Conséquences de la violence sur la santé

La reconnaissance des nombreuses conséquences de la violence sur la santé physique et mentale a mené à l’adoption par l’Assemblée mondiale de la santé de trois résolutions visant à inviter les pays membres à s’attaquer à ce problème de santé publique (WHA49.25 en 1996, WHA56.24 en 2003 et WHA67.15 en 2014). L’éventail des effets de la violence sur l’intégrité physique et morale des individus et des populations est vaste, allant d’ecchymoses, de fractures, de symptômes dépressifs, d’état de trouble post-traumatique, de problèmes de santé reproductive jusqu’à des conséquences irréversibles tels des handicaps et le décès [1,18,20].

Envisagée sous l’angle de la perspective des parcours de vie, l’ampleur des conséquences de la violence sur la santé est influencée par plusieurs éléments. Tout d’abord, les conséquences doivent être examinées en considérant des dimensions liées au temps et à la chronologie des événements, par exemple le moment et la durée de l’exposition à la violence, si la violence a été vécue pendant une étape sensible du développement ou pendant une période de transition. De même, chaque stade de la vie comporte des enjeux propres qui influencent le développement et la nature des séquelles. Par ailleurs, comme le fait ressortir le modèle écologique, la prise en compte des caractéristiques de la personne et de son environnement ainsi que sa position sociale quant aux inégalités permet de comprendre et d’expliquer certaines conséquences de la violence. Enfin, il ne faut pas négliger l’impact des expériences de violence selon leur nature (types et formes, cooccurrence, polyvictimisation, etc.) ainsi que la récurrence de cet impact sur la santé physique et mentale des victimes.

Qu’est-ce qui explique les conséquences de la violence sur la santé à long terme?

Les principales études ayant démontré des liens entre une exposition à la violence et des problèmes de santé observés des années, voire des décennies plus tard se sont intéressées aux effets à long terme de la maltraitance subie dans l’enfance. Ces études ont démontré des associations statistiques entre diverses formes de violence (physique, sexuelle, exposition à la violence conjugale, psychologique) et des problèmes de poids [33], la consommation de drogues, et des problèmes de santé mentale ou physique [34–40]. Les études ayant porté sur les expériences adverses dans l’enfance ont montré leur association avec des habitudes de vie dommageables pour la santé (tabagisme, consommation de drogues et d’alcool, comportements sexuels à risque, etc.), des problèmes de santé mentale (anxiété, dépression, tentatives de suicide, etc.), des maladies chroniques (hypertension, maladies cardiovasculaires, hépatites, etc.), et même une mortalité prématurité [27–30,41,42]3. L’analyse de données québécoises a démontré une association forte et marquée entre les expériences de violence vécues avant 16 ans et les troubles mentaux ou liés à la consommation de substances, les idéations suicidaires et les tentatives de suicide à l’âge adulte [43].

Dans une perspective des parcours de vie, la prise en compte des expériences antérieures de violence est nécessaire à la compréhension des conséquences sur la santé, tout comme d’autres paramètres susceptibles de favoriser la résilience ou le développement de séquelles à long terme (moment de l’exposition, nature et durée de l’exposition, cumul, stratégies d’adaptation déployées, violence actuelle, etc.). Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer les mécanismes par lesquels la violence vécue à différentes étapes de la vie influence la trajectoire de santé des personnes à des stades plus avancés. Ces mécanismes ne sont pas mutuellement exclusifs, et peuvent agir en interaction ou s’amplifier.

Aspects développementaux

Les évidences scientifiques démontrent de plus en plus l’effet marquant et à long terme des comportements violents et négligents infligés à des enfants sur la structure et le fonctionnement du cerveau, sur le développement du système nerveux et même sur l’expression des gènes4 [16]. La plasticité du cerveau dans les premières années de vie fait en sorte que des périodes sont particulièrement sensibles et réactives aux expériences et aux environnements, tant favorables que défavorables, laissant une empreinte biologique susceptible d’expliquer des problèmes de santé qui se manifestent plus tard dans la vie [44]. La concentration d’expériences de victimisation violente dans les premières années de la vie, soit à des étapes charnières du développement, laisserait présager un impact important sur la trajectoire de santé [37].

