La révision des pratiques de l'équipe interdisciplinaire d'un Centre de référence pour investigation désigné : un projet de démonstration

À l'instar des autres programmes de dépistage à l'échelle internationale, le Programme québécois de dépistage du cancer du sein (PQDCS) repose sur une approche d'assurance qualité (AQ), elle-même intimement associée à la révision des pratiques ou audit. Pour faciliter la révision des pratiques, le PQDCS possède un système d'information où sont colligées les données relatives à la clientèle et aux services offerts. Depuis le démarrage du programme, l'équipe d'évaluation du PQDCS à l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a produit de nombreux indicateurs sur les activités de dépistage et d'investigation menées à l'échelle de la province et des régions dans le cadre du programme. Les données produites concernant la performance des centres de dépistage désignés (CDD) ont été acheminées aux radiologistes (envois aux radiologistes en décembre 2005 et en mars 2007). Toutefois, il n'existait aucune donnée pour décrire les activités et fournir de la rétroaction aux intervenants des centres de référence pour investigation désignés (CRID).

Il est donc apparu nécessaire de développer des indicateurs permettant de décrire les activités de chaque CRID, de les comparer entre eux, de les confronter à des normes (le cas échéant) et de partager ces résultats avec les intervenants concernés, c'est-à-dire les membres de l'équipe interdisciplinaire du CRID. Encore fallait-il s'assurer du choix judicieux des données à présenter, des méthodes adoptées pour les produire, des modalités utilisées pour les diffuser et, finalement, des conditions pour rendre la démarche utile et acceptable par l'équipe interdisciplinaire.

Compte tenu de l'absence de balises claires quant à la mise en oeuvre d'une démarche de révision des pratiques, il est apparu important de réfléchir sur la réalisation même de la démarche. Dans ce contexte, il a été reconnu essentiel d'expérimenter le projet dans un site pilote, l'Hôpital du Saint-Sacrement (HSS), et d'y joindre une évaluation susceptible de soutenir la réflexion et de favoriser les ajustements en cours de projet. Il était également souhaité que l'évaluation donne des pistes pour favoriser la généralisation de la démarche de révision des pratiques dans les autres CRID du Québec.

Le projet a été développé en deux volets. Le premier volet visait à développer les indicateurs et à les diffuser aux membres de l'équipe interdisciplinaire du CRID-HSS. Le second volet consistait à évaluer l'utilité et l'acceptabilité de cette démarche (évaluation qualitative). Ces deux volets se sont enrichis mutuellement au cours du déroulement du projet.

Le premier volet du projet a interpellé principalement les collaborateurs de l'équipe d'évaluation du PQDCS de l'INSPQ, tandis que le second volet a fait intervenir des professionnels de l'équipe Organisation des services et évaluation de la Direction de santé publique (DSP) de la Capitale-Nationale. Dès le départ, la Dre Louise Provencher, chirurgienne-oncologue au CRID de l'Hôpital du Saint-Sacrement (HSS), a accepté d'assumer un leadership auprès de ses pairs, ce qui a été précieux tout au long du déroulement du projet. L'ensemble des professionnels qui ont collaboré ont constitué l'équipe de projet.

Dans un premier temps, une revue de la documentation a permis de positionner la révision des pratiques. Ce processus implique la collecte de données, la production d'analyses et la transmission des résultats aux différents acteurs concernés. Selon une revue Cochrane (Jamtvetd et al., 2006), cette approche est particulièrement prometteuse en cas d'écarts importants par rapport à des lignes de conduite bien établies. Il semble, par ailleurs, que l'on obtienne de meilleurs résultats en ayant recours à plusieurs types d'interventions simultanées. En somme, il n'y a pas de preuves irréfutables que la démarche de révision des pratiques entraîne systématiquement des changements de pratique. Certaines conditions sont considérées «nbsp;porteuses de succèsnbsp;» ou «nbsp;gagnantesnbsp;» :

  • assurer la confidentialité;
  • standardiser les données et étaler la démarche sur une assez longue période (deux ans);
  • présenter simplement les données, avec des messages ciblés, en temps opportun et mettre en valeur les meilleures performances;
  • offrir de la formation;
  • intégrer des changements organisationnels appuyés par les cliniciens et les décideurs;
  • coordonner la démarche de façon souple.

