Traiter de l’intimidation dans les médias

Cette section a été élaborée sur la base des principaux constats d’une analyse de la couverture médiatique de l’intimidation dans la presse écrite québécoise portant sur les articles publiés entre le 1er janvier 2009 et le 14 septembre 2015. Pour procéder à cette analyse, l’INSPQ s’est inspiré des lignes directrices proposées par l’organisme Stopbullying.gov1 et par le National Center for Injury Prevention and Control2.

La manière dont les médias traitent de l’intimidation, qu’il s’agisse d’un cas précis ou de la problématique en général, et l’utilisation qui est faite de ce terme peuvent avoir un effet sur la perception de cette problématique au sein de la population. Voici des pratiques recommandées en matière de traitement journalistique de l’intimidation qui peuvent également s’appliquer à toute personne ayant à intervenir dans les médias ou dans l’espace public concernant l’intimidation.

Définir l’intimidation

  • Le gouvernement du Québec a adopté la définition suivante de l’intimidation : « tout comportement, parole, acte ou geste délibéré ou non à caractère répétitif, exprimé directement ou indirectement, y compris dans le cyberespace, dans un contexte caractérisé par l'inégalité des rapports de force entre les personnes concernées, ayant pour effet d'engendrer des sentiments de détresse et de léser, blesser, opprimer ou ostraciser ».
  • Les éléments importants à considérer dans cette définition sont en caractères gras. Ils doivent être présents pour conclure qu’il s’agit bel et bien d’une situation d’intimidation (caractère répétitif, inégalité des rapports de force, geste généralement délibéré ayant pour effet de nuire ou de faire du mal).
  • Quoique certaines manifestations d’intimidation peuvent prendre la forme de gestes physiques (ex. : frapper, bousculer), tous les gestes d’agression ne sont pas nécessairement des gestes d’intimidation. À titre d’exemple, une personne qui utilise volontairement la force contre une autre personne à l’aide d’une arme commet une voie de fait.
  • Il est à noter également que certains types de violence (ex. : violence conjugale, agression sexuelle, violence dans les sports) peuvent inclure des épisodes plus ou moins fréquents d’intimidation. Voir la section De quoi parle-t-on?
  • Ces nuances sont importantes pour transmettre une information juste sur le phénomène de l’intimidation. Cette information va permettre à la population de mieux reconnaître le phénomène et d’avoir une appréciation plus juste de son ampleur dans la société. Par exemple, les statistiques disponibles concernant l’intimidation vécue par les jeunes illustrent bien que tous n’en sont pas victimes. Voir la section Jeunes

Expliquer les causes possibles de l’intimidation

  • L’intimidation peut rarement être expliquée par un seul facteur tel que les caractéristiques physiques ou comportementales, l’expression de genre, l’orientation sexuelle ou encore l’appartenance culturelle ou religieuse de la personne qui en est la cible.
  • Il faut considérer que l’intimidation est un phénomène multifactoriel. L’intimidation peut être modulée par les caractéristiques d’un milieu donné (ex. : absence de réglementation ou non-application des sanctions prévues, programme d’intervention inexistant ou inopérant) et les normes sociales qui y prévalent (ex. : hétérosexisme, homophobie, xénophobie). Elle peut également être modulée par certaines caractéristiques des personnes auteures ou des cibles d’intimidation (ex. : victime de mauvais traitements dans l’enfance, anxiété, retrait social).
  • Limiter l’explication d’une situation d’intimidation aux seules caractéristiques physiques d’un individu est très réducteur et suggère que c’est un phénomène difficile à prévenir puisque ces caractéristiques sont difficilement modifiables. En revanche, reconnaître le rôle du milieu et le rôle de l’éducation pendant la petite enfance et l’enfance nous conduit à identifier des stratégies de prévention prometteuses, telles que le développement sain des jeunes enfants. Voir la section Prévention

