Erreurs médicamenteuses chez les personnes âgées de plus de 60 ans institutionnalisées en Aquitaine-Poitou-Charentes

Auteur(s)
Patricia Bernadet
M.D., Centre Antipoison et de Toxicovigilance de Bordeaux, France
Lise Capaldo
Pharm. D., Centre Antipoison et de Toxicovigilance de Bordeaux, France
Julie Kfoury
Pharm. D., Centre Antipoison et de Toxicovigilance de Bordeaux, France
Françoise Penouil
Pharm. D., Centre Antipoison et de Toxicovigilance de Bordeaux, France
Patrick Nisse
M.D., Centre Antipoison et de Toxicovigilance de Lille, France
Magali Labadie
M.D., responsable médical, Centre Antipoison et de Toxicovigilance de Bordeaux, France

Résumé

Les erreurs médicamenteuses dans les établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (ÉHPAD) sont nombreuses. Dans ces établissements, le personnel infirmier prépare les médicaments prescrits, et les Centres Antipoison et de Toxicovigilance (CAPTV) sont souvent appelés à la suite de la survenue d’erreurs médicamenteuses chez les résidents de ces établissements. L’objectif de l’étude présentée ici était de décrire les causes des erreurs médicamenteuses les plus fréquentes survenant dans les ÉHPAD à partir des dossiers de l’année 2014 du CAPTV de Bordeaux (Aquitaine-Poitou-Charentes). Au cours de cette année, ce CAPTV a été interrogé en ce qui concerne 14 142 personnes dont 10 % avaient 60 ans ou plus. Parmi tous ces cas, la proportion de personnes institutionnalisées et victimes d’une erreur médicamenteuse était de 0,5 %, et, sur la totalité des patients victimes d’une erreur médicamenteuse, 21 % étaient âgés de 90 ans et plus. Un seul décès a été noté, et 9 % des patients étaient symptomatiques. Parmi les causes de l’erreur médicamenteuse se trouve : une erreur de préparation du pilulier, une erreur d’administration du traitement et une erreur de transcription ou de compréhension de l’ordonnance dans, respectivement, 38 %, 45 % et 3 % des cas. Cette erreur médicamenteuse repose sur trois facteurs essentiels : la prescription, la préparation et la délivrance. Pour limiter ces erreurs, le pharmacien d’officine, contribuant à la qualité et à l’adéquation de la prise en charge médicamenteuse des résidents, devrait donc être sollicité plus fréquemment pour approvisionner en médicaments les établissements de soins et les établissements médico-sociaux dont font partie les ÉHPAD.

Introduction

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), «  Une erreur médicamenteuse est un événement évitable au cours duquel une dose de médicament reçue par le patient diffère de ce qui avait été prescrit ou ne correspond pas à la politique et aux procédures de l’hôpital »(1). En France, la consommation moyenne annuelle de boîtes de médicaments par habitant est de 48 et elle augmente avec l’âge. La France compte 12 millions de personnes de plus de 60 ans dont 6 % vivent en institution(2). L’erreur médicamenteuse (EM) dans les structures de soins pour les personnes âgées constitue un risque potentiel réel non négligeable. Les établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (ÉHPAD) désignent des institutions qui sont des lieux de vie au sein desquels un médecin coordonnateur s’assure de la prise en charge gérontologique et où des infirmiers et des infirmières réalisent la surveillance et prodiguent les soins (24 heures par jour). Ces établissements peuvent être dotés ou non d’une pharmacie à usage intérieur (PUI). Ceux qui n’en ont pas s’approvisionnent auprès d’une pharmacie d’officine. Très souvent, les résidents souffrent de diverses pathologies, et leur prise en charge médicale comporte l’administration de plusieurs médicaments : la prise quotidienne moyenne par personne est de 7 médicaments différents(2). Ceci nécessite que le circuit du médicament de la pharmacie au résident soit clairement établi. Ce circuit comprend trois étapes : la prescription, la dispensation et l’administration; il est cependant plus complexe en ÉHPAD, puisqu’il comporte des étapes intermédiaires qui augmentent le risque d’erreur médicamenteuse(2). Les CAPTV sont régulièrement contactés en raison de la survenue d’une erreur médicamenteuse chez ces résidents âgés. Ils sont également contactés afin que du soutien quant à la prise en charge de ces résidents soit apporté aux ÉHPAD. Au moment d’un appel, un dossier informatique est ouvert dans le Système d’Information du Centre Antipoison (SICAP) et est enregistré au sein de la Banque nationale des cas d’intoxications (BNCI). C’est à partir de la BNCI qu’il a été possible d’extraire les dossiers utiles pour l’étude présentée ici dont l’objectif était de décrire les causes des erreurs médicamenteuses les plus fréquentes survenant dans les ÉHPAD.

Méthodologie

Il s’agit d’une étude rétrospective des cas d’erreurs médicamenteuses survenues chez les patients âgés d’au moins 60 ans vivant en institution. Pour ce faire, les auteurs de l’étude ont eu recours aux données du CAPTV de Bordeaux (Aquitaine-Poitou-Charentes) enregistrées entre le 1er janvier et le 31 décembre 2014. Les données enregistrées dans le SICAP sont codées à l’aide des recommandations de bonnes pratiques définies par le groupe de travail qualité-méthode des CAPTV. Quant aux circonstances, elles sont codées à partir du thésaurus dédié, et chaque item comporte une définition. L’item erreur médicamenteuse n’existant pas dans le thésaurus, les items suivants ont été retenus :

  • Erreur thérapeutique : « Erreur, quel que soit son type (prescription, délivrance, patient, médicament, forme pharmaceutique, posologie, voie), survenant lors d’une intention de traiter, qu’il s’agisse d’un traitement prescrit ou d’une automédication ».
  • Accident thérapeutique : « Effet indésirable supposé ou avéré consécutif à l’utilisation d’un médicament ».
  • Accidentelle autre : « Circonstances accidentelles non définies spécifiquement dans le thésaurus ».
  • Défaut de perception du risque : « Exposition accidentelle liée à l’incapacité du patient à analyser la dangerosité potentielle de la situation (enfant, patient dément, autiste ou ayant un autre trouble neuropsychiatrique) ».
  • Mésusage ou surdosage médicamenteux non suicidaire : « Surdosage médicamenteux volontaire, en connaissance de cause, pour augmenter l’effet jugé insuffisant (calmer une douleur, dormir) ».

Chaque dossier a ensuite été revu et analysé, et seuls ceux conformes à la définition de l’OMS ont été retenus. Par ailleurs, les dossiers dans lesquels les symptômes n’avaient pas de lien de causalité avec les médicaments impliqués lors de la survenue de l’erreur ont été exclus. 

Résultats

Du 1er janvier au 31 décembre 2014, le CAPTV de Bordeaux a été interrogé en ce qui concerne 14 142 personnes dont 1 425 étaient des patients âgés d’au moins 60 ans (10 %). Parmi ces patients, 76 résidaient en institution (5,3 % de la population des 60 ans et plus et 0,5 % de la population totale) ont été victimes d’une erreur médicamenteuse et ont été inclus dans l’étude.

La répartition par classe d’âge était de 22,4 % pour les patients âgés de 60 à 69 ans (n = 17), de 13,2 % pour ceux âgés de 70 à 79 ans (n = 10) et de 43,4 % pour ceux âgés de 80 à 89 ans (n = 33). Quant aux patients de 90 ans et plus, ils représentaient 21 % (n = 16) du nombre total de patients inclus dans l’étude.

Les appels concernant des erreurs médicamenteuses (EM) provenaient majoritairement des ÉHPAD (90 %) suivis des maisons de retraite non médicalisées (10 %), c’est-à-dire des maisons sans infirmier ou infirmière sur place. Quant aux circonstances de survenue de ces EM et leurs causes, elles sont présentées dans les tableaux 1 et 2 (voir le bulletin complet en version PDF). Dans 75 % des cas, la circonstance de survenue des EM est une erreur thérapeutique, et, dans 14,5 % des cas, la circonstance est un défaut de perception du risque (voir le tableau 1 dans le bulletin complet en version PDF). En revanche, les deux principales causes d’erreur sont dans 45 % des cas une erreur d’administration du traitement, et, dans 38 % des cas, une erreur de préparation des piluliers (voir le tableau 2 dans le bulletin complet en version PDF).

Une erreur médicamenteuse aboutissait pour un des soixante-seize cas à un décès, alors que sept patients étaient symptomatiques et soixante-huit autres asymptomatiques à la suite d’une telle erreur. La nature des symptômes n’a pas été étudiée de manière détaillée, mais tous les symptômes observés étaient reliés aux médicaments en cause lors de la survenue de l’erreur. 

Discussion

Dans les données du CAPTV de Bordeaux, les patients institutionnalisés âgés d’au moins 60 ans représentaient 0,5 % des dossiers enregistrés, et, dans cette population, les erreurs médicamenteuses n’étaient pas rares, puisqu’elles constituaient 5,3 % des cas.

Les causes de la survenue de ces erreurs médicamenteuses sont multiples. Tout d’abord, lors de la préparation du pilulier, il peut y avoir une confusion entre les différentes formes galéniques existantes pour un même principe actif à l’origine d’un surdosage ou d’un sous-dosage, mais sans changement essentiel de la nature du traitement (la nicardipine, par exemple, existant sous forme de comprimé à libération immédiate et sous forme de gélule à libération prolongée). Un autre type de confusion peut également se produire entre deux formes galéniques de spécialités différentes sensiblement identiques (par exemple deux gélules blanches et rouges administrées l’une à la place de l’autre et correspondant à deux principes actifs différents). Une erreur peut avoir des conséquences non négligeables sur le patient en raison du non-respect de la prescription médicale. Le plus souvent, cette erreur est liée au fait que la préparation des piluliers ne constitue pas une tâche à part entière dans certaines structures (personnel infirmier seul pour préparer les piluliers, répondre au téléphone, prodiguer les soins aux patients). À ces causes, on peut également ajouter l’acte de déconditionnement des médicaments, lesquels, sans leur plaquette thermoformée, peuvent être confondus avec les autres préparations pharmaceutiques de forme galénique équivalente(2). Les médicaments génériques peuvent également être à l’origine d’erreurs, car le changement d’aspect du médicament générique comparativement au médicament original peut induire de la confusion chez le personnel infirmier ou les patients.

Par ailleurs, une erreur d’administration du contenu du pilulier peut se produire à deux niveaux. Soit le contenu du pilulier n’est pas destiné au bon résident, soit il n’est pas administré par la bonne voie. Les origines de ces erreurs sont multiples, elles peuvent être liées à la population de patients (homonymes), à la taille de la population de résidents (grandes structures), à du personnel intérimaire, à une mauvaise ergonomie du pilulier ou à une inscription peu claire du nom du patient, voire une inscription absente.

Enfin, une erreur de transcription de la prescription du médecin se produit lorsqu’il s’agit d’une prescription manuscrite difficilement lisible ou comportant des abréviations qui peuvent être des sources d’erreurs d’interprétation (par exemple « M » pouvant dire matin ou midi, ou bien « 3 comprimés par jour, matin, midi et soir » aboutissant à la délivrance de 9 comprimés au lieu de 3). De même, cette erreur peut survenir lorsqu’il existe plusieurs ordonnances provenant de différents médecins pour un même patient (par exemple de l’acétaminophène – ou paracétamol – prescrit sous deux dénominations commerciales différentes) ou encore lorsque le médecin fait ses prescriptions par téléphone à l’infirmier ou à l’infirmière sans qu’il y ait usage d’un support écrit formalisé.

En ce qui concerne le devenir des patients, le transfert éventuel dans les établissements hospitaliers n’a pas été étudié, car dépendant de nombreux facteurs (proximité de l’hôpital, heure de la journée, état de santé du patient).

