Veille scientifique en santé des Autochtones, octobre 2020

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 Publications et articles scientifiques répertoriés


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Méthodologies et savoirs

Méthodologie de recherche et participation communautaire : une décennie de recherche en sciences sociales auprès des Autochtones au Canada

Dion, M.L., Díaz Ríos, C., Leonard, K. and Gabel, C. (2020). Research Methodology and Community Participation: A Decade of Indigenous Social Science Research in Canada. Canadian Review of Sociology/Revue canadienne de sociologie, 57, 122-146.

Contexte

Au Canada, la recherche en sciences sociales est régie par l’Énoncé de politique des trois conseils concernant l’Éthique de la recherche avec des êtres humains (EPTC) depuis 1998. Les politiques d’éthique de la recherche valorisent les méthodes de recherche participative auprès des communautés souvent exclues des zones de pouvoir comme les communautés autochtones.

La recherche participative requiert un partage des pouvoirs entre les chercheurs et la communauté. Cependant, les objectifs des uns et des autres peuvent se retrouver en tension. Les chercheurs doivent composer avec les barrières institutionnelles propres à la recherche participative; les communautés autochtones défendent une participation active et la valorisation de leurs savoirs et épistémologies.

Objectifs

Cette étude vise à mettre en lumière les relations entre les politiques de recherche, les cadres théoriques, les méthodes employées et la participation communautaire dans les publications en sciences sociales au Canada.

Méthodologie et données

Une recherche documentaire dans des bases de données et sites web universitaires en sciences sociales a permis d’identifier un corpus d’articles scientifiques révisés par les pairs et publiés entre 2005-2015. De ce lot, 497 sources ont été retenues. L’analyse porte sur la méthodologie et les paradigmes épistémologiques utilisés, le degré de participation des Autochtones, le fait que le projet soit initié et mené par des Autochtones et sur l’identité déclarée des auteurs (autochtones ou non).

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Des 497 sources retenues, moins de la moitié incluaient une interaction avec des Autochtones. Ces études étaient de nature conceptuelle ou théorique. Un nombre minime d’études (4,8 %, soit 24 sur 497) correspondaient à la définition d’une recherche menée par les communautés autochtones.

Les auteurs établissent une corrélation entre 1) la participation autochtone, mesurée par le niveau de participation de la communauté, la recherche menée par la communauté et les auteurs autochtones, et 2) l’incorporation d’épistémologies autochtones, des sources de données et des méthodes d’analyse plus participatives. De plus, cette étude démontre clairement que la plupart des recherches sont menées par des chercheurs non autochtones.

Les recherches impliquant une interaction avec les participants autochtones pourraient donc aller au-delà des exigences minimales de l’EPTC/EPTC2 pour approfondir et soutenir une participation significative des Autochtones.

Limites

Les auteurs soulignent l’ironie d’avoir utilisé une approche de classification et d’analyse issue de l’épistémologie occidentale. Ils n’ont sélectionné que des articles rédigés en anglais et ont choisi une forme très académique de diffusion des connaissances, soit l’évaluation par les pairs, qui n’est pas forcément cohérente avec les principes et valeurs des communautés autochtones. Ils spécifient aussi que les résultats de recherches non publiées ou de recherches appliquées menées par des gouvernements ou des organisations non gouvernementales ont été exclus.


Santé mentale et mieux-être

Intersectionnalité de la résilience : une étude de cas basée sur les forces auprès de jeunes autochtones urbains en Saskatchewan

Njeze, C., Bird-Naytowhow, K., Pearl, T., & Hatala, A. R. (2020). Intersectionality of Resilience: A Strengths-Based Case Study Approach With Indigenous Youth in an Urban Canadian Context. Qualitative Health Research.

Contexte

Plusieurs chercheurs en santé des Autochtones s’intéressent aux concepts de bien-être et de résilience comme facteurs pouvant améliorer la capacité des individus ou des communautés à s’adapter et même s’épanouir face à l’adversité. Pour combler le manque de recherches regroupant le concept d’intersectionnalité et l’approche basée sur les forces, les auteurs ont développé un nouveau cadre théorique, l’intersectionnalité de la résilience, afin de favoriser une compréhension holistique des facteurs impliqués dans le processus de résilience.

Objectifs

Cette recherche explore les interactions possibles entre les facteurs individuels, communautaires et structurels qui favorisent la résilience et le bien-être des jeunes autochtones urbains en Saskatchewan en mobilisant le cadre théorique de l’intersectionnalité de la résilience et les méthodologies autochtones.

Méthodologie et données

Les auteurs combinent les méthodologies autochtones (collaboration étroite avec les participants et la communauté, cercles de partage, observation participante, etc.) avec celle de l’étude de cas (Stake, 1995) dans l’analyse des expériences des jeunes autochtones. Cette alliance, décrite comme la « vision à deux yeux » (Two eyes seeing), permet d’allier les cadres et méthodologies autochtones avec les méthodes constructivistes occidentales. Les auteurs ont comparé les données recueillies à travers : quatre cercles de partage, 38 entretiens conversationnels, quatre séries de photovoice et de l’observation participante avec 28 jeunes pendant toute une année pour mieux saisir l’influence des facteurs sur la résilience et le bien-être des jeunes. Les études de cas sont basées sur l’expérience des six jeunes qui ont participé à l’ensemble des activités de recherche. Les jeunes et les représentants des organisations partenaires ont collaboré à chacune des phases de la recherche à intervalles réguliers.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Les jeunes décrivent la résilience comme une forte détermination de se développer tout au long de leur vie, que ce soit par les études, en gérant les difficultés, en devenant responsable et en influençant les autres de manière positive. La résilience exprimée par ces jeunes était soutenue par un lieu sécuritaire où s’évader ou encore par un élément positif sur lequel se concentrer. Pour les jeunes, la résilience signifie aussi d’être engagé dans des activités sociales ou communautaires, comme le bénévolat et des activités culturelles.

Les récits de vie des jeunes sont présentés selon trois thèmes englobants, soit : a) le renforcement de l’identité culturelle et des liens familiaux; b) l’engagement dans les groupes sociaux, le fait de prendre soin de soi et de sa communauté; c) les pratiques artistiques et le fait de développer un regard positif sur la vie. Les auteurs suggèrent de miser sur le développement de programmes axés sur la culture et l’expression artistique comme leviers pour engager les jeunes autochtones urbains dans la voie de la résilience.

Limites

Les auteurs identifient certaines critiques au concept d’intersectionnalité, comme le risque de confusion à tenter de mettre en commun un nombre élevé de facteurs. Aussi, le discours des jeunes aurait pu être nuancé par celui des intervenants ou les familles des participants.


Facteurs de risque associés au développement de l'anxiété chez les adolescents inuits du Nunavik

Lamoureux-Tremblay, V., Muckle, G., Maheu, F., Jacobson, S. W., Jacobson, J. L., Ayotte, P., Bélanger, R. E. & Saint-Amour D. (2020). Risk factors associated with developing anxiety in Inuit adolescents from Nunavik. Neurotoxicology and Teratology, 81.

Contexte

La littérature scientifique fait état des facteurs de risque associés à l’anxiété chez les jeunes. Les niveaux cliniques d’anxiété chez les jeunes sont associés à une détresse émotionnelle, une mauvaise qualité de vie et des troubles du fonctionnement social, familial et scolaire. La prévalence de l’anxiété au sein de la population inuite du Canada est peu documentée et certaines études identifient cette population comme étant à risque compte tenu des conditions de vie difficiles dans lesquelles plusieurs Inuits vivent. Le taux de suicide chez les jeunes Inuits est 11 fois supérieur à la moyenne canadienne.

En plus des facteurs socioéconomiques, les contaminants environnementaux, notamment le mercure, le BPC et le plomb, pourraient avoir un impact sur les risques de développer de l’anxiété. Le rôle potentiel de l’exposition aux contaminants environnementaux n’a à ce jour pas été examiné et les communautés arctiques sont les plus exposées aux métaux lourds et aux composés organochlorés qui se retrouvent dans la chaine alimentaire issue du territoire.

Objectifs

Cette recherche auprès d’adolescents inuits du Nunavik vise à examiner la relation entre l’anxiété et divers facteurs de risque pouvant avoir des effets observables ou persistants à long terme. Basée sur une série d’études longitudinales, cette recherche mesure des biomarqueurs objectifs liés aux aspects psychosociaux et à l’exposition aux contaminants environnementaux nocifs, de la période prénatale jusqu’à l’adolescence.

Méthodologie et données

Cette étude compte 89 participants (âge moyen = 18,4 ans; écart = 16,2 ans - 21,9 ans) provenant de 14 villages côtiers du Nunavik. L’anxiété a été évaluée à l’aide du Screen for Child Anxiety Related Emotional Disorders (SCARED) et du State-Trait Anxiety Inventory (STAI). Les données présentées proviennent d’une sous-étude réalisée en personne à Montréal dans un laboratoire de neuro-imagerie. Les adolescents volontaires ont séjourné trois jours à Montréal avec un parent. Les tests ont été complétés en anglais et les analyses statistiques ont été produites à l’aide du logiciel SPSS 22.

Les facteurs de risques potentiels liés au développement de l’anxiété ont été documentés à la naissance, à 11 ans et à 18 ans, et comprennent : les niveaux de produits chimiques (mercure, plomb, PCB) et de nutriments dans le sang, l’âge, le sexe, l’estimation du QI, la consommation de drogues et d’alcool, l’intimidation, l’exposition à la violence à la maison, l’insécurité alimentaire, le surpeuplement et le statut socio-économique.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Les résultats montrent une forte prévalence d’anxiété chez les adolescents inuits qui se situe généralement au-dessus du seuil clinique pour le SCARED (53,49 %) et pour le STAI-Trait (39,29 %). Les filles sont plus sujettes à faire de l’anxiété et le fait d’avoir vécu de l’intimidation dans la dernière année est aussi lié à l’anxiété chronique. Une plus faible évaluation du QI est également liée à un niveau plus élevé d’anxiété. Ces résultats concordent avec la littérature sur le sujet.

L’insécurité alimentaire, le niveau de mercure dans le sang et les carences nutritionnelles sont des facteurs de risque importants pour le développement de l’anxiété. Les données présentées dans cette recherche illustrent l’équilibre complexe entre les risques et les bénéfices de l’alimentation traditionnelle des Inuits aux prises avec l’insécurité alimentaire, car cette nourriture constitue une source importante de fer et de vitamine A, C et E.

Les données concernant le lien entre la présence de mercure dans le sang et l’anxiété chez les Inuits ne sont pas claires, mais les hypothèses associent le mercure à des effets neurotoxiques dans des régions clés du cerveau associées au traitement des émotions. De nouvelles recherches pour clarifier les conditions et les mécanismes impliqués dans cette problématique seraient souhaitables.

Limites

Les auteurs ont considéré les facteurs confondants, mais affirment qu’il est impossible de tenir compte de tous les facteurs confondants ayant une incidence sur les facteurs de risque. Par exemple, l’étude n’a pas tenu compte des évènements adverses qui auraient pu se produire dans l’année précédant l’enquête. De plus, la qualité du sommeil et le niveau d’activité physique n’ont pas été analysés comme des facteurs de protection au développement de l’anxiété.

Les auteurs soulignent que les tests et questionnaires se basent sur le modèle médical occidental et ont été faits en anglais. La conception de la santé mentale inuite, un état transitoire individuel et unique, distinct de la personne et lié à un contexte global, diffère aussi largement de la conception occidentale qui la lie à l’identité d’une personne. Finalement, le fait d’être à Montréal dans une autre région a pu avoir une incidence positive ou négative sur les niveaux d’anxiété des jeunes.


Programmes et approches en prévention et promotion de la santé

Combler le fossé entre la rhétorique et la pratique dans l’approche basée sur les forces en santé publique : une étude qualitative

Askew, D.A., Brady, K., Mukandi, B., Singh, D., Sinha, T., Brough, M. and Bond, C.J. (2020). Closing the gap between rhetoric and practice in strengths‐based approaches to Indigenous public health: a qualitative study. Australian and New Zealand Journal of Public Health, 44, 102-105. En libre accès : PDF

Contexte

Cet article présente les résultats d’un projet de recherche visant à examiner la pertinence de l'approche basée sur les forces (strengths-based approach) dans les programmes de santé publique autochtones en Australie. Cette approche a émergé au début des années 2000 dans les milieux autochtones en Australie et vise à s’écarter du discours basé sur le déficit (deficit discourse) dans lequel la santé des Autochtones est considérée comme un problème à régler.

Les auteurs qualifient « d’épidémique » la place de l’approche basée sur les forces dans la littérature en santé des Autochtones. Ils observent aussi un manque de constance dans sa définition et ses applications.

Objectifs

Cette recherche qualitative vise à revisiter la conceptualisation autochtone de l'approche basée sur les forces à partir de l’analyse du discours d’intervenants communautaires d’une organisation autochtone australienne.

Méthodologie et données

Des entrevues semi-dirigées ont été réalisées avec 12 intervenants communautaires, dont sept femmes. Onze participants s'identifient comme Autochtones et dix s'identifient comme appartenant à la communauté participante. Le recrutement s’est fait par la méthode boule de neige. Les entrevues ont été menées par deux chercheurs et enregistrées. Les verbatim ont été transcrits et codés pour analyser 1) la définition de l’approche par les participants (conception théorique) et 2) leur manière d’opérationnaliser l’approche au sein de l’organisation (disposition pratique). L'analyse a été faite à l'aide du cadre théorique de Martin & Mirraboopa (2003) selon les principes de la recherche et de l'ontologie indigéniste.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Pour les intervenants communautaires rencontrés, l'approche basée sur les forces relève du sens commun. Il s’agit d’une manière d'être et la seule façon de travailler en santé des Autochtones. Les rôles client-intervenant sont considérés comme égalitaires dans une relation d'apprentissage mutuel où chacun fait partie du problème et de la solution. Ancrés dans la communauté et possédant une connaissance expérientielle des conditions structurelles à la base des inégalités sociales et de santé qui touchent la communauté, les participants décrivent l'approche centrée sur les forces comme un engagement significatif dans la relation avec la personne, avec la certitude « qu’être autochtone est quelque chose de fantastique ».

Les auteurs mettent le lecteur en garde contre le discours de la santé publique, basé sur les forces, qui suggère aux personnes opprimées de « rester fortes » tout en ignorant les causes des inégalités sociales de santé sous-jacentes. En focalisant sur les indicateurs de surveillance, sur les maladies et sur la perception de la santé des Autochtones comme un problème à régler, la santé publique surveille et mesure le fossé entre les Autochtones et les non-Autochtones. Les auteurs suggèrent de s’intéresser plutôt à l’attribution du contrôle du pouvoir sur la santé des Autochtones et de mesurer le poids des stéréotypes et la valeur attribuée aux connaissances et savoirs autochtones.

Limites

Les auteurs n’identifient pas les limites de leur étude. Les connaissances scientifiques présentées doivent ainsi être interprétées avec prudence.


L’inclusion des articles présentés dans ce bulletin de veille ne signifie pas leur endossement par l’Institut. Le jugement professionnel demeure essentiel pour évaluer la valeur de ces articles pour votre pratique. Vous pouvez également consulter la méthodologie de la veille scientifique en santé des Autochtones.