Altération de la réponse au stress

L’exposition à la violence dans la petite enfance, en l’absence du soutien d’une personne significative, constitue un facteur de stress difficilement gérable et susceptible de provoquer des modifications physiologiques importantes, altérant ainsi la réponse au stress de façon permanente [6,44]. Cette altération de l’activation et de la réponse au stress exercerait une pression sur l’organisme des personnes susceptible d’engendrer ultérieurement des problèmes de santé, tels que des maladies cardiovasculaires [16].

Stratégies d’adaptation

Pour certains auteurs, les mauvaises habitudes de vie seraient des comportements compensatoires (solutions) à la souffrance générée par les expériences négatives de l’enfance et de l’adolescence [29,42]. Les effets physiologiques générés par certains comportements à risque (tabagisme, consommation d’alcool, consommation excessive de nourriture, comportements sexuels à risque, etc.) seraient particulièrement efficaces à court terme pour atténuer ou apaiser les souffrances engendrées par les expériences adverses subies dans l’enfance, même si à long terme ils génèrent des problèmes de santé importants [30].

Cumul des conséquences

Une autre explication des effets persistants de la violence sur la santé des personnes met l’accent sur la notion de cumul. Les effets des expériences violentes peuvent s’additionner, peu importe qu’elles surviennent de façon récurrente, concomitante (cooccurrence et polyvictimisation) ou séquentielle (revictimisation), et ce, sans égard aux formes ou aux types de violence. Selon une logique additive, il est avancé que les conséquences sur la santé de chaque forme de violence vécue dans l’enfance se cumulent à l’âge adulte pour en augmenter la sévérité [35]. L’effet additif peut aussi agir selon une relation dose-effet, c’est-à-dire en fonction de l’augmentation de la durée et de l’intensité de l’exposition [45]. Les études sur les expériences adverses de l’enfance ont montré une relation dose-effet très marquée entre le nombre d’expériences vécues et l’ampleur des problèmes de santé physique et mentale répertoriés à l’âge adulte [29]. Certains auteurs distinguent des modèles de cumul selon que ce soit la somme des expériences qui génère des conséquences plus sévères (effet additif), l’effet d’une interaction entre plusieurs formes de violence qui occasionne des conséquences propres à cette combinaison, ou qu’il s’agisse d’un effet multiplicateur, c’est-à-dire que les expériences de violence se multiplient et amplifient les répercussions [40,42,44].

En résumé

La part des expériences de violence dans l’étiologie des problèmes de santé mentale et physique est de mieux en mieux connue. Cependant, des zones grises persistent malgré des avancées dans le développement des connaissances scientifiques, notamment parce que la plupart des études qui rendent compte des liens entre la violence et la santé à long terme font appel à des études rétrospectives pour mesurer l’exposition à la violence [42]. Les mécanismes explicatifs évoqués précédemment sont variés et complexes, et dépassent largement le cadre de ce rapport. La perspective des parcours de vie offre toutefois un cadre conceptuel pertinent pour aborder la question. Les chapitres de ce rapport fournissent quelques pistes sur ce qui peut expliquer les conséquences à long terme de la violence, et la persistance des séquelles lorsque la violence cesse.

  1. L’étude sur les expériences adverses de l’enfance a été critiquée, notamment quant à son incapacité à expliquer les mécanismes responsables des liens observés entre les expériences et la santé, le fait qu’il s’agisse d’une étude rétrospective, sujette au biais de mémoire quant aux expériences vécues avant l’âge de 18 ans, ainsi que la grande période d’exposition considérée (de la naissance à 18 ans). Malgré tout, l’étude a joué un rôle important dans la reconnaissance des effets sur la santé à long terme des mauvais traitements vécus tôt dans la vie  [16].
  2. L’épigénétique s’intéresse à l’étude de l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes.