Stratégies de prévention de la violence au travail

L’approche en santé publique aborde la prévention de la violence au travail en visant autant que possible à réduire ou à éliminer ses causes. Les interventions organisationnelles ont généralement plus de chances d’avoir des impacts sur l’élimination des causes associées aux situations de violence en milieu de travail, mais des interventions individuelles peuvent également être réalisées [2]. Une revue systématique portant sur des interventions en milieu de travail élaborées pour diminuer le harcèlement ou l’incivilité a permis d’analyser de façon spécifique douze interventions. De ces interventions, la moitié mettait l’accent sur les comportements ou les connaissances individuelles à propos du harcèlement et de l’incivilité, mais les résultats démontrent que les interventions organisationnelles sont préférables aux interventions ciblant les individus [124–126]. Selon ces études, des interventions visant à identifier les situations où il y a des risques de harcèlement et à les éliminer, des interventions ciblant l’amélioration des pratiques de gestion et de l’organisation du travail au sein des équipes, et le développement des connaissances et des compétences des gestionnaires en matière de prévention du harcèlement sont des exemples d’interventions organisationnelles jugées efficaces. De plus, de telles interventions sont flexibles et adaptées au contexte organisationnel et reposent sur les principes de participation et de développement du pouvoir d’agir des travailleurs, ainsi que sur les principes d’engagement et de réactivité de l’employeur. Ces principes correspondent généralement aux bonnes pratiques en matière de promotion de la santé psychologique en milieu de travail. Toutefois, les auteurs de ces études mettent en garde à l’égard du peu de recherches recensées utilisant des critères méthodologiques rigoureux, limitant ainsi l’interprétation de l’efficacité des interventions.

Il existe également plusieurs recherches évaluatives dans le domaine de la prévention de la violence psychologique au travail [55,125]. Certaines de ces études concluent que les stratégies utilisées devraient être différentes selon les secteurs. Par exemple, des stratégies seraient plus appropriées pour le secteur privé et d’autres pour le secteur public [127–129]. En France, l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) a publié un modèle d’intervention visant à soutenir les milieux de travail dans leurs activités de prévention de la violence psychologique. Ce modèle insiste sur l’importance de considérer le contexte organisationnel dans l’analyse des incidents de violence, et inclut plusieurs outils permettant aux responsables d’organisations de mieux intervenir dans les situations de violence au travail [130].

Comme mentionné précédemment, des études dans le domaine de la santé au travail ont trouvé des liens entre la violence et d’autres risques psychosociaux du travail [80,131–134]. Par conséquent, plusieurs stratégies proposées dans la littérature ciblant des risques psychosociaux du travail, tels que le manque de soutien social de la part du supérieur et des collègues ou la faible autonomie décisionnelle [61], peuvent prévenir la violence. Au Québec, une étude présente une intervention participative visant à prévenir la violence interne au travail dans trois centres de détention [135]. L’intervention a été conçue par un comité paritaire, et trois catégories de changements organisationnels ont été ciblées afin de prévenir la violence : l’adoption de pratiques plus participatives qui reconnaissent l’importance de chaque employé; l’adaptation des méthodes de travail afin de définir des lignes directrices dans les procédures de travail; et le développement de moyens et de mesures permettant de favoriser de saines relations interpersonnelles et le bien-être personnel. Cette intervention a eu des répercussions positives sur le plan de la prévention de la violence dans les trois centres où elle a été implantée, en améliorant le soutien social et l’autonomie décisionnelle. Ces travaux dans les centres de détention québécois ont mené au développement d’une démarche de prévention primaire de la violence au travail et d’un outil Web novateur, en partenariat avec les milieux de travail (Jauvin et collaborateurs, 2013; IRSST15). Selon un rapport d’expert sur la violence, cibler les risques psychosociaux du travail qui sont liés, d’une part, à l’environnement et à la structure organisationnelle du lieu de travail et, d’autre part, à une situation et des conditions de travail particulières, contribuerait dans une large mesure à prévenir la violence. Inclure explicitement les risques de violence dans les systèmes de gestion de la santé et de la sécurité des entreprises rendrait probablement les lieux de travail plus sûrs [4].

La prévention de la violence physique en milieu de travail est souvent centrée sur la violence externe. La violence physique externe est parfois attribuable à des facteurs organisationnels sur lesquels il est possible d’agir. Certaines études suggèrent que la prévention primaire de la violence au travail commence par l’amélioration de la qualité des services, ce qui peut nécessiter un investissement pour embaucher plus de personnel, le développement de mécanismes de plaintes pour accueillir les insatisfactions de la clientèle, mais aussi la mise en place de mécanismes participatifs qui permettent aux travailleurs d’être entendus dans le développement de stratégies visant l’amélioration des relations avec la clientèle [37,136]. À titre d’exemple, l’OIT a publié des directives générales sur la violence au travail dans le secteur de la santé, un secteur particulièrement touché par la violence externe. L’approche privilégiée est une approche systématique de prévention dont les actions se décomposent en une série d’étapes allant de la reconnaissance de la violence, à l’évaluation des risques, à l’intervention, puis à la surveillance et l’évaluation. Les moyens de prévention ciblent des interventions sur le plan de l’organisation, des interventions environnementales visant à sécuriser les lieux physiques, des interventions sur les personnes et des interventions postérieures à l’événement  [137].

