19 mars 2019

Jonathan Chevrier, professeur-chercheur

Portrait
Auteur(s)
Patrick Poulin
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec
Mathieu Valcke
Ph. D., conseiller scientifique spécialisé, Direction de la santé environnementale et de la toxicologie, Institut national de santé publique du Québec

Le Comité de rédaction du BISE vous propose encore une fois le portrait d’un acteur du Québec œuvrant dans le domaine de la santé environnementale. L’objectif de ce portrait est de mettre en lumière le travail, mais aussi le parcours, la vision et les réalisations de professionnels du réseau de la santé environnementale qui rayonnent à l’échelle régionale, provinciale, nationale et internationale. Ce mois-ci, ce portrait porte sur le professeur Jonathan Chevrier, de l’Université McGill. 

M. Jonathan Chevrier est titulaire d’un baccalauréat en kinésiologie et d’une maîtrise en physiologie-endocrinologie de l’Université Laval, ainsi que d’un doctorat en épidémiologie. À la suite de l’obtention de ce dernier diplôme, décerné par l’Université de Berkeley en Californie, M. Chevrier a terminé un post-doctorat en biostatistique et santé environnementale dans cette même institution. Il occupe, depuis janvier 2014, un poste de professeur-chercheur au Département d’épidémiologie et de biostatistiques de l’Université McGill, où il développe des projets à portée locale et internationale.

Comment vous décrivez-vous quand il est question de présenter ce que vous faites dans la vie?

Ayant l’habitude de préciser la nature de son travail à ses étudiants, partenaires et collaborateurs, M. Chevrier s’est spontanément décrit comme « une personne qui s’intéresse aux contaminants environnementaux et à leurs effets sur la santé humaine, et plus particulièrement aux substances susceptibles d’interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et d’induire des effets néfastes sur le développement des enfants ».

Aviez-vous une vision claire de ce que vous vouliez faire au début de votre carrière?

« Non. Au début de mon cursus universitaire, mon choix pour la kinésiologie s’expliquait par le fait que je voulais devenir entraîneur de canoë-kayak pour l’équipe olympique canadienne. Suite à une série de voyages à l’étranger, j’ai constaté l’ampleur de certains problèmes environnementaux et j’ai souhaité faire évoluer les choses positivement. Changer le monde, quoi! »

Cette prise de conscience a mené M. Chevrier à développer un intérêt pour la recherche appliquée, et plus spécifiquement au regard des perturbateurs endocriniens d’origine environnementale. Bien que ce thème soit très étudié de nos jours, il n’était qu’en émergence au moment d’orienter son choix de recherche doctorale. Aussi, ce sujet suscitait chez lui une forme de fascination. En raison du type précis d’effets physiologiques impliqués, il s’est interrogé sur la possibilité que l’exposition aux perturbateurs endocriniens engendre davantage de conséquences au sein des populations vulnérables, notamment chez les enfants qui sont en plein processus de développement. Pour cette raison, il a décidé de se pencher sur ce groupe en particulier pour mener ses recherches.

Quelles sont les répercussions de vos travaux au sein des communautés avec lesquelles vous êtes en contact?

Avant d’articuler une réponse à cette question, M. Chevrier rapporte d’abord la nature de l’un de ses plus ambitieux projets de recherche développés à ce jour, soit une étude de cohorte menée en Afrique du Sud chez une population de 750 enfants.

« Depuis 2012, nous suivons ces enfants depuis leur naissance jusqu’à l’âge de 8 ans afin d’évaluer une variété de paramètres associés à leur santé. L’objectif de cette étude est d’évaluer les effets associés à l’exposition à divers pesticides (p. ex. DDT, pyréthrinoïdes utilisés par le gouvernement sud-africain pour combattre la malaria) sur le développement physique, hormonal, immunitaire et cognitif de ces enfants. En effet, on connaît bien les effets bénéfiques de ces pesticides, essentiels même, dans la lutte contre la malaria, mais on n’a aucune idée des effets secondaires, collatéraux. »

M. Chevrier rapporte ensuite les multiples retombées de ses travaux :

« Cette vaste étude permet d’abord à la communauté scientifique de mieux comprendre les effets des pesticides sur la santé humaine. Ensuite, nos travaux s’avèrent utiles pour éduquer les populations concernées et influencer les décideurs afin qu’ils adoptent les meilleures pratiques de gestion parasitaire disponibles. »

Quels sont les projets qui ont monopolisé le plus votre énergie scientifique?

M. Chevrier souligne que le suivi de la cohorte africaine, dans un milieu où la pauvreté est très présente, constitue un défi de taille, car il est constamment confronté à de multiples contraintes de nature logistique, communicationnelle, humaine, météorologique, etc. :

« Bien que ce projet soit des plus enivrants, il est non seulement nécessaire de s’adapter à tous les imprévus, mais il faut également développer des solutions alternatives pour être en mesure de poursuivre les multiples tâches afin d’assurer la bonne marche du projet. »

M. Chevrier évoque la gestion des échantillons incluant le prélèvement, l’entreposage, le transport outre-mer, l’analyse, etc. :

« Il faut avoir un plan A, B, C… Concrètement, nous avons régulièrement à composer avec des pannes d’électricité. Durant la saison des pluies, les routes menant à certaines communautés peuvent devenir impraticables. Au niveau humain, il a fallu former du personnel depuis la base, car dans les régions éloignées où se déroule le projet, certains n’avaient jamais touché à un ordinateur de leur vie! Mais notre personnel sur place trouve beaucoup de fierté dans son travail et est extrêmement fier d’apprendre pour pouvoir nous aider ensuite. Nos gens sentent qu’ils peuvent faire une différence pour leur communauté, et cela les motive au plus haut point. »

Vous enseignez également; comment voyez-vous votre rôle à cet égard? Qu’est-ce que cela représente pour vous?

Pour M. Chevrier, l’enseignement, dans son cas exclusivement à des étudiants de troisième cycle, est une source importante de motivation. Ses étudiants étant tous très motivés, les heures de classe passées en leur compagnie sont l’occasion d’échanges enrichissants et autant d’opportunités de débattre de nouvelles idées et de nouvelles façons de faire.

« Les étudiants nous mettent un peu au défi parfois par leurs questions et commentaires. Cela nous force à bien nous préparer. On est loin de la conférence magistrale où le professeur enseigne de façon unilatérale à 200 étudiants dans un amphithéâtre. »

Quels sont vos projets futurs? Qu’est-ce qui vous tient à cœur?

M. Chevrier rapporte qu’il souhaiterait passer davantage de temps au Québec et développer des projets portant sur l’innocuité des produits chimiques de remplacement aux pesticides, aux retardateurs de flammes, aux agents plastifiants, etc.

« Je m’intéresse à ce thème parce qu’au Canada la législation n’exige pas que les produits qui sont mis en marché pour remplacer d’autres produits jugés toxiques soient démontrés plus sécuritaires que ceux qu’ils remplacent. »

M. Chevrier a également réfléchi sur l’élaboration d’une étude portant sur l’incidence accrue de plusieurs types de cancers chez les pompiers.

« Il est étonnant à première vue que les pompiers, dont le travail implique une meilleure forme physique que la moyenne des gens – et de s’entraîner pour la garder! –, présentent pourtant des taux d’incidence de certains cancers clairement plus élevés que le reste de la population. On se demande si des expositions professionnelles ne seraient pas à l’origine de cette observation. Les résultats d’un projet pilote que nous avons mené sont prometteurs, même si nous sommes encore en train de les analyser. Éventuellement, nous espérons aller chercher le financement pour étendre cette analyse à une étude de plus grande envergure. »

Comment voyez-vous votre rôle d’expert au sein de la communauté de santé publique?

« Tous les professeurs et chercheurs évoluant dans la sphère universitaire ont un rôle à jouer auprès de la société. Ils doivent en effet transmettre des informations justes et objectives à la population, tout en s’assurant que celles-ci soient considérées par les décideurs des secteurs public et privé. Ils ont donc un rôle de consultation. Ce faisant, ils doivent être en mesure de vulgariser les résultats de leurs travaux et de prendre part à certains débats sociétaux en vue de faire évoluer les paradigmes et les politiques établies. »

Ceci dit, M Chevrier admet que ce rôle, pour un universitaire, peut parfois en venir à constituer une source de tension en raison des exigences de rigueur et d’objectivité qui incombent aux chercheurs universitaires : « Évidemment, il demeurera toujours des incertitudes associées à nos recherches, mais notre travail consiste justement à toujours chercher à les réduire et à bien illustrer les [preuves] mises en lumière par la science ».

En matière de toxicologie environnementale, comment décririez-vous les variations entre la situation au Québec et au Canada par rapport à ailleurs dans le monde?

Même si les expositions aux produits chimiques sont présentes partout dans le monde, M. Chevrier nuance à l’effet que les types de produits, ainsi que le degré d’exposition aux contaminants environnementaux, diffèrent grandement d’une région du monde à une autre. Il rapporte que les résidents des pays en voie de développement, ainsi que les populations vulnérables des pays développés, sont davantage exposés aux contaminants environnementaux. Par ailleurs, il précise que certains contaminants tels les pyréthrinoïdes, les néonicotinoïdes, les composés organophosphorés, et les polluants de l’air ambiant (ozone, particules fines, dioxyde d’azote, etc.) peuvent représenter un risque à la santé chez toutes les populations humaines du globe. « Cela dit, une étude récente publiée dans The Lancet suggérait que 92 % de la mortalité mondiale associée à la pollution se retrouvait dans les pays en voie de développement ».

Quelle est votre plus grande source de motivation?

« Changer le monde, faire évoluer les pratiques industrielles et commerciales, faire une différence afin d’améliorer la vie et la santé chez les individus vulnérables ou qui n’ont pas de voix dans la sphère publique ». Il rappelle que les populations plus défavorisées sont généralement les plus affectées par la contamination environnementale et sont plus souvent victimes d’iniquité sanitaire et environnementale. « C’est vrai pour les pauvres par rapport aux riches, mais aussi pour les plus pauvres parmi les pauvres ».

Quel est votre plus bel accomplissement professionnel?

M. Chevrier rapporte que l’établissement et le suivi de la cohorte de jeunes enfants en Afrique du Sud demeurent à ce jour son plus grand accomplissement. Il confirme que s’il détient le financement nécessaire pour effectuer un suivi de ces enfants jusqu’à l’âge de 8 ans, il souhaite obtenir davantage de ressources afin de pouvoir poursuivre l’étude bien au-delà.

« En effet, les effets sanitaires associés aux perturbateurs endocriniens (retard de croissance, retard cognitif, du développement social, de capacité d’apprentissage, etc.) peuvent vraisemblablement se manifester beaucoup plus tard au cours de leur vie. C’est pour cette raison que la poursuite de cette étude au-delà de l’âge de 8 ans serait des plus pertinentes. »