Quantité d'antidotes pour les petits centres hospitaliers

Volume 27, Numéro 3

Auteur(s)
Benoit Bailey
M.D., M. Sc., F.R.C.P.C., Pédiatre et toxicologue médical, Section de l’urgence, Section de pharmacologie et toxicologie cliniques, Département de pédiatrie, CHU Sainte-Justine, Consultant médical, Centre antipoison du Québec
Jean-François Bussières
B. Pharm., M. Sc., M.B.A., F.C.S.H.P., Chef, Département de pharmacie et Unité de recherche en pratique pharmaceutique (URPP), CHU Sainte-Justine, professeur titulaire de clinique, Faculté de pharmacie, Université de Montréal

Éditorial

Il y a plus de 11 ans, nous publiions un article dans le Bulletin d’information toxicologique proposant une sélection de quantités minimales d’antidotes requises dans les établissements de santé québécois pour le traitement des intoxications(1). Ces suggestions comportaient des différences selon la nature de l’établissement (c.-à-d. des hôpitaux de 1re, de 2e et de 3e ligne). Le tableau avait également été publié dans la 2e édition de Les antidotes en toxicologie d’urgence du Centre antipoison du Québec (CAPQ)(2). Depuis, une nouvelle édition du carnet des antidotes est parue et celle-ci propose une quantité globale par antidote pour chacun des établissements sans tenir compte du niveau de soins et de la probabilité de traiter des intoxications nécessitant l’administration d’un antidote(3). Cette simplification nous est apparue nécessaire compte tenu de l’évolution du réseau de la santé (p. ex., mise en place de CSSS à vocation régionale, volonté de prise en charge régionale de cas complexes, etc.).

Ainsi, depuis la parution de cette dernière édition du carnet des antidotes, certains pharmaciens de plus petits centres hospitaliers (p. ex., moins de 100 lits de courte durée) ont évoqué la difficulté d’établir la quantité minimale à conserver dans leur centre compte tenu de leur situation. Doit-on stocker tous les antidotes proposés à la quantité minimale indiquée pour éviter tout risque clinique ou juridique? Ce commentaire vise à rappeler et préciser les éléments à considérer afin d’établir l’inventaire minimal approprié à chaque centre.

D’entrée de jeu, il est important de rappeler que la prise en charge d’un patient intoxiqué repose sur un ensemble de mesures incluant parfois des antidotes. La prise en charge appropriée de ces cas parfois exceptionnels sera d’autant meilleure que l’établissement ait revu ses processus (p. ex., conduite clinique générale, protocole de transfert, etc.). Comme on ne peut prédire par quelles substances sera intoxiqué le prochain patient vu à l’urgence de chaque établissement, il est important que chaque centre hospitalier isolé susceptible de recevoir un tel patient soit doté de tous les antidotes mentionnés dans le carnet selon le délai maximum d’administration établi par l’International Programme on Chemical Safety (IPCS) (voir tableau)(4). En plus, la quantité à conserver doit dépendre de la probabilité de poursuivre le traitement d’un patient intoxiqué dans son centre et du délai réaliste de transfert vers un autre établissement. Chaque établissement doit évaluer sa capacité de transfert en tenant compte de la disponibilité d’un transport, d’un corridor de services avec d’autres établissements, des conditions météorologiques saisonnières, etc.

Le tableau rappelle le délai maximal suggéré pour l’administration de l’antidote. Il apparait raisonnable d’affirmer que tous les établissements susceptibles d’offrir des soins de première ligne devraient stocker les antidotes requis en moins de 30 minutes. Si votre établissement est en mesure de procéder rapidement à un transfert et surtout dispose d’un protocole préétabli de référence rapide (p. ex., petit établissement à proximité d’un plus gros, recours potentiel à l’avion-ambulance), le stockage des quantités d’antidotes requis en moins de 2 heures ou de 6 heures peut varier en conséquence. La quantité minimale requise suggérée dans la 3e édition du carnet des antidotes réfère toujours au traitement partiel ou complet d’un patient de 70 kg pendant 24 heures(3). La sélection des antidotes peut aussi tenir compte de la présence de certains toxiques dans le milieu de l’établissement (p. ex., mine avec risque d’exposition professionnelle au cyanure, au plomb, etc.).

