Veille scientifique : lutte contre le tabagisme, volume 11, numéro 4, décembre 2021

Ce numéro spécial de la veille scientifique Lutte contre le tabagisme présente une sélection de publications qui traitent de liens entre l’usage de produits du tabac et la COVID-19, et de changements de la consommation de produits du tabac et de vapotage durant la pandémie.

COVID-19 et usage de produits du tabac

Une vaste étude britannique utilisant une approche génétique indique que le tabagisme est associé à une plus forte probabilité d’hospitalisation et de mortalité causées par la COVID-19

Contexte

Un grand nombre d’études observationnelles ont été menées depuis le début de la pandémie de COVID-19 afin de déterminer si l’usage passé ou actuel de tabac était lié au risque de contracter la maladie ou encore d’être atteint d’une de ses formes sévères. Des résultats contradictoires ont émergé de ces études, quoique la majorité d’entre elles aient identifié une association entre l’historique de tabagisme et la sévérité de la COVID-19. Plusieurs limites méthodologiques propres aux données observationnelles recueillies en début de pandémie expliquent l’obtention de résultats contradictoires : données recueillies auprès de clientèles hospitalisées ou dans des territoires ayant un accès limité aux tests de dépistage de la COVID-19, possibles omissions dans la détermination du statut tabagique des patients, biais lié au fait que le tabagisme est en soi un facteur associé à l’hospitalisation en cas de survenue d’un problème de santé autre que la COVID-19, etc.

À partir des données des participants à la UK Biobank, une très grande biobanque de données génétiques et physiologiques au Royaume-Uni, les auteurs de cette étude ont conduit des analyses visant à réduire les biais communément liés aux études observationnelles. En comparant les résultats des analyses observationnelles à ceux obtenus par une technique appelée la randomisation mendélienne qui utilise l’information génétique fournie par les participants, on peut étudier l’existence d’un possible lien entre le tabagisme et la COVID-19 malgré la présence d’autres facteurs susceptibles d’affecter la relation entre le tabagisme et la COVID-19.

Objectif

Déterminer la présence ou non d’une association entre le tabagisme et l’occurrence d’une infection au SARS-CoV-2, d’une forme sévère de la COVID-19 entraînant une hospitalisation, ou le décès.

Méthode

Les données de la UK Biobank utilisées pour les analyses observationnelles portaient sur 421 469 participants éligibles, dont 1 649 cas confirmés d’infections, 968 cas d’hospitalisations et 444 décès en raison de la COVID-19. Les analyses par randomisation mendélienne incluaient pour leur part 281 105 participants, dont 1 011 cas confirmés d’infections, 600 cas d’hospitalisations et 291 décès. Le statut tabagique des participants était déterminé à partir de leur dossier médical (71 %) ou du questionnaire de la UK Biobank (29 %). Les hospitalisations et les décès ont été obtenus en date du 18 août 2020 à partir des données de la Public Health England. Des analyses de régression logistique ont été réalisées afin d’estimer les associations entre le statut tabagique et les trois éléments d’intérêts, soit les cas confirmés de COVID-19, les hospitalisations ainsi que les décès en raison de la COVID-19.

Les analyses par randomisation mendélienne sont basées sur des instruments génétiques établis afin de prédire l’initiation et l’intensité du tabagisme. Afin de valider leur pouvoir prédictif, la présence d’associations statistiquement significatives a été vérifiée entre les variantes génétiques et le comportement des participants en matière d’usage du tabac. Les variantes génétiques prédisant des différences entre les individus sur le plan de l’initiation au tabagisme (F = 44,96) et de l’intensité du tabagisme (F = 85,91) étaient fortement associées au comportement tabagique observé chez les participants.

Résultats

Comparativement aux non-fumeurs :

  • les anciens fumeurs avaient une plus forte probabilité d’infection (Rapport de cotes [RC] 1,26).

Comparativement aux non-fumeurs atteints de la COVID-19 :

  • les fumeurs actuels (RC 1,80) et les anciens fumeurs (RC 1,31) avaient une plus forte probabilité d’hospitalisation;
  • les fumeurs d’une à neuf cigarettes par jour avaient une plus forte probabilité de décès (RC 2,14). Cette probabilité augmente en fonction du nombre de cigarettes fumées par jour; elle se situe à 5,91 chez les fumeurs de 10 à 19 cigarettes et à 6,11 chez les fumeurs de 20 cigarettes ou plus.

Les analyses de randomisation mendélienne indiquent que :

  • la propension à s’initier au tabagisme, prédite génétiquement, est associée à une plus forte probabilité d’infection (RC 1,45) et d’hospitalisation (RC 1,60);
  • un plus grand nombre de cigarettes fumées par jour est associé à une plus forte probabilité d’infection (RC 2,51), d’hospitalisation (RC 5,09) et de décès (RC 10,02).

