Conséquences de la médiatisation sur la santé

Les enjeux de la médiatisation des tueries de masse

À la recherche de notoriété, l’auteur d’une tuerie de masse laisse la plupart du temps derrière lui un véritable plan de communication à l’intention des médias, et ce, dans l’optique d’influencer la manière dont la nouvelle rapportant son crime sera construite. Pour ce faire, il prépare des écrits dans lesquels il tente d’insérer son acte dans un continuum rationnel, en décrivant son projet comme un geste ou une mission à inscrire dans une idéologie ou un mouvement2.

En dépit de la publicité pouvant être faite à l’auteur et à ses idéaux, toute tuerie représente un évènement d’intérêt public qui mérite de se retrouver dans l’actualité : la population a le droit d’être informée sur les conséquences et les circonstances du crime.

Lorsqu’une tuerie survient, son importante couverture médiatique fait en sorte qu’elle se retrouve dans le quotidien des gens et possiblement au centre de leurs préoccupations. Cette médiatisation, comme le démontrent de nombreuses études dont il sera question ci-dessous, comporte des conséquences pour la santé des individus et des communautés. La couverture d’un tel évènement et la construction de ce type de nouvelle comme produit médiatique devraient dès lors être faites à la lumière de ces répercussions.

Il est possible de parler de contagion d’un phénomène social lorsque, dans un intervalle de temps donné, est observée une hausse d’évènements similaires à l’évènement original.

  • En ce qui concerne les tueries de masse, deux études récentes démontrent qu’aux États-Unis, lorsqu’un tel évènement survient, la probabilité qu’un crime similaire se reproduise dans les deux semaines suivantes augmente21,22.
  • La contagion ne se limite pas à la simple reproduction : par exemple, il est documenté qu’une tuerie en milieu scolaire peut entraîner une hausse marquée, quoique de durée limitée, de comportements violents dans d’autres écoles23,24.

Il est possible de parler d’imitation — de copycat ou de mimétisme — lorsqu’il y a reproduction en tout ou en partie d’un phénomène social, indépendamment de la période de temps qui s’est écoulée entre l’évènement déclencheur et l’imitation.

  • Dans le cas d’une tuerie de masse, cela signifie qu’une tuerie pourrait avoir été influencée par les démarches préparatoires d’une tuerie survenue il y a des mois, voire des années24-26.
  • Il s’agit alors d’une forme de glorification de l’acte passé et de son auteur.

Le lien entre couverture médiatique des tueries de masse et des effets de contagion, contrairement à d’autres phénomènes violents tels que le suicide, n’est pas explicitement établi. Des chercheurs font tout de même remarquer que les médias d’information sont le moyen privilégié par lequel le public est mis au courant de ces crimes, des motifs de l’auteur et de ses démarches préparatoires. Bien que celui-ci puisse lui-même mettre ces renseignements en ligne sur, par exemple, des réseaux sociaux, les médias traditionnels représentent tout de même une source d’informations facile d’accès ayant été consultée par certains auteurs de tuerie de masse26. Ils pourraient donc être un préalable nécessaire aux phénomènes de contagion et d’imitation. De nouvelles études seront nécessaires afin d’élucider le processus exact à travers lequel la couverture médiatique d’une tuerie entraîne une telle contagion de ce phénomène27.

La médiatisation des tueries de masse pourrait influencer le passage à l’acte d’un auteur potentiel en lui fournissant un script guidant un éventuel motif, les démarches préparatoires, ainsi que le comportement à adopter lors de la tuerie26.

Une médiatisation détaillée, répétée ou en continu, des tueries de masse pourrait avoir pour conséquence de générer une augmentation non-fondée de l’inquiétude qu’un acte violent se produise dans un endroit traditionnellement perçu comme sécuritaire. La médiatisation de ces tueries pourrait donc créer un sentiment d’insécurité en menant le public à surestimer le risque qu’un tel évènement ne survienne28-31.

  • De nombreuses études démontrent qu’une exposition indirecte à la violence à travers les médias d’information peut favoriser l’apparition de symptômes associés à un état de détresse chez certains individus29,32,33. Les enfants sont particulièrement vulnérables à ce type de violence médiatisée29,34, tout comme les adultes ayant souffert de stress aigu ou de trouble de stress posttraumatique dans le passé. Dans le cas de ces derniers, il est donc possible de parler de retraumatisation (revictimisation) causée par la médiatisation35-37.

Un évènement aussi exceptionnel et grave qu’une tuerie de masse se retrouve inévitablement dans l’actualité. La médiatisation détaillée, répétée ou en continu de ces crimes peut cependant créer des sentiments d’insécurité et de la détresse dans la population.