Décrire les situations d’intimidation

  • Les personnes qui posent des gestes d’intimidation, même si elles le font de manière délibérée, ne réalisent pas toujours les conséquences que cela peut avoir sur celles qui en sont la cible.
  • Chez les jeunes, par exemple, certains gestes d’intimidation peuvent être motivés davantage par le désir d’attirer l’attention ou d’être drôles que par le désir de nuire ou de faire du mal. Dans ce cas, bien qu’il soit nécessaire de condamner les gestes d’intimidation qui ont été commis, rien ne sert de démoniser la personne auteure en utilisant des termes tels que bourreaux, fier-à-bras, hurluberlu, assaillant, brute, tortionnaire, peste, dur à cuire, tyran ou voyou. L’utilisation de tels termes risque de stigmatiser la personne qui a commis les gestes dans un rôle négatif et peut compromettre les chances de modifier ce type de comportements.
  • De plus, l’utilisation de tels termes fait croire que l’intimidation n’est due qu’aux comportements d’un individu et qu’on réglerait le problème si ce dernier n’existait pas. Cette lecture de la situation ne tient pas compte des autres facteurs liés à la famille, au milieu et à la communauté en général qui peuvent expliquer l’intimidation et sur lesquels il est possible d’agir pour prévenir la réapparition du phénomène dans le milieu.

Varier les points de vue

  • Afin de remettre en contexte les différentes situations d’intimidation pouvant faire l’objet d’une couverture médiatique et de les lier plus largement à la problématique de l’intimidation, il est important de varier les points de vue et de privilégier le recours aux experts et aux sources officielles.
  • Les experts, c’est-à-dire des professionnels de l’intervention ou des chercheurs ayant développé une compréhension sur une ou plusieurs facettes du phénomène de l’intimidation, tout comme les sources officielles (ex. : données d’enquête, policiers) peuvent être consultés pour obtenir des données sur l’importance du phénomène et mieux comprendre quelles stratégies d’intervention ou de prévention sont efficaces. Les journalistes à la santé qui sont familiers avec ce type de problématique pourraient également être une source d’informations utile.
  • Puisque les experts ne sont pas nécessairement toujours disponibles en temps opportun, certains éléments peuvent compléter les propos rapportés par les différentes sources consultées et contribuer à dresser un portrait global d’une situation d’intimidation ou de la problématique dans son ensemble. En voici quelques exemples :
    • l’ampleur;
    • les facteurs associés au risque et les facteurs de protection;
    • les conséquences potentielles de l’intimidation pour les personnes victimes, les personnes auteures, l’entourage de la personne victime et la société;
    • les solutions applicables par le milieu et l’entourage.

Pour de l’information concernant la problématique en général, voir la section De quoi parle-t-on?, pour de l’information concernant un groupe ou un contexte particulier, voir les sections : Jeunes, Adultes, Personnes aînéesPersonnes de la diversité sexuelle ou de genre et Autochtones.


Aborder le suicide dans un contexte d’intimidation

  • Le suicide d’une personne victime d’intimidation est un phénomène rare qui est généralement abondamment couvert par les médias. Il importe cependant de ne pas associer le suicide comme étant un résultat direct d’une situation d’intimidation.
  • Tout comme pour l’intimidation, la cause du suicide est multifactorielle. Faire une association directe entre les deux phénomènes peut laisser croire à la population que le suicide est la seule issue au problème de l’intimidation ou bien qu’il en est une conséquence logique. L’intimidation ou certaines conséquences qui en découlent peuvent en effet être considérées comme des facteurs associés au risque, mais ne doivent pas être présentées comme les causes uniques d’un suicide. Les études s’étant intéressées au lien entre l’intimidation et le suicide ne permettent pas d’établir un lien de causalité. L’impact de l’intimidation sur les idéations ou les comportements suicidaires serait plutôt modulé par certains facteurs tels que la dépression et l’anxiété. Voir la section De quoi parle-t-on?
  • De plus, il faut garder à l’esprit que le fait d’insinuer que l’intimidation soit la cause unique d’un suicide peut faire en sorte que le suicide soit perçu comme une réponse normale à l’intimidation vécue. Des lignes directrices de la couverture médiatique du suicide ont d’ailleurs été développées au cours des dernières années en tenant compte des données probantes sur cette question. Ces lignes directrices mentionnent notamment qu’il faut éviter des descriptions explicites ou sensationnelles, d’attribuer le suicide à une seule cause et de donner une image du suicide comme étant une manière de résoudre un problème. Vous pouvez consulter ces lignes directrices à l’adresse suivante : https://www.cpa-apc.org/wp-content/uploads/Media-Guidelines-Suicide-Reporting-FR-2018.pdf