Selon les analyses de sensibilité réalisées, il est improbable que les associations observées entre le tabagisme et la contraction d’une forme sévère de la COVID-19 menant à l’hospitalisation ou au décès soient nullifiées par des facteurs non considérés dans l’étude.

Commentaires de l'INSPQ

À notre connaissance, cette étude est la première à combiner des analyses observationnelles à des analyses de randomisation mendélienne pour étudier l’impact du tabagisme sur l’hospitalisation et le décès en raison de la COVID-19. Les résultats obtenus par les deux approches tendent vers la même conclusion, à savoir que le tabagisme serait associé au fait d’être hospitalisé ou de décéder de la COVID-19. De plus, les analyses par randomisation mendélienne indiquent que les variantes génétiques prédisant des différences à long terme entre les individus quant à l’initiation et à l’intensité du tabagisme sont associées à de plus importants risques d’infection au SARS-CoV-2 et de contraction d’une forme sévère de la COVID-19.

Bien que les résultats obtenus par randomisation mendélienne soient moins susceptibles d’être influencés par des facteurs externes que ceux produits à partir de données observationnelles, ils comportent tout de même quelques limites. Tout d’abord, ils s’appliquent seulement à une partie spécifique de la population britannique, soit les Caucasiens. De plus, le résultat indiquant un risque d’infection accru chez les individus prédisposés à l’initiation et à une forte intensité de tabagisme (nombre de cigarettes fumées et durée du tabagisme) doit être nuancé. Il est en effet possible que les variantes génétiques utilisées pour prédire le comportement tabagique soient aussi reliées à d’autres caractéristiques individuelles susceptibles d’augmenter le risque d’infection, telle que la propension à la prise de risque. Ce facteur pourrait avoir un rôle médiateur dans la relation prédite génétiquement entre le tabagisme et l’infection au SARS-CoV-2, favorisant à la fois le tabagisme et l’adoption de comportements augmentant le risque d’infection (ex. : réticence à porter le masque ou à pratiquer la distanciation sociale). Il est ainsi possible que la relation observée ne soit pas seulement attribuable au comportement tabagique des individus, mais également à leur niveau de respect des mesures sanitaires.

Clift, A. K., von Ende, A., Tan, P. S., Sallis, H. M., Lindson, N., Coupland, C. A. C., et coll. Smoking and COVID-19 outcomes: an observational and Mendelian randomisation study using the UK Biobank cohort. Thorax 2021 ; 0:1-9.

Le statut tabagique à lui seul ne constitue pas une mesure fiable pour étudier les associations entre le tabagisme des patients et la sévérité de la COVID-19

Contexte

Le statut tabagique est une mesure communément utilisée en surveillance et en recherche pour définir la prévalence de l’usage de la cigarette au sein d’une population donnée. Cet indicateur ne fournit toutefois pas un portrait complet du tabagisme des individus, ne détaillant pas la durée du tabagisme ni le nombre de cigarettes fumées par jour de consommation. Ces facteurs sont pourtant susceptibles de jouer un rôle significatif dans l’association postulée entre l’usage du tabac et la sévérité de la COVID-19 chez les personnes atteintes de la maladie.

Objectif

Déterminer l’existence ou non d’une association entre la sévérité de la maladie chez des adultes ayant reçu un diagnostic de COVID-19 et a) le statut tabagique (usage à vie, ex-fumeur et fumeur actuel), b) le nombre de paquets de cigarettes fumées par jour, c) le nombre d’années d’usage du tabac, et d) le nombre de paquets-années de tabagisme (nombre de paquets de cigarettes fumées par jour multiplié par le nombre d’années pendant lesquelles la personne a fumé).

Méthode

Les participants à cette étude transversale sont des patients du système de soins de santé de l’Université de Cincinnati ayant reçu un diagnostic de COVID-19 entre le 13 mars et le 30 septembre 2020. Parmi les 15 995 patients diagnostiqués positifs à la COVID-19, 11 384 ont été exclus de l’étude en raison de données manquantes sur le tabagisme, pour un total de 4 611 participants.

Des modèles de régression logistique ont été construits pour évaluer l’association entre les mesures se rapportant au tabagisme et la sévérité de la COVID-19, définie en termes d’hospitalisation moins d’une semaine après le diagnostic d’infection, d’admission à une unité de soins intensifs, ou de décès. Ces modèles ont été ajustés pour tenir compte de certaines caractéristiques sociodémographiques des patients (âge, sexe, ethnicité) et de la présence de comorbidités (obésité, diabète de type 2, asthme, maladie pulmonaire obstructive chronique, hypertension, maladie rénale chronique, maladie cardiovasculaire, historique de cancer).

