Quétiapine : drogue d'abus?

Volume 27, Numéro 4

Auteur(s)
Mylène Malenfant
B. Pharm., M. Sc., Pharmacienne, CSSS Montmagny-L’Islet

Résumé

La quétiapine, un antipsychotique de deuxième génération, fait l’objet de rapports de cas répertoriant son usage abusif. Les cas disponibles suggèrent une prédominance masculine chez des individus ayant des antécédents d’abus de substances. Les voies d’abus rapportées sont la voie orale, intranasale et intraveineuse. Bien que quelques hypothèses pharmacologiques aient été avancées, il n’y a à ce jour aucune explication claire quant à un risque d’abus plus important avec la quétiapine. Les cliniciens doivent demeurer alertes face au potentiel d’abus que représente ce médicament.

Mots-clés : Abus de substance, quétiapine, antipsychotique, toxicomanie

Introduction

Un patient souffrant de schizophrénie est surpris par un intervenant à inhaler des comprimés écrasés de quétiapine. Défini comme l’usage intentionnel de médicament à des dosages non indiqués ou par des voies ou à des fréquences d’administration inadéquates, l’abus de médicaments est un problème de santé publique important. Les rapports de cas d’abus d’antipsychotiques de deuxième génération, principalement la quétiapine, sont de plus en plus nombreux.

Abus de quétiapine

Les méthodes répertoriées pour consommer la quétiapine sont l’ingestion par la bouche, l’inhalation de comprimés écrasés et l’injection d’une solution de comprimés dissous(1,2). Avec ces deux dernières méthodes, le premier passage hépatique est évité, ce qui permet à une quantité importante de quétiapine d’atteindre le système nerveux central rapidement. La majorité des cas rapportés concerne des hommes ayant des antécédents d’abus de substances, particulièrement avec les benzodiazépines, mais aussi avec l’alcool et les opioïdes(1,2). Un résumé de certains des cas publiés sur les abus de quétiapine est présenté au tableau 1.

Tableau 1 - Résumé des cas d'abus de quétiapine
Auteur du cas Sexe Problème d’abus de substance Milieu Description de l'abus
Hussain et collab. 2005(3) F Multiples substances Prison Injection de comprimés dissous dans l’eau
Waters et collab. 2007(4) M Multiples substances Externe Injection de comprimés dissous dans l’eau et mélangés avec de la cocaïne
Reeves et  collab. 2007(5) M Alcool et benzodiazépines Externe Abus par la bouche
M Benzodiazépines Hôpital Abus par la bouche
M - Externe Abus par la bouche de doses plus importantes que celles prescrites
Murphy et  collab. 2008(6) M - Clinique psychiatrique externe Simulation de symptômes psychiatriques
Fischer et  collab. 2009(2) M Aucun mais problème de jeu compulsif Clinique externe Exagération de symptômes psychiatriques

La quétiapine ne semble pas se substituer à des drogues plus stimulantes comme la cocaïne et les amphétamines. Elle est principalement utilisée pour ses effets sédatifs et anxiolytiques(1,2). Dans l’un des rapports de cas publiés par Reeves et ses collaborateurs, l’un des patients abusant de quétiapine par voie orale a déclaré que l’effet calmant d’une dose de 200 à 300 mg était semblable à celui obtenu avec 1 mg de clonazépam(5). La quétiapine pourrait donc, sur le marché noir, remplacer certains sédatifs dont le potentiel d’abus est reconnu (benzodiazépines et barbituriques) et qui deviennent plus difficiles à se procurer. L’apparition de noms de rue pour désigner la quétiapine est aussi une preuve de sa présence importante sur le marché noir. On la désigne « Quell », « Susie-Q », « Baby Heroin » ou encore « Q-Ball », lorsqu’elle est mélangée à de la cocaïne(1,2). Il semble que la quétiapine remplace parfois l’héroïne en combinaison avec la cocaïne (speedball), une combinaison reconnue pour maximiser l’effet hallucinogène de cette dernière, tout en diminuant la dysphorie associée à l’effet de fin de dose(4).

