Facteurs de risque

L’étude des facteurs de risque liés à la violence envers les athlètes en contexte sportif demande une analyse à la fois générale et spécifique. En effet, certains facteurs de risque sont communs aux diverses formes de violence et aux divers contextes où cette violence se produit. Par contre, certains facteurs de risque sont spécifiques à certaines formes. Les prochaines lignes présentent les facteurs de risque généraux et spécifiques de la violence interpersonnelle dans un contexte sportif, en fonction des niveaux du modèle écologique [15].

Individuels

Les rares études ayant porté sur le phénomène global de la violence vécue par les athlètes montrent que le genre, l’âge, le niveau sportif des athlètes (élite, non-élite) ainsi que l’appartenance à une minorité représentent des facteurs de risque individuels, indépendamment de l’auteur des gestes [12]. En effet, Vertommen et ses collaborateurs ont démontré que les athlètes appartenant à une minorité ethnique ou sexuelle (lesbiennes, gais, bisexuels (LGB)), les athlètes ayant un handicap ainsi que les athlètes de niveau plus élevé (international) ont vécu significativement plus de violence que les athlètes n’appartenant pas à ces groupes [12]. Les travaux d’Alexander et ses collaborateurs ont également permis de constater que le taux de victimisation augmente avec le niveau sportif [28]. Sur ce plan, il est toutefois difficile de savoir si les victimisations vécues par les athlètes de plus haut niveau sont survenues dans des niveaux de pratique plus précoces ou plus tardifs, et si cette différence est due à l’effet du temps (les athlètes de plus haut niveau sont généralement impliqués plus longtemps dans une structure sportive et peuvent ainsi avoir été davantage exposés). Les travaux d’Alexander et ses collaborateurs montre aussi que plus le niveau sportif atteint est élevé, plus l’entraîneur est responsable de la violence physique perpétrée à l’endroit des athlètes, ce qui n’est pas le cas pour les autres formes de violence, où les pairs athlètes demeurent les principaux auteurs. Toujours selon cette étude, l’entraîneur devient même le principal auteur de violence physique à partir d’un niveau de compétition national et international [28].

Le genre constitue également un facteur de risque, mais diffère en fonction de la forme de violence étudiée. Les résultats de Vertommen et ses collaborateurs ainsi que ceux d’Alexander et ses collaborateus montrent que les garçons vivent plus de violence physique, et que les filles vivent plus de violence sexuelle. En ce qui concerne la violence psychologique, aucune différence significative n’a cependant été démontrée entre les filles et les garçons [12,28]. Un autre facteur de risque souvent discuté dans la littérature est celui de l’âge des sportifs. Pour certains auteurs, les jeunes constitueraient un groupe plus vulnérable à la violence dans ce contexte en raison de leur forte présence dans le milieu du sport organisé, mais aussi parce qu’ils sont dans une phase de vulnérabilité et de transition (dans le cas de l’adolescence) [88,89]. Toutefois, cette vulnérabilité n’a pas encore été démontrée empiriquement.

De façon plus spécifique, les données à l’égard de la violence perpétrée par un entraîneur montrent que le genre ne constitue pas un facteur de risque pour l’abus sexuel [8,28]. De plus, des récits d’athlètes féminines abusées permettent de mettre en lumière certains profils d’athlètes possiblement à risque, notamment ceux ayant une faible estime de soi, des troubles du comportement alimentaire et une très grande dépendance envers l’entraîneur [90,91]. En ce qui concerne la violence psychologique et physique commise par un entraîneur, il semble que le niveau sportif plus élevé constitue un facteur de risque associé à la violence psychologique [7], et que les sportifs plus jeunes seraient probablement plus à risque de subir de la violence physique [23].

