Giardia lamblia

Définition

La giardiase est actuellement l’infection parasitaire humaine la plus souvent diagnostiquée en Amérique du Nord (Wallis, 1995), ce qui explique l’intérêt des autorités de santé publique pour cette maladie (Garcia, 1998). Le parasite infecte plusieurs mammifères, dont l’homme, le castor, le chat, le chien, le rat musqué ainsi que les bovins, les porcs et les moutons. La giardiase est une zoonose dont la transmission inter-espèces a été documentée avec l’espèce G. duodenalis qui infecte l’humain (Thompson, 1998). Cette espèce peut être désignée par deux synonymes, G. intestinalis et G. lamblia (Hopkins et al., 1997), mais Giardia lamblia est le nom couramment utilisé en milieu clinique (Santé Canada, 1997) ainsi que par l’ensemble des institutions de recherche (Leber et Novak, 2001).

Giardia lamblia est un protozoaire flagellé qui doit obligatoirement parasiter un hôte pour compléter son cycle de vie, lequel comprend deux formes :

  • le trophozoïte, mobile (avec plusieurs flagelles) et non infectieux qui ne peut pas survivre hors de l’hôte à cause de sa fragilité;
  • le kyste (environ 8 x 14 μm), qui est la forme infectieuse pouvant survivre dans diverses conditions environnementales défavorables (Farthing, 1998; Markell et al., 1999; Schaefer, 1999).

Le cycle vital débute généralement par l’infection de l’hôte suite à l’ingestion de kystes présents dans les aliments ou l’eau contaminés ainsi que par contact de personne à personne par voie oro-fécale. Après dékystement dans le duodénum, il y a libération de deux trophozoïtes qui se fixent aux villosités intestinales; le trophozoïte est capable de se reproduire de manière asexuée, une division binaire donnant naissance à deux autres trophozoïtes. En migrant vers le côlon, et sous l’effet de sels biliaires, le trophozoïte subit des changements structuraux et physiologiques importants qui amènent la formation de kystes. Ces derniers sont rejetés dans l’environnement où ils s’avèrent très résistants (voir la sous-section Présence et survie dans l’eau) et capables d’infecter d’autres hôtes (Garcia, 1998; Leber et Novak, 2001; Santé Canada, 1997; Wolfe, 1992).

Méthodes d'analyse

Contrairement aux bactéries, les parasites ne peuvent pas se multiplier dans des milieux de culture permettant de les identifier. Des procédures ont cependant été développées pour permettre de collecter puis d’identifier les kystes de Giardia sp. De manière générale, les méthodes de détection, d’énumération et d’identification sont toutes basées sur le même principe : les parasites contenus dans un volume d’eau de 1 à 1 000 l sont concentrés dans une goutte d’eau qui est ensuite observée au microscope.

Au moment d’écrire cette fiche, la méthode la plus actualisée pour effectuer la recherche et l’énumération des parasites est celle de l’Environmental Protection Agency des États-Unis : méthode EPA 1623 (US EPA, 2001a). Cette méthode nécessite la filtration d’un grand volume d’eau (10-1000 l) dans une cartouche ayant des pores d’un diamètre de 1 μm. La matière particulaire retenue par le filtre est récupérée dans un tampon d’élution. Les kystes de Giardia sp. sont à nouveau concentrés par séparation immunomagnétique à l’aide de billes magnétiques de 5 μm de diamètre, auxquelles sont fixés des anticorps anti-Giardia. Finalement, le concentré est coloré avec des anticorps monoclonaux fluorescents anti-Giardia, et observé en microscopie à fluorescence, ce qui permet le dénombrement et l’identification. La recherche de structures internes (comme les noyaux) peut également être effectuée avec l’utilisation d’un colorant fluorescent (comme le DAPI) spécifique aux acides nucléiques ainsi que par l’observation en microscopie à fluorescence (Grimason et al., 1994).

Cette méthode a toutefois ses limites. D’abord, elle ne permet pas de déterminer si les kystes sont viables ou infectieux. Des techniques utilisant des colorants pour déterminer la viabilité, l’emploi de certains types d’anticorps (méthodes ELISA) ou des techniques de biologie moléculaire sont actuellement mis à l’essai; toutefois, actuellement, seules les techniques utilisant les animaux de laboratoire ont une certaine validité (Bukhari et al., 2000).