Mécanismes

Les raisons neuropharmacologiques expliquant l’abus de quétiapine sont encore méconnues(1). De plus, son action sur de multiples neurotransmetteurs du système nerveux central (sérotonine, dopamine, acétylcholine, histamine) ainsi que les évidences croissantes concernant son efficacité dans le traitement des problèmes d’abus de substances ne font que brouiller davantage les pistes. La dissociation rapide de la quétiapine du récepteur dopaminergique est l’une des hypothèses expliquant son abus plus important comparativement aux autres antipsychotiques de deuxième génération(1). L’effet antihistaminique important de la quétiapine, entrainant la sédation, serait cependant l’hypothèse retenue par la majorité des auteurs. Fischer et Boggs ont rapporté que l’histamine aurait un effet inhibiteur sur le système de récompense dopaminergique. L’effet antihistaminique de la quétiapine pourrait donc entraîner une désinhibition de ce système. Cela pourrait expliquer pourquoi l’abus de quétiapine est surtout rapporté chez les individus ayant des antécédents d’abus de substances, puisque ces individus ont souvent un système de récompense dopaminergique hyperactif(2).

Recommandations aux cliniciens

Un problème d’abus de substance entraine chez le consommateur des comportements de recherche active de cette substance. Ainsi, en milieu carcéral, il semblerait que jusqu’à 30 % des patients simuleraient ou aggraveraient des symptômes psychiatriques pour obtenir de la médication. Dans la plupart des cas de simulation, les individus se plaignent d’un symptôme unique et très suggestif d’une pathologie psychiatrique, comme entendre des voix, en l’absence d’autres symptômes pouvant corroborer le diagnostic(7). Les cliniciens doivent donc demeurer alertes face à ces comportements suspects, surtout chez les individus ayant des antécédents d’abus de substances.

En cas de suspicion d’un problème d’abus d’antipsychotique, le traitement consiste à diminuer la consommation de cette substance jusqu’à l’arrêt. Lorsque possible, il est recommandé de changer cet antipsychotique par un autre à faible potentiel d’abus et à faible propriété antihistaminique comme l’halopéridol, la rispéridone ou encore l’aripiprazole. Si toutefois cette solution était inapplicable, limiter alors la quantité de comprimés en prescrivant de plus petites quantités d’antipsychotiques et augmenter la fréquence des visites(1).

Pour toute correspondance

Mylène Malenfant
Pharmacienne en psychiatrie
Hôpital de Montmagny – CSSS Montmagny-L’Islet
350, boulevard Taché Ouest, Montmagny (Québec)  G5V 3R8
Téléphone : 418 248-0630, poste 2920
Télécopieur : 418 248-5530
Courriel : [email protected]
 

Références

  1. Bogart GT, Ott CA, Ellingrod VL. Abuse of second-generation antipsychotics : what prescribers need to know. Current psychiatry. 2011 May; 10 (5) : 77-9.
  2. Fischer BA, Boggs DL. The role of antihistaminic effects in the misuse of quetiapine : a case report and review of the literature. Neurosci Biobehav Rev. 2010 Mar; 34 (4) : 555-8. Hussain MZ, Waheed W, Hussain S. Intravenous quetiapine abuse. Am J Psychiatry. 2005 Sep; 162 (9) : 1755-6.
  3. Waters BM, Joshi KG. Intravenous quetiapine-cocaine use (“Q-ball”). Am J Psychiatry. 2007 Jan; 164 (1) : 173-4.
  4. Reeves RR, Brister JC. Additional evidence of the abuse potential of quetiapine. South Med J. 2007 Aug; 100 (8) : 834-6.
  5. Murphy D, Bailey K, Stone M, Wirshing WC. Addictive potential of quetiapine. Am J Psychiatry. 2008 Jul; 165 (7) : 918.
  6. Pierre JM, Shnayder I, Wirshing DA, Wirshing WC. Intranasal quetiapine abuse. Am J Psychiatry. 2004 Sep; 161 (9) : 1718.

Malenfant, M. Quétiapine : drogue d'abus? Bulletin d’information toxicologique 2011-10-11. [En ligne] https://www.inspq.qc.ca/toxicologie-clinique/quetiapine-drogue-d-abus

Numéro complet (BIT)

Bulletin d'information toxicologique, Volume 27, Numéro 4, octobre 2011