Avec l’évolution des conditions contractuelles d’achats de médicaments, il est de plus en plus difficile d’obtenir un crédit lorsque ces produits sont périmés. En outre, la problématique des ruptures d’approvisionnement fait en sorte qu’un établissement est parfois confronté à l’utilisation d’un produit périmé en stock et d’absence d’alternative. Il n’est certainement pas de notre compétence de statuer sur la façon sécuritaire de considérer l’utilisation exceptionnelle d’un antidote périmé en présence d’une rupture de stock. Toutefois, poser la question c’est y réfléchir, tant du point de vue clinique, juridique qu’éthique.

Enfin, mentionnons qu’à la suite d’une demande de la part de l’Association des pharmaciens en établissement de santé du Québec (A.P.E.S.), l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et le CAPQ réfléchissent à la mise en place d’un registre provincial des antidotes afin de faciliter la localisation des produits et des quantités disponibles sur le territoire québécois. En attendant cette éventuelle réalisation, chaque pharmacien a la responsabilité de bien s’arrimer avec le chef médical de son urgence afin d’assurer la disponibilité et l’utilisation optimale de ces produits. L’installation de cabinets automatisés décentralisés dans plusieurs urgences du Québec pourrait faciliter la mise en ligne des items et stocks disponibles dans ce registre provincial.

Tableau 1 - Délai maximum pour administrer un antidote selon l’International Programme on Chemical Safety (IPCS)(4)

Moins de 30 minutes

Moins de 2 heures

Moins de 6 heures

Anticorps spécifique de la digoxine

Atropine

Bicarbonate de sodium *

Bleu de méthylène

Chlorure de calcium

Gluconate de calcium

Dantrolène

Diazépam

Diphenhydramine*

Émulsion lipidique *

Glucagon

Inhibiteur ADH (un ou l’autre)

  • Éthanol
  • Fomépizole

Insuline régulière*

Naloxone

Phentolamine

Physostigmine

Sulfate de protamine

Pyridoxine

Trousse contre le cyanure (un ou l’autre)

  • Hydroxocobalamine
  • Trousse d’antidotes contre cyanure (si disponible, sinon thiosulfate de sodium en adjuvant à l’hydroxocobalamine)

Bromocriptine*

Carnitine*

Cyproheptadine*

Déféroxamine

Flumazénil

Leucovorine calcique

N-acétylcystéine

Octréotide*

Olanzapine*

Pralidoxime

Thiamine

Vitamine K1

*Indique que cet antidote ne fait pas partie de la liste de l’IPCS.

 

Pour toute correspondance

Pierre-André Dubé
Rédacteur en chef – Bulletin d’information toxicologique
Institut national de santé publique du Québec
945, avenue Wolfe, 4e étage, Québec (Québec)  G1V 5B3
Téléphone : 418 650-5115, poste 4647
Télécopieur : 418 654-2148
Courriel : [email protected]

Références

  1. Bailey B, Bussières JF. Suggestions de quantités minimales d’antidotes requises dans les établissements de santé québécois pour le traitement des intoxications. Bulletin d’information toxicologique 1999; 15 (2): 4-8.
  2. Les Antidotes en toxicologie d’urgence. 2e édition. Centre anti-poison du Québec, 2002.
  3. Bailey B, Blais R, Gaudreault P, Gosselin S, Laliberté M. Les antidotes en Toxicologie d’urgence. Québec : Centre antipoison du Québec, 2009, 163 p.
  4. Pronczuk de Garbino J, Haines J, Jacobsen D, Meredith T. Evaluation of antidotes: Activities of the International Programme on Chemical Safety. Clin Toxicol 1997;35:333-43.

Bailey B, Bussières JF. Quantité d'antidotes pour les petits centres hospitaliers. Bulletin d’information toxicologique 2011-07-15. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/quantite-d-antidotes-pour-les-petits-centres-hospitaliers

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 27, Numéro 3, juillet 2011