Quant au décès mentionné plus haut dans le texte, il s’agissait d’une dame de 83 ans qui avait reçu de manière indue (non-observance de l’arrêt du traitement) et prolongée un traitement au lithium, alors qu’elle présentait une insuffisance rénale aiguë apparue brutalement dans un contexte de gastro-entérite.

Pourtant, depuis la promulgation de la loi Hôpital, Patient, Santé et Territoires en France en 2009 (loi HPST), le pharmacien d’officine est de plus en plus sollicité pour approvisionner en médicaments les établissements de soins et les établissements médico-sociaux dont font partie les ÉHPAD. Il devient, avec le médecin coordonnateur, l’acteur central de la qualité et de l’adéquation de la prise en charge médicamenteuse des résidents(3). À cet effet, l’acte de dispensation, qui est sous la responsabilité du pharmacien, repose sur trois piliers essentiels(4) :

  • l’analyse pharmaceutique de l’ordonnance médicale si elle existe;
  • la préparation éventuelle des doses à administrer;
  • la mise à disposition des informations et des conseils nécessaires au bon usage du médicament. 

Conclusion

L’erreur médicamenteuse repose sur trois facteurs essentiels : la prescription, la préparation et la délivrance du médicament. L’organisation interne d’une structure d’accueil pour les personnes âgées de même que le manque de temps et de moyens matériels et humains sont des éléments prédisposants. Ces erreurs sont nombreuses, et probablement sous-estimées, car toutes ne font pas l’objet d’un appel aux CAPTV. Elles peuvent être anticipées a priori par une gestion qui se base sur des procédures établies ainsi que sur un contrôle de la qualité du circuit du médicament, et, a posteriori, sur des remises en question et une volonté d’amélioration lorsque ces erreurs surviennent.

Remerciements

Les auteurs souhaiteraient remercier la Dre Ingrid Blanc-Brisset, responsable de la mission nationale du CAPTV de Paris, qui a effectué l’identification et la sélection des dossiers dans la Banque nationale des cas d’intoxications (BNCI).

Toxiquiz

Veuillez indiquer lequel des énoncés suivants est faux.

A. Les erreurs médicamenteuses dans les établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (ÉHPAD) ne sont pas si rares.

B. Dans les ÉHPAD, les erreurs médicamenteuses concernent des erreurs d’administration dans près de la moitié des cas.

C. Dans les ÉHPAD, les erreurs médicamenteuses sont toujours bénignes.

D. Le pharmacien a un rôle important dans la prévention des erreurs médicamenteuses dans les ÉHPAD.

* Vous voulez connaître la réponse? Voir la section Réponses dans le bulletin en version PDF.

Pour toute correspondance

Magali Labadie
Centre Antipoison et de Toxicovigilance de Bordeaux
Hôpital Pellegrin, place Amélie Raba Léon
33 076 Bordeaux Cedex
France
Tél : +33 5 56 79 87 76
Fax : +33 5 56 79 60 96
Courriel : [email protected]

Références

  1. Organisation mondiale de la santé. Les comités pharmaceutiques et thérapeutiques – Guide Pratique. [En ligne]. Genève: Organisation mondiale de la santé; 2005 [consulté le 19 déc 2015]. Disponible: http://apps.who.int/medicinedocs/fr/d/Js6173f/7.2.html
  2. Ministère des Affaires sociales et de la Santé – France. La politique du médicament en ÉHPAD. [En ligne]. Ministère des Affaires sociales et de la Santé; 2013 [consulté le 19 déc 2015). Disponible : http://www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_Politiquedu_medicament_en_EHPAD_final.pdf
  3. Code de la santé publique - Article L5126-6-1 [consulté le 19 déc 2015). Disponible : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160314
  4. Code de la santé publique - Article R4235-48 [consulté le 19 déc 2015). Disponible : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20160314

Bernadet P, Capaldo L, Kfoury J, Penouil F, Nisse P, Labadie M. Erreurs médicamenteuses chez les personnes âgées de plus de 60 ans institutionnalisées en Aquitaine-Poitou-Charentes. Bulletin d’information toxicologique 2016;32(1):29-32. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/erreurs-medicamenteuses-ch…

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 32, Numéro 1, mars 2016