La recherche des kystes s’avère longue et coûteuse tout en exigeant un personnel expérimenté. En outre, la détection par immunofluorescence nécessite un équipement spécialisé et des connaissances techniques spécifiques. Des interférences, entraînant une sous-évaluation du nombre de kystes, peuvent se produire, résultant de :

  • la présence de matières dissoutes ou en suspension qui sont concentrées avec les kystes;
  • la perte d’un certain nombre de kystes à chacune des étapes du processus méthodologique.

Au début des années 90, des contrôles de qualité de plusieurs laboratoires ont mis en évidence un pourcentage de récupération très faible, avec une moyenne de l’ordre de 5 à 10 % (Clancy et al., 1994; LeChevallier et al., 1995). Bien que des méthodes plus récentes (comme celle de l’US EPA décrite plus haut) permettent une meilleure récolte des kystes, le pourcentage de récupération est encore très variable, de l’ordre de 0,5 à 53 % (DiGiorgio et al., 2002).

Bien que la performance des laboratoires puisse parfois être en cause, il a été démontré que la détection, même pratiquée dans des conditions optimales par des laboratoires spécialisés, ne permettait pas une visualisation ou une énumération de tous les kystes (Wallis et al., 2001). De plus, l’évaluation de la viabilité des kystes est très difficile à réaliser, nécessitant notamment des échantillons frais; l’utilisation d’un colorant spécifique peut permettre, s’il est nécessaire d’avoir des résultats rapidement, d’obtenir une quantification approximative du nombre de kystes viables. Cela signifie que les résultats d’énumération ne permettent habituellement pas de connaître la viabilité et encore moins l’infectiosité des kystes.

Par ailleurs la non-détection de kystes n’implique pas leur absence; dans une telle situation, il faut alors recourir à d’autres méthodes ou à un raffinement du processus de recherche. Par ailleurs, dans toute situation mettant potentiellement en cause la présence de kystes de Giardia sp. dans l’eau potable, il faut tenir compte du fait que présentement il n’existe pas au Québec de laboratoire accrédité ou totalement fiable, permettant de faire la détection, l’énumération et l’identification.

Présence du protozoaire dans l'eau

Présence et survie dans l’eau de surface

Compte tenu de la résistance des kystes de Giardia sp. à diverses conditions environnementales, il n’est pas surprenant de les retrouver presque systématiquement dans les eaux naturelles. Rose et al. (1991a) ont déterminé que 16 % de 257 échantillons d’eau prélevés dans 17 états des États-Unis étaient contaminés (moyenne de 3 kystes/100 L). Les auteurs n’ont cependant pas pu mettre en évidence une corrélation du nombre de kystes avec les indicateurs microbiens de pollution de l’eau (comme les coliformes) et la turbidité. LeChevallier et al. (1991a) ont mis en évidence la contamination de 81 % de 85 lieux d’échantillonnage d’eau brute (moyenne de 277 kystes/100 L) aux États-Unis. Contrairement à Rose et al. (1991a), ils ont obtenu une bonne corrélation du nombre de kystes avec des indicateurs microbiens de pollution (coliformes totaux et fécaux) ainsi que la turbidité. Okun et al. (1997) ont rapporté qu’entre 29 et 46 % des échantillons prélevés dans les trois réservoirs naturels approvisionnant la ville de New York (eau brute) étaient contaminés à des concentrations moyennes de 0,7 à 1,3 kystes/100 l.