Bien que naturelles, les spéculations émises dans les médias d’information quant au motif de l’auteur d’une tuerie de masse, aux individus visés ou aux raisons l’ayant poussé à commettre ce crime, peuvent avoir pour effet de stigmatiser différents pans de la population.

  • Comme le suggèrent plusieurs études, discuter de l’équilibre mental d’un présumé auteur d’homicide dans des termes simplistes, imprécis, voire préjudiciables, peut avoir un effet de stigmatisation envers des individus souffrant de troubles mentaux. Certains d’entre eux pourraient dès lors faire l’objet de méfiance par autrui et se retrouver isolés ainsi que discriminés davantage. Aussi, par crainte d’être associées à une personne potentiellement violente, certaines d’entre elles pourraient hésiter à consulter pour obtenir de l’aide38,39.
  • La mise en évidence d’une communauté visée ou de l’appartenance de l’auteur d’une tuerie à une communauté ethnique, religieuse ou nationale particulière, peut provoquer une forme de stigmatisation pouvant entraîner une hausse des crimes haineux envers cette communauté. Par exemple, dès qu’un lien entre les attentats du 11 septembre 2001 et un groupe terroriste islamiste a commencé à circuler, une hausse de crimes haineux envers la communauté arabo-musulmane fut observée aux États-Unis40,42.

La couverture médiatique d’une tuerie peut provoquer une stigmatisation de certains groupes de la population, tels que des communautés culturelles ou des individus souffrant de troubles mentaux, alimentant ainsi l’exclusion sociale, tout en constituant une entrave à la santé et au bien-être des individus touchés43,44.

Le devoir des journalistes de rendre compte des évènements en toute neutralité a longtemps occulté le fait qu’elles ou ils puissent être psychologiquement affectés, voire traumatisés par une crise dont elles ou ils devaient rendre compte objectivement45.

  • Bien que la recherche sur la détresse au sein de la profession journalistique soit récente, iI a été démontré que la couverture d’une tuerie de masse peut affecter la santé des journalistes et susciter chez eux des signes de détresse, telle qu’une tristesse généralisée, de l’anxiété, de l’empathie pour les victimes, de la culpabilité, des pleurs, de la haine, de la peur ou une fatigue insupportable46-49. Par exemple, environ 50 % des journalistes ayant couvert les deux tueries de masse survenues en Finlande en 2007 et en 2008 ont souffert de détresse à court terme47,48.
  • Les journalistes confrontés à des images (vidéo ou photos) violentes ou dérangeantes sur une période prolongée peuvent aussi souffrir de détresse psychologique45.

Le traumatisme généré chez les journalistes affectés à couvrir une crise a, jusqu’ici, été relativement peu considéré, exacerbant ainsi la détresse qu’elles ou ils peuvent vivre en faisant leur travail50. Pourtant, ce type de traumatisme est bien réel.

Lorsqu’une tuerie survient, les médias entrent inévitablement en mode de communication de crise. Les salles de rédaction envoient leurs journalistes sur le lieu du crime en vue de cueillir de l’information. Celle-ci, dans les circonstances, s’avère généralement difficile à colliger : lagitation d’une scène où les autorités et les secours tentent de gérer une crise est effectivement peu propice à la collecte d’informations.

Dans ce contexte, il est important de savoir que les personnes touchées directement par une tuerie, tels que les témoins ou les survivantes et survivants peuvent ne pas être aptes à commenter les évènements vécus.

  • Il existe des cas documentés dans lesquels certaines personnes ayant témoigné rapidement après un évènement violent évoquent, a posteriori, ne pas avoir compris qu’elles ou ils étaient interviewés par des médias d’information au moment des faits, alors que d’autres disent ne même plus se souvenir d’avoir donné une entrevue51-53.
  • Aussi, la constante proximité et l’incursion parfois insistante des journalistes dans le quotidien d’une communauté en deuil peuvent irriter : des individus peuvent se sentir aliénés de leur communauté lorsque les médias s’y installent longtemps. D’autres peuvent être mécontents par l’image de leur communauté projetée dans les médias. Aussi, pour certaines personnes, la présence constante et prolongée des journalistes peut constituer une source permanente de stress54.

Les victimes légèrement blessées ou sans traumatisme corporel sont souvent prisées par les journalistes, puisqu’elles représentent une source d’informations primaires et ne requièrent pas d’attention médicale d’urgence. Compte tenu du choc que viennent tout juste de vivre ces individus, cette pratique n’est pas, selon plusieurs auteurs, la meilleure stratégie à adopter53,55-57.