Les facteurs de risque liés à l’individu sur le plan de la violence perpétrée par les pairs ont pour leur part été abordés dans les études sur le bizutage, l’intimidation ainsi que la violence physique en situation de compétition. Concernant le bizutage, certaines études ont démontré que les hommes étaient plus nombreux à en être victimes [69,71], tandis que d’autres n’ont pas démontré de différence entre les genres [67,70]. L’âge des athlètes est également un élément important à considérer, puisque les athlètes universitaires semblent vivre davantage de bizutage que les athlètes qui fréquentent une école secondaire [29]. Il semble également exister une grande variabilité dans les conclusions des études quant au type de sport pratiqué par les athlètes. Selon quelques études, les athlètes qui pratiquent un sport d’équipe où les contacts physiques sont autorisés (ex. : football, hockey, rugby) seraient les plus susceptibles de subir du bizutage [70,71,92]. Toutefois, ce résultat n’a pas été confirmé par d’autres études qui ont pour leur part indiqué que les athlètes qui pratiquent un sport sans contact étaient également à risque [29,67]. En ce qui concerne l’intimidation, les minorités sexuelles [93], les minorités ethniques [94] ainsi que les jeunes ayant un surplus de poids [95] seraient plus à risque de vivre de l’intimidation en contexte sportif. Aussi, certaines études indiquent que les garçons [32,96] seraient plus à risque d’être victimes d’intimidation que les filles, alors que des études récentes n’ont documenté aucune différence entre les deux sexes [30,31]. Le genre de l’entraîneur pourrait également avoir un lien avec les expériences d’intimidation chez les athlètes. En effet, avoir un entraîneur masculin serait associé à plus de victimisation chez les athlètes [31]. Toutefois, l’étude de Adler n’a pas confirmé ce résultat [30]. Enfin, le sport pratiqué ne semble pas influencer de manière spécifique les expériences d’intimidation entre les athlètes [30,31,96]. Pour terminer, la violence physique vécue en situation de compétition semble se manifester davantage chez les athlètes plus âgés, plus expérimentés et de niveau plus élevé [5,78,97,98]. Les conclusions quant au genre sur cette question semblent toutefois mitigées. Lorsque le genre des participants a été comparé, certaines études ont indiqué que les hommes étaient plus à risque [39,78,81]. L’étude de Gendron et ses collaborateurs a plutôt relevé un risque plus élevé chez les filles [32].

Relationnels

Sur le plan relationnel, il semble qu’une position de pouvoir d’une personne envers une autre soit au cœur du risque de victimisation en contexte sportif. La violence interpersonnelle peut ainsi se manifester au sein de la relation entre les entraîneurs et les athlètes [23,89,99,100], entre les recrues et les vétérans [17,101] ou encore entre athlètes dont certains ne correspondent pas aux normes sociales et culturelles du sport de façon générale ou du sport pratiqué en particulier [93–95]. Bref, les situations où il existe des relations de pouvoir asymétriques revêtent une grande importance dans l’analyse de la violence exercée en contexte sportif.

En outre, en ce qui a trait à la violence de la part d’un entraîneur, les écrits qui s’appuient sur des données qualitatives démontrent que le contrôle exercé par l’entraîneur sur la vie des athlètes (diètes, poids, sommeil, relations amoureuses, vie sociale, etc.) ainsi que la confiance extrême, voire aveugle des parents ou des athlètes eux-mêmes envers l’entraîneur, constituent des facteurs à considérer [23,90,102,103]. D’autres études ont également mis en lumière la présence de relations difficiles entre les parents et les athlètes, ainsi que le faible degré de surveillance parentale allant jusqu’à l’abandon du contrôle parental au profit de celui de l’entraîneur [90,104]. Certains auteurs ont même fait état d’une vulnérabilité accrue des athlètes lorsque ces derniers se retrouvent dans une situation où les parents ont investi des sommes importantes dans leur carrière et que plusieurs personnes « dépendent » de leur implication sportive et de leurs performances (ex. : commanditaires). Ce sentiment d’emprisonnement chez ces athlètes peut les mener à accepter ou à tolérer des situations de violence [27,105]. Enfin, la présence d’attentes irréalistes de performance de la part des entraîneurs ainsi que de piètres performances seraient également des facteurs de risque de violence physique et psychologique [23,100]. Sur le plan de la violence entre les athlètes, il semble qu’une dynamique de groupe négative au sein de l’équipe (leaders négatifs, relations conflictuelles, etc.) soit susceptible de donner naissance à des comportements d’intimidation dans le contexte sportif [37].