De 1991 à 1994, Wallis (1995) a collecté 1 377 échantillons dans 60 localisations canadiennes, tant dans des secteurs fortement urbanisés que dans le Grand Nord. Les analyses ont révélé que 10,4 % des échantillons d’eau brute contenaient des kystes de Giardia sp. (concentrations non précisées). Dans une autre étude axée sur les secteurs urbains canadiens (72 municipalités), Wallis et al. (1996) ont identifié des kystes dans 21 % des échantillons d’eau brute, la majorité des échantillons contenant cependant moins de 2 kystes/100 l. Payment et Franco (1993) ont mis en évidence une contamination de 94 % des eaux brutes de la région de Montréal, avec une concentration de kystes pouvant aller jusqu’à 2800/100 l. Dans la région d’Ottawa, Chauret et al. (1995) ont examiné 41 échantillons d’eau brute puisés dans la rivière Outaouais et le canal Rideau. Des kystes ont été identifiés dans 78 % des échantillons (concentration variant de 1 à 52/100 l); les auteurs n’ont signalé aucune corrélation avec les indicateurs microbiens habituels de pollution (tels les coliformes) ni avec d’autres indicateurs (Clostridium perfringens, Pseudomonas aeruginosa et virus coliphages). En Colombie-Britannique, Isaac-Renton et al. (1996) ont montré que l’eau de 64 % de 86 lieux échantillonnés était contaminée par des kystes (moyenne géométrique de 2,9/100 l). Au Québec, Barthe et Brassard (1996) ont identifié des kystes dans 48 % de 41 échantillons provenant d’eaux de surface du Québec (rivières, lacs, fleuve Saint-Laurent et ruisseaux). Finalement, Payment et al. (2000) ont retrouvé des kystes dans l’eau brute de presque toutes les 45 usines de traitement de l’eau potable testées, la plupart la puisant dans le fleuve St-Laurent, entre Montréal et Québec (concentrations moyennes variant entre 7 et 1 400/100 l). Les résultats de cette étude ont permis d’établir une certaine corrélation entre les coliformes fécaux et les kystes de Giardia sp.

Eau souterraine

En ce qui concerne l’eau souterraine, les études sont plus rares mais démontrent qu’elle est habituellement peu contaminée (en termes de fréquence et de quantité de kystes). Ainsi, Hancock et al. (1997) ont démontré que 6 % de 463 échantillons prélevés dans 199 sources d’eau souterraines étaient contaminés. Les eaux les plus fréquemment contaminées provenaient de puits approvisionnés par une nappe près de la surface (36 %) et de galeries d’infiltration sous l’influence d’eau de surface (25 %), alors que la contamination était de 14 % dans les sources et de 1 % dans les puits artésiens. Dans une étude similaire, Moulton-Hancock et al. (2000) ont révélé des résultats comparables (11 % des échantillons contaminés); les puits artésiens étaient les moins contaminés. Au Québec, Barthe et Brassard (1996), après avoir analysé l’eau de 10 sources et de 20 puits municipaux, n’ont trouvé qu’un seul échantillon positif.

Présence et survie dans l’eau traitée

Logsdon et al. (1985) ont démontré que la coagulation avec l’alun permettait d’éliminer entre 65 et 93 % des kystes alors que la filtration subséquente (avec sable ou anthracite) permettait de les éliminer jusqu’à 99,9 % (3 log) 1. Bellamy et al. (1985) ont, quant à eux, montré que la filtration lente sur sable était capable d’enlever plus de 99,98 % des kystes. Ces données sont corroborées par un suivi effectué pendant un an dans une usine de traitement où la combinaison de ces procédés (coagulation, floculation et filtration) a permis d’éliminer entre 2,53 et 3,57 log de la concentration initiale de kystes lorsque cette dernière variait entre 4 et 58/100 l (Hashimoto et al., 2001). Une synthèse des études effectuées avec ces procédés dans diverses conditions (en laboratoire ainsi que dans des usines de traitement), montre que la filtration permet en moyenne un enlèvement de 3 log1, les meilleurs résultats étant obtenus lorsque la turbidité de l’eau ne dépasse pas 0,3 UNT (voir la fiche Turbidité) (US EPA, 1998). En évaluant la performance de trois usines de traitement aux États-Unis, Ongerth (1990) rapporte un lien similaire entre une faible turbidité et l’enlèvement efficace des kystes. C’est d’ailleurs pour vérifier l’efficacité de la filtration que le Règlement sur la qualité de l’eau potable du Québec exige le suivi en continu de la turbidité, la tenue d’un registre avec des mesures aux quatre heures de la turbidité et le respect de normes technologiques de turbidité pour les eaux filtrées. Jarroll et al. (1981) ont montré que l’efficacité du chlore était grandement réduite par un abaissement de la température de l’eau. le CT [produit de C (concentration résiduelle libre du désinfectant, mesurée en mg/l) et de T (temps de contact du désinfectant, mesuré en minutes)] requis pour éliminer les kystes serait inférieur à 12 pour une eau à 25 °C, mais varierait de 65 à 360 pour désinfecter une eau de 3 à 5 °C (US EPA, 1998), confirmant ainsi la difficulté de traiter une eau froide. Quant à l’ozone, il s’avère un oxydant nettement plus efficace, des CT variant de 0,3 à 2 permettant l’enlèvement de 99 % des kystes dans une plage de température allant de 5 à 25 °C (US EPA, 1998).

L’efficacité variable des procédés de traitement de l’eau potable se traduit souvent par la détection de kystes dans l’eau traitée. lors d’une étude systématique de 66 usines de traitement de l’eau potable (82 échantillons provenant de 14 états américains), leChevallier et al. (1991b) ont rapporté une contamination de 17 % des échantillons (concentration moyenne de 4,45 kystes/100 l). Dans une étude subséquente similaire (72 usines de traitement de l’eau potable aux États-Unis et quelques-unes au Canada), LeChevallier et Norton (1995) rapportent une prévalence de 4,6 % de kystes dans l’eau traitée (moyenne de 2,6 kystes/100 l); ils ont cependant noté que la majorité des kystes étaient morts, 86 % d’entre eux n’ayant aucune structure interne identifiable au microscope.

Au Canada, Payment et Franco (1993) ont analysé les eaux traitées de trois usines de traitement des Basses Laurentides et de Lanaudière et n’ont identifié des kystes que dans l’eau d’une seule usine, à une très faible concentration (0,02/100 l). Dans chacune de ces usines, la réduction du nombre de kystes dans l’eau traitée (par rapport à l’eau brute) était supérieure à 5 log (99,999 %). Isaac-Renton et al. (1996) ont fait l’analyse de 91 échantillons d’eau traitée provenant de divers lieux de Colombie- Britannique (localisation et nombre non précisés). Les résultats ont montré une contamination de 59 % des échantillons, 10 % contenant des kystes infectieux (tests effectués avec des gerbilles). Les auteurs ont noté une relation entre des pics de turbidité dans l’eau brute et une augmentation des kystes dans l’eau traitée, sans toutefois avoir analysé plus à fond les liens possibles de cause à effet. Wallis et al., (1996), après avoir analysé 423 échantillons prélevés dans l’eau de 72 municipalités canadiennes, ont mis en évidence une contamination de 18 % d’entre eux (concentration habituellement inférieure à 2 kystes/100L); la plus forte concentration (230 kystes/100L) ayant précédé une épidémie de giardiase dans une municipalité du Nord de l’Ontario.

Risque sanitaire

Infections chez les humains

La dose infectante de kystes de Giardia sp. (celle pouvant initier une infection avec manifestations cliniques) peut être aussi faible que 10 kystes; une étude visant à évaluer la dose infectant 50 % des personnes exposées par voie orale (DI50) a établi qu’une moyenne de 19 kystes pouvait être considérée comme une dose infectante (Santé Canada, 1997). Toutefois, puisque d’autres études ont mis en évidence des doses un peu plus élevées, on considère généralement qu’entre 10 et 100 kystes sont requis pour infecter un individu (Farthing, 1998).

La période d’incubation est très variable, de 3 à 25 jours avec une durée médiane de 7 à 10 jours. Les premiers symptômes cliniques coïncident généralement avec l’excrétion des premiers kystes (issus des trophozoïtes) (Thompson, 1998); on note habituellement des nausées, des douleurs épigastriques, de l’anorexie et de la fièvre avec des selles plutôt molles et malodorantes (Garcia, 1998; Santé Canada, 1997). Dans la majorité des cas, l’infection disparaît spontanément, mais plusieurs personnes souffrent d’accès récurrents qui peuvent persister pendant plusieurs mois (Farthing, 1998). Parmi les complications les plus importantes, notons un syndrome de malabsorption (Wolfe, 1992). La courte durée relative de la phase aiguë entraîne souvent un mauvais diagnostic, la giardiase pouvant être confondue avec une entérite virale, une dysenterie bactérienne, une amibiase ou une toxi-infection alimentaire causée par des bactéries (Garcia, 1998). Contrairement à la cryptosporidiose (voir la fiche appropriée), la giardiase peut être traitée par un certain nombre de médicaments, principalement le métronidazole qui est habituellement utilisé pour son effet amoebicide et trichomonacide (Farthing, 1998; Markell et al., 1999).

On rapporte que les personnes immunodéprimées sont plus vulnérables à l’infection par Giardia lamblia (Leber et Novak, 2001). Quant aux personnes infectées par le VIH (sidatiques), elles ne semblent pas manifester de symptômes cliniques plus sévères, bien que la persistance de l’infection (notée par la présence de kystes dans les fèces) soit beaucoup plus longue (Markell et al., 1999). Chez les enfants, l’infection est le plus souvent asymptomatique et la forme chronique rare mais, conséquence de la malabsorption consécutive à l’infection, une perte de poids et un retard de croissance ont été notés chez un nombre significatif d’enfants infectés (US EPA, 1999). Il importe cependant de noter qu’une étude québécoise a montré que, chez les enfants, il n’y avait pas de corrélation entre le fait d’être porteur de kystes de Giardia lamblia et les mesures anthropométriques ou les symptômes gastro-intestinaux (Varga et Delage, 1990).

Épidémiologie et facteurs de risque

La prévalence du Giardia dans les selles humaines varie généralement de 2 à 7 % dans les pays industrialisés (Thompson, 1998); aux États-Unis, des examens de selles humaines (414 820 échantillons ne provenant pas de personnes ayant une diarrhée) ont révélé une prévalence de 3,8 % (Schaefer, 1999). Par ailleurs, dans certains états américains, l’incidence peut être particulièrement élevée, atteignant 24/100 000 au Wisconsin (Addiss et al., 1992) et 45,6/100 000 au Vermont (Birkhead et Vogt, 1989). Au Québec, selon les données du registre des maladies à déclaration obligatoire (MADO), l’incidence était de 10,4/100 000 pour la période de 1990 à 1995 (Lévesque et al., 1999). Il importe ici de noter que ces données ne permettent pas d’identifier l’origine de la contamination (alimentaire, hydrique ou de personne à personne).

On note par ailleurs une augmentation de l’incidence dans les pays industrialisés (Thompson, 1998), qui résulterait en partie d’une recherche plus fréquente de cette infection ainsi que de meilleures méthodes de diagnostic (Lévesque et al., 1999); au Québec, le nombre de cas déclarés était de 1 093 en 1999, comparativement à 689 en 1990 (Louchini et Douville-Fradet, 2001). Au Canada, le nombre de cas de giardiase déclarés en 1999 a été de 5 234 (Santé Canada, 2001a). Bien que l’ingestion d’eau contaminée puisse engendrer une part notable des cas (voir plus loin), d’autres causes importantes de la giardiase sont rapportées :

  • transmission de personne à personne chez les enfants en bas âge et les personnes qui en prennent soin à domicile et dans les garderies;
  • voyages dans des pays endémiques (Garcia, 1998; Lévesque et al., 1999; Thompson, 1998).

Par ailleurs, la pratique accrue d’activités de plein air (marche en montagne, camping, etc.), qui inciterait les personnes à boire de l’eau de surface non traitée, contribuerait à l’augmentation des cas (Dennis et al., 1993; Lévesque et al., 1999).