Les politiques organisationnelles qui prônent la tolérance zéro à l’égard de la violence, ou encore l’établissement de normes en matière de promotion de la santé ciblant la prévention de la violence sont d’autres exemples de stratégies préventives. En Australie, une enquête portant sur les professionnels de la santé a permis de constater qu’au moins quatre types d’interventions visant à prévenir la violence étaient présents dans 60 % des milieux de travail à l’étude. Ces interventions sont : des politiques, des protocoles et des procédures visant la tolérance zéro de la violence au travail; un système de dénonciation et de suivi des incidents; des restrictions d’accès pour les patients et le public; et des systèmes de sécurité dans les bâtiments [138].

La Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail (CAN/CSA-Z1003-13/BNQ 9700-803/2013), laquelle couvre la protection psychologique contre la violence, l’intimidation et le harcèlement, est un exemple de stratégie permettant de donner des lignes directrices aux organisations afin d’intervenir à différents niveaux de prévention. Cette norme, dont l’application est volontaire, propose des recommandations sur les plans individuel et organisationnel afin de minimiser les facteurs de risque à la santé psychologique. Cette norme nationale a été classée première mondiale dans une revue systématique visant à déterminer la qualité de normes et de programmes internationaux en matière de santé mentale au travail [139]. Bien que ne portant pas exclusivement sur la prévention de la violence, cette norme canadienne cible d’autres facteurs de risque qui ont un impact sur la santé psychologique et l’environnement psychosocial de travail, tels que la participation et l’influence, les exigences psychologiques de l’emploi, la reconnaissance et la gestion de la charge de travail. Ceux-ci sont des exemples de facteurs de risque psychosociaux du travail qui peuvent avoir une influence sur les situations de violence.

La prévention de la violence en milieu de travail par la réglementation16

Au Québec, même en l’absence de dispositions spécifiques, les lois sur la santé et la sécurité du travail encadrent la prévention des agressions (Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST)) et le droit à l’indemnisation pour les conséquences de celles-ci (Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles (LATMP)). De plus, des dispositions spécifiques portent sur le harcèlement psychologique au travail (Loi sur les normes du travail (LNT)). C’est la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) qui est l’organisme chargé de la réparation et de la prévention des lésions professionnelles depuis la fusion de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) avec la Commission des normes du travail (CNT) en 2016. La CNESST s’assure également de la promotion et du respect des obligations légales des employeurs en matière de harcèlement psychologique au travail.

Plus spécifiquement, l’article 51 de la LSST énonce le devoir de l’employeur de protéger la santé et d’assurer la sécurité et l’intégrité physique de ses travailleurs. Cet article permet à la CNESST d’intervenir dans les organisations afin de s’assurer que l’employeur met en place les moyens nécessaires pour réduire les risques d’agression contre ses employés [140], et s’applique aussi à la protection de la santé mentale des travailleurs [141]. Bien que l’objectif général de prévention devrait toujours être d’éliminer les causes, Lippel et Lanctôt [140] rappellent qu’il est extrêmement important de mettre en place des stratégies visant à limiter ou à atténuer les conséquences néfastes de cette violence. Même en l’absence de texte explicite, la LATMP prévoit le droit à l’indemnisation pour une lésion professionnelle attribuable à une agression au travail. Ce droit est habituellement déterminé sur la base de la définition d’un « accident du travail », que l’article 2 de la loi définit comme : « Un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle. » Seul le harcèlement psychologique comme forme spécifique de violence au travail est encadré par la Loi sur les normes du travail. En effet, l’article 81.19 accorde aux travailleurs « le droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique » et prescrit le devoir de l’employeur de « prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser » (Loi sur les normes du travail, 2002). La définition du harcèlement psychologique au travail selon cet article se lit comme suit : « une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié. »

La prévention de la violence en milieu de travail passe également par la légifération, laquelle aura des impacts plus grands si elle tient compte des considérations de genre. L’élaboration d’instruments visant à réglementer la violence en milieu de travail doit viser la promotion de l’égalité en milieu de travail. La législation devrait également tenir compte de la nécessité de disposer d’incitatifs efficaces pour la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Lorsque des règles juridiques exigent la prévention de la violence au travail et la protection des travailleurs à cet égard, il est plus facile de promouvoir les avantages, pour une organisation, d’investir dans la mise en place de politiques organisationnelles ciblant la violence, car le non-respect des lois comporte un prix pour les organisations, comme pour les personnes responsables de la protection de la santé des travailleurs [142].

  1. http://www.irsst.qc.ca/prevention-violence/index.html
  2. Cette section ne couvre pas la totalité des recours légaux applicables en cas de violence au travail.