Faire connaître les ressources d’aide

  • L’intimidation est une problématique sociale complexe qui peut être prévenue.
  • L’identification des ressources disponibles pour les personnes auteures, les personnes victimes et leurs proches peut également faire en sorte qu’il y ait de moins en moins d’intimidation et que les personnes impliquées puissent obtenir l’aide dont elles ont besoin. Pour connaître les ressources d’aide, consultez la section Besoin d’aide du site web du gouvernement du Québec.
  • À titre d'exemple, le fait de souligner les initiatives de prévention réussies et de mettre l’accent sur les actions, réactions et interventions positives des témoins, des écoles ou de la communauté permettent de véhiculer ce message.

Synthèse des principaux constats de l’analyse de la couverture médiatique de l’intimidation

Éléments à considérer Constats de l’analyse de la couverture médiatique Messages clés

Définir l’intimidation

« Le terme intimidation est généralement bien utilisé dans les articles traitant des jeunes. Il semble cependant y avoir une certaine confusion entourant ce terme dans les articles portant sur les adultes. »

Puisque tous les gestes d’agression ne sont pas nécessairement des gestes d’intimidation, il est important de s’assurer que les informations disponibles ou présentées permettent de déterminer qu’il s’agit bel et bien d’un cas d’intimidation.

Expliquer les causes possibles de l’intimidation

« Les motifs mentionnés pour expliquer les gestes d’intimidation sont la plupart du temps associés à des caractéristiques individuelles des victimes. »

Il est réducteur de ne mentionner que des caractéristiques individuelles des victimes pour expliquer les gestes d’intimidation, sans avoir recours à d’autres facteurs explicatifs.

Décrire les situations d’intimidation

« Différents qualificatifs peuvent être utilisés pour parler des auteurs et des personnes qui sont la cible d’intimidation. »

Afin d’éviter d’étiqueter les personnes qui posent des gestes d’intimidation et de victimiser davantage celles qui en sont la cible, il est préférable d’utiliser des termes neutres (ex. : l’auteur des gestes, la personne qui en est la cible).

Varier les points de vue

« La variété des sources consultées et de l’information présentée dans les articles permet de faire un récit assez complet des événements dans les articles traitant de personnes ayant subi ou posé des gestes d’intimidation ou de bien comprendre la problématique dans les articles de fond traitant de l’intimidation. »

Afin de remettre en contexte les différentes situations d’intimidation pouvant faire l’objet d’une couverture médiatique et de les lier plus largement à la problématique de l’intimidation, il est pertinent de privilégier le recours aux experts et aux sources officielles et présenter différents éléments tels que les conséquences et les solutions applicables.

Aborder le suicide dans un contexte d’intimidation

« Un certain nombre d’articles font mention du décès par suicide ou d’une tentative de suicide d’une personne victime d’intimidation. Certains passages parlant du décès par suicide de victimes d’intimidation mentionnent le moyen utilisé, font état du lieu où le suicide s’est déroulé ou de la découverte du corps. »

Puisque le suicide est généralement multifactoriel, une situation d’intimidation ne peut être présentée comme étant la cause unique d’un suicide. Pour assurer un traitement médiatique adéquat du suicide, certaines recommandations doivent être considérées.  

Faire connaître les ressources d’aide

« Il faut souligner que les ressources d’aide disponibles pour les victimes ou leurs proches sont très rarement mentionnées dans les articles analysés. »

Il est conseillé de mentionner que des ressources d’aide sont disponibles pour les personnes victimes ou leurs proches.

Références

  1. STOPBULLYING.GOV. « Media guidelines for bullying prevention ». In : Stopbullying.gov [En ligne]. [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < https://www.stopbullying.gov/media/index.html > (consulté le 4 novembre 2018)
  2. NATIONAL CENTER FOR INJURY PREVENTIN AND CONTROL. The relationship between bullying and suicide: what we know and what it means for schools. Atlanta : Centers for Disease Control and Prevention, National Center for Injury Prevention and Control, Division of Violence Prevention, 2015.
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