthodologiques importantes.

Violence perpétrée par un pair athlète

La prévalence de la violence entre les sportifs (coéquipiers ou adversaires) diffère selon le contexte dans lequel elle a été étudiée. Par exemple, les études révèlent que la prévalence du bizutage en contexte sportif se situe entre 17 % et 41 % chez les athlètes mineurs [29,67,68], et entre 41 % et 92 % chez les athlètes majeurs [29,69–71]. Au Canada, la présence du bizutage en contexte sportif a été confirmée dans la littérature [34,70,72–74]. Une étude récente a d’ailleurs montré que 92 % des athlètes universitaires canadiens ont déjà été victimes de bizutage au cours de leur carrière sportive [70]. À notre connaissance, aucune étude n’a été entreprise au Québec pour évaluer l’ampleur de ce phénomène.

Quelques études se sont également intéressées à la prévalence de l’intimidation3 dans le contexte sportif. Elles ont pour la plupart été menées auprès de jeunes athlètes. La proportion des adolescents qui rapportent une expérience d’intimidation dans le cadre de leur pratique sportive va de 14 % à 50 % [30–32,36,38]. Au Québec, les travaux menés par Gendron et ses collaborateurs indiquent que plus de 50 % des jeunes joueurs de soccer âgés de 12 à 17 ans ont été victimes d’intimidation verbale et physique au cours de l’année précédant l’étude [32]. Il semble que l’intimidation en sport soit également présente sous la forme d’agressions à connotation sexuelle, c’est-à-dire de harcèlement sexuel [28,76] ou d’agression sexuelle [28]. L’étude d’Alexander et ses collaborateurs a indiqué que 19,7 % des répondants ont été victimes d’au moins un comportement de harcèlement sexuel de la part d’un pair athlète au cours de leur pratique sportive avant l’âge de 16 ans. De plus, 1,9 % ont indiqué avoir vécu au moins une agression sexuelle de la part d’un pair athlète au cours de la même période [28]. Finalement, les agressions physiques entre les joueurs en situation de compétition ont également attiré l’attention des chercheurs au cours des dernières années, surtout dans le cadre de la pratique de certains sports comme le hockey sur glace et le soccer [3,32,77–81]. Une étude québécoise a entre autres indiqué qu’en moyenne 23 contacts physiques brutaux (mises en échec corporelles) surviennent par partie au sein d’une équipe de hockey bantam [79] et que le nombre moyen de transgressions aux règles (ex. : pousser, frapper, retenir, accrocher) dépassent 200 par match dans le hockey mineur [77]. Au soccer, 59 % des joueurs âgés de 12 à 17 ans ont déjà vécu des agressions physiques illégales (tacle4 dangereux, coup de poing et coup de coude) de la part d’un pair en compétition au cours de l’année précédant l’étude [32]. Plusieurs actes quasi criminels et criminels commis par des pairs athlètes sur le jeu ou en situation de match ont également été documentés dans la littérature [3]. Ils demeurent, pour la plupart, anecdotiques et issus du sport professionnel. Peu de données existent sur l’ampleur de l’ensemble des agressions physiques entre les joueurs en situation de compétition.

Violence perpétrée par un spectateur

Plusieurs études ont documenté le phénomène de la violence des foules [3,83–85]. Toutefois, peu d’entre elles se sont attardées à documenter la prévalence de cette forme de violence lorsqu’elle est dirigée spécifiquement vers les athlètes. Pourtant, ce phénomène semble assez fréquent. En effet, une étude écossaise réalisée auprès de 154 athlètes mineurs a montré que 43 % d’entre eux avaient déjà été la cible de comportements violents de la part d’un spectateur durant leur pratique sportive. Plus précisément, des adolescents ont rapporté avoir été injuriés (29 %), s’être fait crier des surnoms dégradants (24 %), avoir été la cible de moqueries (19,4 %) ou avoir vécu une agression physique (4,6 %), c’est-à-dire avoir reçu un coup de pied, avoir été frappé ou avoir reçu un crachat de la part d’un spectateur au cours de leur pratique sportive [86]. Une étude américaine a également révélé que les jeunes athlètes peuvent être victimes de comportements violents de la part des spectateurs. Entre autres, 43 % des jeunes ont indiqué s’être déjà fait taquiner et crier des injures par un spectateur durant leur pratique sportive, et 5 % ont relaté avoir déjà été attaqués physiquement [87]. Au Canada et au Québec, l’ampleur du phénomène demeure inconnue.

  1. « Bullying is any unwanted aggressive behavior(s) by another youth or group of youths who are not siblings or current dating partners that involves an observed or perceived power imbalance and is repeated multiple times or is highly likely to be repeated. Bullying may inflict harm or distress on the targeted youth including physical, psychological, social or educational harm. Bullying occurs by using technology is considered electronic bullying » [75].
  2. Au soccer, fait de bloquer avec le pied l’action de l’adversaire pour le déposséder du ballon [82].