Organisationnels

Une multitude d’écrits ont soulevé l’importance de considérer les caractéristiques propres aux organisations sportives, ainsi que la façon dont est structuré le système sportif dans l’analyse des causes de la violence dans le contexte sportif [3,4,14,16,27,46,58,90,106,107]. Mountjoy et ses collaborateurs mentionnent que l’intérêt médiatique pour les athlètes, l’intensité de la pratique sportive, la relocalisation des jeunes à l’extérieur du milieu familial en raison des centres d’entraînement centralisés, des pratiques qui « nécessitent » la prise de mesures physiques, ainsi que la pratique d’initiations sportives et de bizutage sont des facteurs de risque organisationnels importants de la violence envers les jeunes athlètes [11]. D’autres auteurs ont également pointé du doigt l’utilisation ou l’imposition de charges d’entraînement excessives aux jeunes athlètes [26] ainsi que la spécialisation précoce ou hâtive [108] comme étant des facteurs augmentant la vulnérabilité aux diverses situations d’abus de la part de personnes en situation d’autorité dans le contexte sportif. Les auteurs notent également que les athlètes sont particulièrement vulnérables lorsque le sport pratiqué comporte de nombreuses occasions de se retrouver seul avec l’entraîneur (voyages sans supervision ou faible supervision, camps d’entraînement, douches, vestiaires, transport, séjours dans les hôtels, etc.) [90,100]. Smits et ses collaborateurs dressent également le portrait de certaines organisations sportives où l’accès aux parents est restreint, voire interdit, où peu d’explications leur sont données sur le cheminement de leur enfant, et où les liens des jeunes avec l’extérieur (relations sociales, etc.) sont restreints. Ce genre de milieu favorise une certaine forme d’isolement chez les jeunes sportifs à l’intérieur de la structure, les rendant ainsi plus vulnérables [102].

Plusieurs chercheurs font également état de facteurs associés aux mesures de prévention et de gestion des cas de violence au sein des organisations sportives. Ces études font état notamment du faible contrôle du personnel et de l’absence d’enquête lors du recrutement du personnel, d’une faible utilisation des codes d’éthique et de conduite nationaux et spécifiques au sport, ainsi que de l’absence relative de climat pour débattre des problématiques de violence [8,58,90,109–114]. Dans une étude ayant porté sur la prévention des abus sexuels dans les organisations sportives québécoises, Parent et Demers mentionnent un certain nombre de facteurs de risque : vision négative de la prévention, manque de formation et d’information du personnel, des bénévoles, des parents, des entraîneurs et des athlètes sur ces questions, manque de règles claires sur les limites de la relation entraîneur-athlète, faible leadership de l’organisation sportive dans le dossier, peu de filtrage à l’embauche, peu de règles sur la gestion du comportement des entraîneurs, absence ou incompréhension des mesures de gestion des cas, et manque de coordination entre les différentes instances impliquées dans la problématique [114]. Les règles du jeu de certains sports qui acceptent les contacts brutaux entre les joueurs (ex. : hockey, football, rugby, boxe) peuvent également contribuer à la présence de la violence physique entre les joueurs [5,115–117]. Les athlètes évoluant dans ces contextes apprennent donc à utiliser la violence, et ce, sans qu’une sanction soit nécessairement prononcée étant donné que le succès dans ces sports dépend pour certains de l’utilisation de ces contacts physiques brutaux (ex. : mise en échec corporelle, tacle dangereux, plaquage direct, coup de poing). Peu d’études ont tenté de comparer les sports entre eux. Toutefois, la communauté scientifique avance que les sports de collision, où les contacts physiques sont essentiels pour la réussite (ex. : boxe, arts martiaux), de même que les sports de contacts impliquant des contacts accessoires légaux (ex. : hockey sur glace, football, rugby) seraient les pratiques sportives les plus à risque [5,118].

Sur le plan du bizutage, il semble difficile de contrer et d’empêcher le phénomène lorsqu’il y a peu de contrôle des activités d’initiation par les acteurs du système sportif (entraîneurs, administrateurs sportifs, etc.), ou encore s’il y a peu de règles et de sanctions préétablies dans les organisations sportives et les institutions académiques  [17,118,119].

Socioculturels

La normalisation et la tolérance de la violence en contexte sportif par les acteurs du système sportif, par les médias et par la population en général est le facteur de risque socio-culturel le plus documenté dans le domaine jusqu’à maintenant, et ce, pour l’ensemble des formes de violence [5,8,10,23,28,29,41,71,117,120,121]. Par exemple, des études démontrent la normalisation de la violence sexuelle et des relations sexuelles entre entraîneurs et athlètes mineurs [8,19,20,65]. D’autres ont observé la normalisation – par les parents, les athlètes, l’équipe médicale, les administrateurs sportifs, ainsi que les entraîneurs eux-mêmes – de l’usage de la violence psychologique par les entraîneurs [100,103,120,122]. Pinheiro et ses collaborateurs ont également documenté une certaine normalisation et une tolérance de la violence physique provenant d’un entraîneur, à la fois chez les parents et chez les athlètes [23]. Waldron a pour sa part démontré que dans les équipes sportives où le bizutage est perçu comme étant la norme, les athlètes sont plus exposés à cette forme de rituel [29], tandis que de nombreux ouvrages ont fait état de la normalisation/tolérance de la violence entre les joueurs en situation de match [3–5,115,117,123]. La violence entre les joueurs sur le jeu n’est pas toujours vue ou perçue comme de la « vraie » violence, car elle est inhérente à plusieurs sports (ex. : boxe, rugby, hockey, lutte, football) et est vue comme un moyen d’intimider, de gagner et de développer la masculinité et le caractère [107,124–126].

Cette normalisation peut s’expliquer de diverses façons. Parmi les mécanismes socioculturels pouvant expliquer la violence en contexte sportif, certaines théories et approches sont souvent citées dans les divers écrits à ce sujet. Il s’agit de la théorie de l’apprentissage social [127,128], celle du sport comme sous-culture violente (Atkinson et Young, 2008) ainsi que celle du Sport Ethic [44]. Bien qu’ayant chacune des limites connues [3], ces théories et approches permettent de mettre en évidence que les athlètes sont socialisés dans un milieu où les participants sont parfois appelés à apprendre des tactiques violentes, et où la violence est utilisée et acceptée par divers acteurs influents [5,107,117]. Il semble en effet que l’approbation de comportements violents de la part des entraîneurs, des parents, des coéquipiers ainsi que des spectateurs favoriserait la survenue de la violence sur le jeu [4,107,117,129,130]. De plus, les athlètes vivent dans un environnement où des situations autrement considérées comme violentes ou anormales sont parfois justifiées par la nécessité de performance ou de résultats [44,46]. Cette importance accordée à la victoire et aux résultats est en effet souvent citée comme un facteur contribuant à la reproduction de la violence envers les athlètes dans le contexte sportif [27].

Dans le milieu sportif, il semble que l’on s’attende en effet à ce que les athlètes performent, mais on s’attend également à ce que leur comportement en entraînement et en compétition respecte certains standards. Hughes et Coakley ont documenté la présence – chez les athlètes ainsi que chez ceux qui gravitent dans le contexte sportif (parents, entraîneurs, etc.) – de quatre éléments qui caractérisent ce que l’on s’attend d’un athlète, à savoir : 1) qu’il se sacrifie pour le sport et son équipe; 2) qu’il se distingue; 3) qu’il accepte les risques liés à sa pratique (ex. : blessures); 4) qu’il refuse d’accepter ses limites dans la poursuite de la victoire [44]. D’autres auteurs ont pour leur part démontré que le respect de l’autorité, le contrôle de la vie des athlètes, la conscience de la hiérarchie et l’obéissance aux demandes des entraîneurs sont des situations communes et valorisées au sein de la pratique sportive [27,29,102,120,131,132], et constituent des conditions pour l’oppression et la violence.

Il n’est donc pas surprenant de voir qu’il existe un certain « code du silence » entourant la victimisation [23,71,102,113], et qu’il existe en quelque sorte une culture de dépendance et d’obéissance des athlètes envers l’entraîneur [102]. Des entraîneurs utilisent en effet des techniques pour maintenir l’obéissance, comme l’isolement de l’athlète de son milieu social externe au sport (famille, amis), la régulation du corps des jeunes athlètes (comment gérer les blessures et apprivoiser la douleur, contrôle du poids, etc.) et l’intimidation (climat de peur face à l’entraîneur, menaces pour faire ce qu’il demande, etc.) [102]. De par leur double position d’athlète et d’enfant, les jeunes sportifs ont souvent peu de pouvoir et sont donc particulièrement vulnérables [27,132,133]. Selon certains chercheurs, l’intérêt et le bien-être des jeunes sportifs peuvent devenir secondaires en comparaison avec ce qu’ils peuvent « apporter » à l’organisation sportive et au système sportif en général [27,120]. Certains vont même jusqu’à avancer que le système sportif actuel ne protège pas suffisamment les jeunes sportifs, en particulier les jeunes sportifs d’élite, et que des mécanismes devraient être mis en place pour favoriser leur santé, leur sécurité et le respect de leurs droits [14,27,132–135].