Résultats

  • Parmi les patients inclus dans l’étude, 18 % étaient des fumeurs actuels et 21 % étaient d’anciens fumeurs.
  • La prévalence d’hospitalisation chez les patients était de 29 %, alors que 10 % ont été admis dans une unité de soins intensifs et qu’un peu plus de 1 % sont décédés.
  • Être un fumeur actuel (RC ajusté 1,23; IC 95 % 1,02–1,49) ou un ancien fumeur (RC ajusté 1,28; IC 95 % 1,07–1,54) était associé à une plus forte prévalence d’hospitalisation; c’est aussi le cas pour le nombre de paquets/années de tabagisme des patients (RC ajusté 1,09; IC 95 % 1,02–1,17).
  • Considéré seul, le nombre moyen de paquets de cigarettes fumées par jour était associé à une plus forte prévalence d’hospitalisation (RC ajusté 1,30; IC 95 % 1,10–1,53) et d’admission dans une unité de soins intensifs (RC ajusté 1,23; IC 95 % 1,04–1,44).

Commentaires des auteurs

Les auteurs rapportent que les constats de cette étude sont difficilement généralisables, car ils ont été recueillis auprès de patients d’un seul système de soins de santé dans un seul État américain (Ohio). Par ailleurs, une grande proportion des patients ayant reçu un diagnostic de COVID-19 dans un établissement du système de soins de santé de l’Université de Cincinnati a été exclue de l’étude en raison de données manquantes par rapport au tabagisme. Il est à noter que les patients exclus diffèrent des participants sur certaines caractéristiques : plus de patients jeunes et de patients de sexe féminin, moins de patients présentant des comorbidités ou ayant vécu un épisode de COVID-19 sévère.

Les résultats soulignent néanmoins l’importance d’obtenir de l’information détaillée sur le tabagisme des patients recevant un diagnostic de COVID-19, car le statut tabagique seul ne renseigne pas sur l’intensité ni sur la durée du tabagisme. Ils contribuent aussi à offrir un soutien additionnel aux travaux ayant identifié des associations entre le tabagisme et la COVID-19.

Mahabee-Gittens, E. M., Mendy, A., Merianos, A. L., Assessment of severe COVID-19 outcomes using measures of smoking status and smoking intensity. International Journal of Environmental Research and Public Health 2021;18:8939.

Une analyse prospective de la UK Biobank indique que l’âge jouerait un rôle médiateur dans la relation entre le tabagisme, le risque d’infection à la COVID-19 et la mortalité associée

Contexte

Plusieurs études ont examiné l’existence d’une association entre le tabagisme et la mortalité causée par la COVID-19. Il y a toutefois beaucoup moins de travaux scientifiques s’étant attardés à l’association entre le tabagisme et le risque de contracter une infection au SRAS-CoV-2. Récemment, deux études distinctes ont été réalisées à partir des données de la UK Biobank, une très grande biobanque de données génétiques et physiologiques au Royaume-Uni. Une première étude a tenté d’établir une association entre le tabagisme et la COVID-19 à l’aide de prédictions génétiques (Clift et coll., 2021), cette méthode ayant pour limite de ne permettre la généralisation des résultats qu’aux Britanniques d’origine caucasienne. Une deuxième étude a plutôt tenté d’examiner cette association de manière prospective en tenant compte de plusieurs caractéristiques sociodémographiques des participants, dont l’ethnicité.

Objectif

Examiner la présence ou non d’une association entre le tabagisme et la COVID-19 sur le plan du risque d’infection ou du risque de décès.

Méthode

Cette étude prospective a été réalisée auprès des participants à la UK Biobank âgés de 49 ans ou plus et ayant résidé en Angleterre entre le 1er février et le 28 juin 2020. Des ratios de risque pour l’infection au coronavirus et la mortalité associée ont été calculés à l’aide de modèles de régression de Poisson multivariés, afin de comparer les fumeurs actuels et les anciens fumeurs aux non-fumeurs en ajustant les résultats pour l’âge, le sexe, l’ethnicité, l’indice de masse corporelle et le statut socioéconomique.