Aux États-Unis, la giardiase est l’infection entérique d’origine hydrique la plus souvent confirmée en laboratoire, dépassant en fréquence l’ensemble des entérites virales et bactériennes d’origine hydrique (US EPA, 1998). Une revue et une analyse de toutes les épidémies d’origine hydrique survenues aux États-Unis de 1965 à 1996 ont révélés 118 épidémies (26 300 cas) de giardiase, la plupart (70 % des épidémies et 88 % des cas) étant attribuables à l’ingestion d’eau provenant d’un réseau d’aqueduc (US EPA, 1998). Les réseaux qui filtrent et désinfectent l’eau ont été moins souvent impliqués (6,3 épidémies par 1 000 systèmes) comparativement à ceux qui n’utilisent que la chloration (52,8 par 1000 systèmes), démontrant ainsi la relative inefficacité du chlore seul. Une étude effectuée au New Hampshire et au Vermont a par ailleurs montré que l’ingestion d’eau de puits mal protégés avait été à l’origine de 18 % des cas de giardiase diagnostiqués et induisait un doublement du risque (risque relatif [RR] de 2,1) (Chute et al., 1987). Cette observation a été subséquemment confirmée au New Hampshire où l’utilisation de puits individuels mal protégés et la consommation d’eau de surface induisaient un risque plus élevé (RR de 2,4 et 3,4 respectivement) de même que l’ingestion d’eau lors de la baignade (RR = 4,6) (Dennis et al., 1993).

Normes et recommandations

Au Québec, le Règlement sur la qualité de l’eau potable stipule que l’eau destinée à la consommation humaine doit être exempte d’organismes pathogènes, incluant les parasites, bien que la présence de Giardia sp. ne soit pas expressément spécifiée. De plus, l’article 5 exige que le traitement des eaux délivrées par un système de distribution doit permettre l’élimination d’au moins 99,9 % des kystes (3 log) si elles proviennent en totalité ou en partie d’eaux de surface, ou d’eaux souterraines sous l’influence directe d’eaux de surface. Cet objectif doit être implanté par la mise en place d’étapes de traitement efficaces mettant en oeuvre un ensemble de diverses techniques de traitement de l’eau (consulter le chapitre 9 de la référence MENV 2002). Il est très important de noter que l’objectif de réduction de 3 log ne s’applique qu’à une eau représentant un risque minimal de contamination, contenant moins de 20 coliformes fécaux/100 ml (concentration arithmétique moyenne annuelle); un traitement éliminant plus de 3 log de Giardia si l’eau est plus polluée (consulter le chapitre 10 de la référence MENV, 2002).

La norme québécoise est directement inspirée de celle des États-Unis. En effet, dans ce pays, ce protozoaire est considéré comme un contaminant de l’eau potable et l’Agence de protection de l’environnement (US EPA) précise que sa présence est inacceptable, sans toutefois obliger sa recherche systématique (US EPA, 2001b; 2002). Il est généralement requis que les systèmes de traitement de l’eau potable puissent enlever ou inactiver 99,9 % (3 log) des kystes de Giardia sp. dans l’eau traitée (Schaefer, 1999). Cette norme découle des recommandations de l’US EPA qui a établi le risque acceptable de giardiase à un cas sur 10 000 (10-4) personnes annuellement (US EPA, 1998; Regli et al., 1991; Rose et al., 1991b). Afin de demeurer sous ce seuil, et sur la base d’une consommation moyenne de 2 litres d’eau par personne par jour, la concentration de kystes dans l’eau devrait être au maximum de l’ordre de 10-7/l (LeChevallier et Norton, 1995; Regli et al., 1991). Selon les règles régissant le traitement des eaux de surface aux États-Unis, il est possible de respecter cette norme en éliminant au moins 99,9 % (3 log) des kystes de Giardia sp lors du traitement de l’eau potable (US EPA, 1998) si la concentration de kystes dans l’eau brute est inférieure à 10-4/l (MENV, 2002).

Mentionnons par ailleurs qu’au palier fédéral canadien, dans les années 90, une proposition pour la qualité de l’eau potable prévoyait une absence totale de kystes dans l’eau potable à titre de concentration maximale acceptable (CMA) (Santé Canada, 1997). Reconnaissant qu’une surveillance permettant l’application d’un tel objectif est difficile, il a été finalement décidé de ne recommander aucun seuil (Santé Canada, 2001b); toutefois, cette directive est présentement en révision.

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Fiche rédigée par Pierre Chevalier et les membres du Groupe scientifique sur l’eau de l’Institut national de santé publique du Québec

Mise à jour : juin 2003