Parallèlement, une revue de la documentation a permis d'identifier les indicateurs développés et proposés par différents programmes de dépistage du cancer du sein ou des organismes internationaux (Annexe II). Force est de constater que la grande majorité des indicateurs portent sur la pratique médicale.

Une évaluation a priori a été réalisée auprès d'intervenants ciblés du milieu d'accueil. Une présentation de la conception initiale du projet a été suivie de la collecte de certaines informations sur les conditions de réalisation du projet. Ces entrevues ont permis de constater que la compréhension des concepts associés à la révision des pratiques était variable. On note toutefois que les médecins et les professionnels ont expérimenté plusieurs activités de révision des pratiques au cours des dernières années (ex. : contrôles de la qualité technique des appareils de radiologie, évaluation par critères objectifs promus par le Collège des médecins du Québec).

Les répondants s'entendaient sur la pertinence de s'engager dans la démarche de révision des pratiques; tous en anticipaient des bénéfices. Cependant, ils ajoutaient du même coup qu'il faut minimiser le temps et l'énergie associés à cet exercice en raison de l'essoufflement associé à une tâche déjà lourde. La nature même des analyses qui devraient être incluses dans cette démarche variait passablement en fonction des intérêts et des rôles que les intervenants assument au sein de l'équipe. Les catégories de personnels et de professionnels qui devraient être invitées à assister aux rencontres ne faisaient pas consensus. On insistait toutefois sur la nécessité de s'assurer que les personnes qui sont réellement concernées seront invitées en priorité à la diffusion des résultats. Les répondants rappelaient l'importance de :

  • préserver la confidentialité des résultats;
  • tenter d'éviter, jusqu'à une certaine limite, de créer des situations «nbsp;difficiles politiquementnbsp;» pour l'établissement;
  • rester «nbsp;branchénbsp;» sur la réalité, c'est-à-dire concret et proche des préoccupations des cliniciens.

Compte tenu de la complexité des défis méthodologiques, de l'importance de rester très près des besoins des cliniciens, de la «nbsp;sensibiliténbsp;» associée aux résultats et de la nécessité d'assurer des modes de gestion efficaces de la confidentialité, il a été décidé de mettre en place un comité ad hoc pour soutenir le déroulement du projet. Ce comité incluait un radiologiste, un pathologiste, une omnipraticienne et la chirurgienne impliquée au sein de l'équipe de projet. Les autres membres de l'équipe de projet, soit les collaborateurs de l'INSPQ et de la DSP, se sont joints au comité.

Le mandat du comité ad hoc consistait à collaborer à la définition des indicateurs, à décider de la stratégie de diffusion la plus appropriée et à collaborer à l'évaluation qualitative.

Au terme d'importants travaux, les indicateurs développés ont été présentés à l'équipe interdisciplinaire du CRID-HSS le 27 mars 2007. Dans le cadre de ce projet, le CRID-HSS a été comparé à l'ensemble des autres CRID de la province sur la base des analyses suivantes (2004 étant l'année la plus récente) :

  • description des établissements ayant procédé à l'investigation (vérification notamment des caractéristiques permettant de comparer les CRID entre eux);
  • caractéristiques des femmes (provenance, lieu de réalisation de la mammographie, symptômes au dépistage, type de lésion);
  • remplissage des différents rapports du PQDCS :
    • rapport de confirmation diagnostique;
    • rapport de pathologie;
    • rapport détaillé du clinicien;
  • profil d'investigation des femmes :
    • imagerie;
    • actes effractifs;
  • caractéristiques des cancers :
    • cancers in situ;
    • cancers infiltrants de petite taille;
    • cancers infiltrants sans envahissement ganglionnaire;
  • indicateurs de performance : actes effractifs :
    • ratio bénin/malin à la biopsie par forage;
    • ratio bénin/malin à la biopsie ouverte;
    • % de diagnostics préopératoires pour cancer;
    • % d'actes effractifs préopératoires pour lésion bénigne;
  • indicateurs de performance : délais :
    • délai entre le dépistage et le diagnostic si accès direct à un CRID versus accès non direct;
    • délai entre le premier acte en CRID et le diagnostic avec ou sans biopsie;
    • délai entre le premier acte en CRID et le diagnostic bénin ou cancer;
  • indicateurs de performance : rappel précoce :
    • rappel précoce recommandé (3 à 11 mois);
    • rappel précoce recommandé (3 à 11 mois) suite à l'investigation initiale.

La description détaillée des indicateurs présentés à l'équipe est disponible à l'annexe VI. L'évaluation ayant démontré clairement la nécessité d'assurer la confidentialité des résultats, les analyses en tant que telles ne sont pas divulguées dans le présent rapport.

Lors de la rencontre de diffusion des résultats en mars 2007, les participants à la rencontre étaient invités à donner leurs premières impressions par écrit. Des entrevues ont suivi. On retient que la démarche est reconnue utile et qu'elle est jugée acceptable et recevable, en ce sens qu'elle ne constitue pas une menace et n'est pas reçue comme telle. Les interviewés suggèrent fortement qu'il y ait un suivi et que de nouvelles données soient produites de façon régulière. Dans le contexte où les indicateurs produits touchent surtout le volet médical, il semble que les principales personnes à viser par cette démarche soient les médecins et les administrateurs (pour actualiser des modifications touchant la gestion si nécessaire). Un suivi doit donc être prévu pour assurer la mise en oeuvre des décisions qui pourraient découler des constats tirés de l'analyse des données.

Il convient de noter la remise en question de la pratique du rappel précoce (pour l'ensemble des CRID du Québec). On s'interroge sur la pertinence des rappels précoces 6-12-24 mois suite au diagnostic «nbsp;probablement béninnbsp;» ou suite à une biopsie par forage. Cette pratique (qui correspond aux normes actuellement reconnues) permet-elle effectivement de mettre en évidence des cancers et de modifier l'évolution de ces cas? D'autres recommandations seraient-elles plus appropriées? Ces interrogations sont très importantes, elles devraient tôt ou tard faire l'objet d'une attention particulière. Le PQDCS dispose de suffisamment de données depuis son démarrage pour justifier un examen sérieux de cette question dans une optique d'optimiser la dispensation des services mais aussi afin d'améliorer l'état des connaissances.

Certaines suggestions sont, par ailleurs, destinées aux CRID dans l'optique de leur future implication dans la révision des pratiques :

  • s'assurer de transmettre les résultats de façon confidentielle;
  • transmettre des résultats et en assurer la diffusion tous les ans;
  • s'assurer de l'implication d'un leader dans le milieu et faciliter l'appropriation de la démarche par les cliniciens et les administrateurs (l'implication du «nbsp;couple clinicoadministratifnbsp;» du programme de lutte contre le cancer pourrait être envisagé);
  • idéalement, être soutenu dans cette démarche par le responsable régional en AQ du PQDCS;
  • présenter oralement les résultats de façon efficace et concise et distribuer une version papier pour consultation ultérieure;
  • déterminer une structure ou un processus pour faire le suivi à l'intérieur du centre hospitalier et identifier le lien formel avec l'administration.

En conclusion, même les meilleures données ne pourront rien changer si elles ne sont pas adaptées aux besoins, si elles ne sont pas intégrées par les principaux intéressés et si elles ne font pas l'objet d'un suivi, lorsque cela s'avère nécessaire. Il est possible que le flot des activités cliniques rende difficile pour des cliniciens, par ailleurs surchargés, l'appropriation de la démarche. C'est la raison pour laquelle l'implication du responsable en AQ de la région peut faire toute la différence. Encore là, il faudra s'assurer que celui-ci reçoive la formation adéquate et se sente à l'aise pour soutenir les CRID de sa région.

Auteur(-trice)s
ISBN (électronique)
978-2-89496-371-5
ISBN (imprimé)
978-2-89496-370-8
Notice Santécom
Date de publication