Résultats

  • La majorité des 402 978 participants étaient des non-fumeurs (56 %), alors que 35 % étaient d’anciens fumeurs et 10 % des fumeurs actuels.
  • En tout, 1 591 cas de COVID-19 ont été répertoriés chez les participants. Parmi ceux-ci, 372 décès ont été enregistrés (environ 23 % des cas).
  • Chez les participants âgés de 49 à 68 ans, les fumeurs avaient un risque près de deux fois plus élevé que les non-fumeurs de contracter la COVID-19 (Risque relatif [RR] ajusté 1,71; IC 95 % 1,35–2,17), alors que le risque était similaire chez les participants âgés de 69 ans et plus (RR ajusté 0,99; IC 95 % 0,77–1,26). Des résultats semblables ont été observés en comparant les anciens fumeurs aux non-fumeurs.
  • En ce qui a trait à la mortalité, les fumeurs âgés de 69 ans et plus présentaient un risque deux fois plus important que les non-fumeurs (RR ajusté 2,38; IC 95 % 1,21–4,68), aucune différence statistiquement significative n’étant toutefois détectée chez les participants plus jeunes (RR ajusté 1,22 ; IC 95 % 0,83–1,80).
  • Chez les hommes, les anciens fumeurs présentaient un risque de mortalité supérieur à celui des non-fumeurs (RR ajusté 1,45; IC 95 % 1,23–1,70), ce qui n’est pas le cas chez les femmes (RR ajusté 1,08; IC 95 % 0,91–1,28).

Commentaires de l'INSPQ

Plutôt que d’étudier l’association entre le tabagisme et la COVID-19 de manière rétrospective, comme l’ont fait plusieurs études antérieures basées sur l’historique de tabagisme de patients hospitalisés ou décédés, cette étude a adopté un devis prospectif permettant de suivre les participants dans le temps pour évaluer l’influence du tabagisme sur le risque de contracter la COVID-19 ou d’en décéder.

Les résultats obtenus indiquent que l’âge joue un rôle médiateur dans l’association entre le tabagisme et le risque d’infection ou de mortalité liée à la COVID-19. En effet, les fumeurs et anciens fumeurs de 49 à 68 ans ont un risque plus élevé d’infection comparativement aux plus âgés, alors que ces derniers sont plus à risque de décéder des suites de la COVID-19. Les auteurs postulent que le premier résultat pourrait notamment s’expliquer par un plus grand nombre d’occasions d’exposition au virus chez les 49-68 ans, alors que le second résultat pourrait être en partie attribuable à la présence plus importante de comorbidités chez les participants de 69 ans ou plus.

Les auteurs nuancent par ailleurs l’association entre le tabagisme et le décès des suites de la COVID‑19 en considérant que l’impact du tabagisme sur le risque de décès attribuable à la COVID-19 peut également être indirect. En effet, le rôle joué par le tabagisme dans la survenue de plusieurs maladies chroniques susceptibles d’aggraver la sévérité de la COVID-19 et de contribuer au décès pourrait lui aussi expliquer le résultat obtenu.

Prats-Uribe, A., Xie, J., Prieto-Alhambra, D., Petersen, I. (2021). Smoking and COVID-19 infection and related mortality: A prospective cohort analysis of UK Biobank data. Clinical Epidemiology, 13, 357-365.

Influence de la pandémie sur l’usage de produits du tabac

L’usage du tabac chez près de 10 000 fumeurs européens a davantage augmenté que diminué durant les premiers mois de la pandémie

Contexte

L’usage de substances psychoactives est étroitement lié à la routine quotidienne, aux pratiques sociales et aux interactions avec l’environnement. Or, la pandémie de COVID-19 a perturbé la vie de tous les jours, tant au niveau de la sphère publique que privée, avec comme conséquences possibles des changements en ce qui a trait à la consommation de ces substances, dont les produits du tabac.

Objectif

Documenter les changements autorapportés d’usage de substances psychoactives chez les adultes de 21 pays européens : alcool, produits du tabac, cannabis, autres substances illicites.

Méthode

Les données de l’enquête européenne transversale sur l’usage d’alcool et la COVID-19, portant principalement sur l’usage de l’alcool, ont été recueillies en ligne entre le 24 avril et le 22 juin 2020. Des données sur l’usage de produits du tabac, de cannabis et d’autres substances illicites ont également été recueillies. L’échantillon final compte 36 538 répondants ayant indiqué avoir fait usage d’au moins une substance au cours de l’année précédente, ce qui représente 91 % de l’échantillon total de l’enquête.

Trois indicateurs ont été utilisés pour documenter les changements de l’usage d’alcool : la fréquence de consommation, la quantité d’alcool et la fréquence d’épisodes de consommation excessive. Pour les produits du tabac, le cannabis et les autres substances illicites, on demandait aux répondants si, au cours du mois précédent, leur consommation était plus ou moins fréquente.

Résultats

  • L’usage de substances n’a pas varié pour près de la moitié des répondants de l’ensemble des pays. Ainsi, 40 % des répondants n’auraient pas modifié leur usage de produits du tabac alors que c’est le cas de 57 % des répondants pour les épisodes de consommation excessive d’alcool.
  • Pour deux des trois indicateurs d’alcool (fréquence de consommation et d’épisodes de consommation excessive), la proportion de répondants rapportant une diminution est plus grande que la proportion rapportant une augmentation. C’est aussi le cas pour l’usage de substances illicites autres que le cannabis.
  • Cependant, les observations vont dans le sens opposé pour l’usage de produits du tabac et de cannabis. Ainsi, 39 % des fumeurs rapportent avoir augmenté leur consommation comparativement à 18 % affirmant avoir diminué leur consommation. Les proportions sont de 30 % (augmentation) contre 19 % (diminution) pour l’usage de cannabis.

Commentaires de l'INSPQ

Ces données corroborent les données d’autres études, dont celle menée au Québec par l’INSPQ. En effet, en décembre 2020, 39 % des Québécois ayant fumé au cours du mois précédent rapportaient avoir augmenté leur consommation comparativement à la même période au cours de l’année précédente; 16 % l’auraient diminuée (Montreuil, Lasnier et Tremblay 2021). Cette observation semble perdurer dans le temps, la proportion de fumeurs québécois rapportant avoir augmenté leur consommation oscillant entre 32 % et 38 % de février à août 2021.

Manthey, J., Kilian, C., Carr, S., Bartak, M., Bloomfield, K., Braddick, F., ... & Rehm, J. (2021). Use of alcohol, tobacco, cannabis, and other substances during the first wave of the SARS-CoV-2 pandemic in Europe: a survey on 36,000 European substance users. Substance abuse treatment, prevention, and policy, 16 (1), 1-11.

Un fumeur sur deux songe à cesser de fumer, mais peu d’entre eux passent à l’action

Contexte

Depuis presque deux ans, la pandémie de COVID-19 a entraîné des bouleversements importants partout sur la planète avec des répercussions majeures sur la santé : anxiété, dépression, sentiment d’isolement et de solitude, inquiétude par rapport à l’avenir, etc. Les nombreuses restrictions imposées en vue de freiner la propagation de la COVID-19 ont généré un stress important qui s’est aussi reflété dans le changement de l’usage de produits du tabac. Selon plusieurs études réalisées dans différents pays, une très grande proportion de fumeurs n’aurait pas modifié leur consommation de tabac. Dans certains pays on observe de plus grandes proportions de fumeurs ayant augmenté plutôt que diminué leur consommation, alors que dans d’autres pays, on note des proportions semblables de fumeurs ayant augmenté ou diminué leur consommation.

Quelques chercheurs se sont intéressés spécifiquement aux tentatives de renoncement au tabac en temps de pandémie, de même qu’aux facteurs qui y sont associés. C’est le cas de cette étude réalisée entre avril et juin 2020 auprès d’un échantillon représentatif de 6 870 fumeurs adultes de quatre pays : Canada, États-Unis, Angleterre et Australie. Les restrictions imposées ont varié grandement entre ces pays, allant de la distanciation sociale volontaire à un confinement national obligatoire.

Objectif

Examiner les associations entre la COVID-19 et :

  • le fait de considérer renoncer au tabac;
  • les changements de l’usage de produits du tabac : tentative d’arrêt tabagique, diminution, augmentation, ou aucun changement de la consommation;
  • les facteurs associés à une tentative de renoncement, à une diminution de la consommation de produits du tabac ou à une hausse de cet usage.

Méthode

Les chercheurs ont recueilli les variables sociodémographiques des participants (âge, sexe, ethnie, revenu, scolarité), ainsi que des données sur leur niveau de dépendance aux produits du tabac et sur leur usage de produits de vapotage. On les a aussi questionnés sur la présence de symptômes dépressifs, sur le stress financier ressenti durant la pandémie, sur leur susceptibilité de contracter la COVID-19 et sur leur perception de la gravité de la maladie.

Des analyses de régression logistique ont permis d’identifier les facteurs associés d’une part, au fait d’envisager de renoncer au tabac et d’autre part, aux tentatives d’arrêt tabagique/diminution de la consommation de produits du tabac.

Résultats

  • Près de la moitié de l’ensemble des répondants (47 %) a envisagé de cesser de fumer en raison de la COVID-19. Cette proportion est de 51 % en Angleterre, de 48 % au Canada, de 43 % aux États-Unis, et de 38 % en Australie.
  • Les femmes, les personnes de minorités ethniques, les fumeurs occasionnels, ceux fumant un moins grand nombre quotidien de cigarettes, les vapoteurs actuels, de même que les personnes rapportant un stress financier sont proportionnellement plus nombreuses à avoir songé à cesser de fumer. C’est aussi le cas des fumeurs affectés par leur tabagisme ou préoccupés de l’être éventuellement, des fumeurs plus inquiets de contracter la COVID-19, et de ceux croyant que la COVID-19 est plus grave chez les fumeurs que chez les non-fumeurs.
  • 1 % des fumeurs rapportent avoir tenté de cesser de fumer, et 14 % avoir réduit leur consommation de produits du tabac; 15 % des fumeurs auraient augmenté leur consommation, alors que 68 % n’auraient effectué aucun changement. Les fumeurs australiens se distinguent des fumeurs des autres pays avec seulement 9 % des fumeurs ayant tenté de cesser de fumer ou ayant réduit leur consommation. C’est le cas de 16 % des Canadiens et des Anglais et de 17 % des Américains.
  • Les facteurs associés à une diminution de l’usage du tabac ou à une tentative de renoncement au tabac sont : le fait d’être un fumeur occasionnel ou de fumer un moins grand nombre quotidien de cigarettes, la perception que le tabagisme a déjà eu des effets sur la santé, une plus grande inquiétude de contracter la COVID-19, et croire que la COVID-19 est plus nocive chez les fumeurs que chez les non-fumeurs.
  • Les plus jeunes fumeurs, les femmes, les fumeurs quotidiens, les personnes avec des symptômes dépressifs et celles rapportant un stress financier sont plus sujets à avoir augmenté leur consommation de produits du tabac.
  • Enfin, les fumeurs anglais seraient les plus inquiets de contracter la COVID-19 (31 % comparativement à 19 % des Canadiens, 17 % des Australiens et 15 % des Américains). En Australie, 37 % des fumeurs affirment ne pas être inquiets en comparaison de 32 %, 28 % et 23 % des fumeurs aux États-Unis, au Canada et en Angleterre.

Commentaires des auteurs

Bien que près de la moitié des fumeurs participant à cette étude rapportent avoir songé à cesser de fumer au début de la pandémie, peu d’entre eux sont passés à l’action. Les auteurs s’interrogent sur un tel écart. Est-ce parce que les messages de santé publique n’étaient pas suffisamment clairs quant à l’impact de la COVID-19 chez les fumeurs ? Est-ce dû à la confusion générée par la couverture médiatique sur le rôle potentiellement protecteur de la nicotine ? Bien qu’il soit difficile de répondre à une telle question, les données de cette étude révèlent que les fumeurs plus susceptibles de faire une tentative de renoncement au tabac sont ceux qui sont plus inquiets de contracter la COVID-19, et ceux qui croient que cette infection est plus sérieuse chez les fumeurs que chez les non-fumeurs.

Gravely, S., Craig, L. V., Cummings, K. M., Ouimet, J., Loewen, R., Martin, N., ... & Fong, G. T. (2021). Smokers’ cognitive and behavioural reactions during the early phase of the COVID-19 pandemic: Findings from the 2020 ITC Four Country Smoking and Vaping Survey. Plos one, 16(6), e0252427.

Baisse des taux d’abstinence chez des fumeurs participant à un programme ontarien de renoncement au tabac durant la pandémie

Contexte

Durant la pandémie de COVID-19, la population a été encouragée à retarder les visites non urgentes en milieu de soins. Stop program est un programme ontarien de renoncement au tabac offert par des équipes de santé constituées de médecins, infirmières et pharmaciens. Il comprend du counseling en personne offert aux 2-4 semaines sur une période d’un an, de même que l’accès à 26 semaines de thérapie de remplacement de la nicotine (TRN) sans frais. Durant la pandémie, les consultations en personne ont nettement diminué et ont été remplacées par des consultations téléphoniques ou par vidéoconférence; les participants pouvaient recevoir la TRN par courrier ou la récupérer à un point de service prédéterminé.

Objectif

Documenter la probabilité d’abstinence de cigarettes des participants au Stop program en contexte de pandémie.

Méthode

Les chercheurs ont évalué, au suivi de six mois, le taux d’abstinence continue de sept jours autorapporté de trois groupes de fumeurs ayant participé au Stop program :

  • les fumeurs inscrits au programme et suivis avant la déclaration ontarienne de l’état d’urgence de la pandémie le 17 mars 2020 (N = 35 385); ces fumeurs étaient qualifiés de « témoins historiques »;
  • les fumeurs inscrits au cours des six mois précédant le 17 mars 2020 et suivis par la suite (N = 6 109); ces fumeurs constituaient le principal groupe d’intérêt;
  • les fumeurs inscrits et suivis après le 17 mars 2020 (N = 1 815).

Un modèle de régression logistique à effets mixtes a été construit pour mesurer les effets temporels sur le taux d’abstinence de chacun des trois groupes, tout en contrôlant l’effet de diverses variables susceptibles d’influencer les résultats. Une analyse de sensibilité a été réalisée afin de tenir compte de la saisonnalité et ainsi valider la robustesse des résultats obtenus par le modèle.

Une procédure d’imputation multiple (MICE) a été employée afin de réduire le biais associé aux données manquantes en tenant compte des associations observées entre la non-réponse et les variables mesurées. L’imputation n’a pas été réalisée pour la variable portant sur l’abstinence continue de sept jours afin de ne pas biaiser les taux d’abstinence et l’effet des variables associées à l’attrition.

Résultats

  • La probabilité d’être abstinent décline en fonction de la date d’inscription au programme.
  • Chez les fumeurs inscrits au Stop program six mois avant la déclaration de l’état d’urgence et suivis peu de temps après, la probabilité d’être abstinents est de 31 % (IC 95 % 30 % - 32,5 %).
  • L’abstinence est de 24 % (IC 95 % 22 % — 26 %) chez les fumeurs inscrits juste avant le 17 mars 2020, ce qui représente une baisse statistiquement significative.

Commentaires des auteurs

Les chercheurs se questionnent sur l’origine de la baisse d’efficacité du Stop program durant la pandémie. Ils postulent que le soutien virtuel aux fumeurs qui font une tentative de renoncement au tabac serait moins efficace que le soutien en personne. Il est aussi possible que la détresse psychologique engendrée par la pandémie ait influencé négativement les taux de renoncement au tabac. Selon les auteurs, la procédure d’imputation multiple employée pour gérer l’attrition et la non-réponse partielle ne permet pas d’exclure une association indépendante entre l’abstinence et le fait d’avoir répondu ou non au suivi. Ceci doit être pris en compte dans l’interprétation des effets temporels en raison de l’augmentation du taux de réponse au suivi qui est passé de 61 % avant la pandémie à 75 % par la suite.

Veldhuizen, S., Selby, P., Wong, B., & Zawertailo, L. (2021). Effect of COVID-19 on smoking cessation outcomes in a large primary care treatment programme: an observational study. BMJ open, 11(8), e053075.

Influence de la pandémie sur l’usage de produits de vapotage

Hausse d’usage de substances psychoactives pendant la pandémie chez de jeunes Canadiens

Contexte

Les impacts de la pandémie sur la santé mentale ont entraîné des augmentations de l’usage de substances comme l’alcool et le cannabis chez les adolescents et les adultes, comme l’indiquent les résultats de plusieurs études. Cependant, les changements d’usage de produits du tabac et de vapotage chez les adolescents et les jeunes adultes canadiens pendant la pandémie sont peu documentés.

Objectif

Documenter les changements d’usage de cigarettes, de cigarettes électroniques, d’alcool et de cannabis pendant la pandémie et les facteurs associés à ces changements.

Méthode

L’échantillon compte 6 721 Canadiens âgés de 16 à 25 ans et ayant fait usage au cours des 12 mois précédents de cigarettes, de cigarettes électroniques, d’alcool ou de cannabis. Les participants ont été recrutés par l’entremise d’annonces affichées sur Instagram et Facebook entre août 2020 et mars 2021. Bien que ces données ne soient pas représentatives de l’ensemble des adolescents et des jeunes adultes canadiens, une pondération post-stratification a été appliquée afin de s’approcher de la distribution de la population canadienne.

Résultats

Les données révèlent que :

  • 59 % des participants ont rapporté avoir augmenté leur usage d’au moins une substance pendant la pandémie, et 55 % de deux ou plus; 16 % rapportent avoir réduit l’usage d’au moins une substance;
  • les utilisateurs quotidiens étaient plus enclins à rapporter une augmentation de l’usage comparativement à une réduction/aucun changement/non-usage, tant pour la cigarette (81 %) et la cigarette électronique (75 %), que pour le cannabis (73 %) et l’alcool (72 %);
  • les jeunes et les jeunes adultes plus susceptibles d’avoir augmenté leur consommation d’au moins une substance psychoactive étaient : les femmes, les diplômés universitaires, les personnes mariées ou vivant avec un conjoint, les personnes vivant en Colombie-Britannique ou à l’Île-du-Prince-Édouard (comparativement aux Ontariens), les autochtones, de même que plusieurs minorités visibles, dont les personnes d’origine latino-américaine, et celles d’Asie du Sud.

Commentaire de l'INSPQ

Cette étude appuie l’importance de porter une attention particulière, au cours de la période post-pandémique, à la consommation de substances psychoactives dont le tabac chez les usagers de ces substances.

Chaiton, M., Dubray, J., Kundu, A., & Schwartz, R. (2021). Perceived Impact of COVID on Smoking, Vaping, Alcohol and Cannabis Use Among Youth and Youth Adults in Canada. The Canadian Journal of Psychiatry, 07067437211042132.

L’usage de produits de vapotage a diminué chez des élèves californiens indépendamment des contraintes associées à la pandémie

Contexte

Les fermetures d’écoles et les restrictions de rassemblements publics durant la pandémie de COVID‑19 peuvent engendrer différents effets sur le plan des comportements de santé des adolescents. Que l’on pense, par exemple, à la diminution de l’interaction avec les amis et de l’accès aux lieux de rassemblements, à l’absence d’activités parascolaires et de programmes de prévention, à une plus grande proximité avec les parents, de même qu’à l’augmentation du stress, de l’anxiété et de l’ennui.

Peu d’études ont été réalisées pour documenter les changements de l’usage de diverses substances chez les adolescents durant la pandémie de COVID-19 et elles sont pour la plupart sujettes à des biais de rappel. Cette étude prospective menée en Californie permet de comparer des données recueillies avant et après l’implantation de l’ordonnance de demeurer à la maison.

Objectif

Comparer l’usage de produits du tabac, de vapotage, d’alcool, et de cannabis, de même que la pratique d’activité physique chez des élèves du nord de la Californie avant, et après l’ordre imposé le 19 mars 2020 de fermer toutes les écoles publiques de l’État et de demeurer à la maison.

Méthode

Une cohorte de 1 423 élèves de 9e et 10e année de huit écoles publiques en provenance de municipalités comportant moins de 50 000 résidents a été recrutée en deux temps : de mars à mai 2019 (groupe du printemps) et d’août 2019 à février 2020 (groupe de l’automne). Les adolescents ont répondu à un questionnaire en ligne à deux reprises, lors du recrutement et six mois plus tard. Au suivi de six mois, le groupe d’élèves du printemps n’avait pas subi les restrictions du confinement contrairement au groupe de l’automne. Les chercheurs ont utilisé une approche fondée sur l’écart des différences (difference-in-difference approach) pour comparer les données du suivi de six mois de 521 jeunes non soumis aux mesures de confinement et de 485 jeunes ayant subi des contraintes liées à la COVID-19.

Résultats

Au suivi de six mois :

  • L’usage de produits de vapotage au cours des 30 jours précédents avait diminué de façon significative tant chez les adolescents soumis aux mesures de confinement (de 17 % à 11 %) que chez ceux non soumis à de telles mesures (de 20 % à 11 %). Aucune différence significative quant à l’écart de ces baisses de l’usage n’a toutefois été observée entre les deux groupes.
  • Aucun écart des différences de l’usage de produits du tabac, d’alcool ou de cannabis n’a été observé entre le groupe d’élèves du printemps et celui de l’automne.
  • Cependant, la pratique d’au moins cinq jours d’activité physique par semaine a diminué de façon significative chez les élèves confinés comparativement à ceux non contraints par l’ordre de demeurer à la maison.

Commentaires des auteurs

Les chercheurs ont été surpris de découvrir que la baisse de l’usage de la cigarette électronique observée dans les deux groupes d’élèves californiens n’était pas associée aux restrictions liées à la pandémie. Ils postulent que la diminution observée était déjà amorcée en raison d’inquiétudes générées par l’épidémie de maladies pulmonaires associées aux produits de vapotage (MPAV) survenue à l’été 2019 aux États-Unis. Les médias ont fait grand état de ces maladies respiratoires survenues chez de jeunes utilisateurs. Il reste à voir si cette baisse observée cessera, une fois que l’attention médiatique sur cette épidémie de MPAV s’estompera.

Chaffee, B. W., Cheng, J., Couch, E. T., Hoeft, K. S., & Halpern-Felsher, B. (2021). Adolescents’ Substance Use and Physical Activity Before and During the COVID-19 Pandemic. JAMA pediatrics.


Rédacteurs

Michèle Tremblay
Benoit Lasnier
Annie Montreuil

Équipe de lutte contre le tabagisme
Direction du développement des individus et des communautés

Coordonnatrice
Michèle Tremblay

Réviseure
Johanne Laguë

Révision linguistique
Marie-Cloé Lépine
Direction du développement des individus et des communautés

L’inclusion des articles présentés dans ce bulletin de veille ne signifie pas leur endossement par l’Institut. Le jugement professionnel demeure essentiel pour évaluer la valeur de ces articles pour votre pratique. Cette veille a été réalisée grâce à la participation financière du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS).