La violence vécue en milieu autochtone

La violence vécue en milieu autochtone présente plusieurs caractéristiques similaires à la violence vécue dans les milieux non autochtones, entre autres en matière de facteurs de risque et de conséquences sur la santé [29–31].

Elle présente toutefois des aspects bien distinctifs dont il est primordial de tenir compte. En effet, il est aujourd'hui admis qu'une compréhension erronée de la violence vécue en milieu autochtone « peut être néfaste […] et ne fait que renforcer les sentiments de marginalisation et d'impuissance qui sont la source même du problème » [32]. En 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones relevait d'ailleurs la nécessité de reconnaître le caractère distinctif de la violence vécue en milieu autochtone. D'abord, la violence ne peut être interprétée strictement comme l'expression d'un comportement individuel ou d'un problème circonscrit à quelques ménages, mais doit plutôt être comprise comme un phénomène social aux causes multiples. Aussi, la violence vécue en milieu autochtone reflète bien souvent un schéma de ruptures de relations sociales qui tient sa source de l'expérience historique autochtone. Cette violence est alimentée par les stéréotypes méprisants à l'égard des Autochtones [33].

Pour tenter d'articuler une définition de la violence vécue par ces populations, la typologie de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a été retenue dans ce chapitre [34].

D'abord, la violence collective envers les Autochtones au Québec, comme ailleurs au Canada, se manifeste par les limites structurelles imposées par les nombreuses politiques gouvernementales dans à peu près tous les domaines du développement économique et social des populations autochtones au pays. Ce type de violence est en fait souvent désigné par le terme « violence structurelle » ou « racisme systémique ». Au Canada, les Autochtones font partie des groupes sociaux les plus susceptibles de devoir composer avec différentes formes d'exclusion [35]. La violence collective agit sur la santé des populations en produisant des inégalités sociales, politiques et économiques qui se transmettent par la construction de déterminants défavorables à la santé et au bien-être [4,6,36,37].

La violence collective a une incidence indéniable sur la violence interpersonnelle vécue par les populations autochtones. Dans sa définition, l'OMS divise la violence interpersonnelle en deux catégories : la violence familiale et la violence communautaire. Cette dernière catégorie comprend différents actes commis « entre des personnes qui ne sont pas apparentées et qui peuvent ne pas se connaître » [34]. Contrairement à cette définition, en milieu autochtone, la violence interpersonnelle est plutôt généralement commise entre des personnes qui se connaissent. Cette forme de violence est désignée comme la « violence latérale ».

La violence latérale est décrite comme une forme de violence relationnelle « dirigée vers un membre d'un groupe par d'autres membres d'un même groupe » (Middleton-Moz, 1999 cité dans Chansonneuve [38]). Cette forme de violence paraît facilitée dans les communautés opprimées. Agissant sous l'effet de la colère, de la frustration ou d'un sentiment d'impuissance, des individus peuvent retourner leur colère les uns contre les autres et, en ce sens, intérioriser et reproduire la violence qu'ils ont subie [38–41]. La violence latérale est vécue au sein des familles, des communautés et des organisations, et se caractérise entre autres par le commérage, les querelles, le dénigrement, le rejet, l'intimidation, la jalousie, la colère, la rancœur, la méfiance ou encore le manque de confiance envers les autres [38–42]. Au Canada, les pensionnats ont été identifiés comme la cause principale de la violence latérale vécue par les populations autochtones [39].

Sous l'angle communautaire, les autres types de violence interpersonnelle les plus documentés dans la littérature sont les agressions sexuelles, les homicides et la violence faite aux femmes.

D'autre part, la maltraitance envers les aînés et la violence spirituelle et culturelle7 sont également évoquées dans la littérature scientifique et la littérature grise. Cependant, il y a peu de recherches qualitatives et peu de données sur l'incidence et la prévalence de ces deux types de violence dans les milieux autochtones [43,44]. Il en va de même pour la violence fondée sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre (personnes bispirituelles), quoique de plus en plus de chercheurs et d'organisations portent une attention particulière à cette problématique [45].

En ce qui concerne la violence familiale, les types de violence les plus documentés sont la violence conjugale et la maltraitance envers les enfants.

Il est à noter que dans la littérature traitant de la violence vécue par les Autochtones, la notion de violence familiale est largement privilégiée par rapport àla notion de violence conjugale ou de violence entre partenaires intimes, dans la mesure où il est compris que la dynamique de violence dépasse celle de la relation conjugale (ou intime), et qu'elle a des conséquences indéniables sur la dynamique familiale et sociale. En effet, il est entendu que la violence familiale peut certes s'inscrire dans le cadre de relations intimes, mais elle peut également prendre racine au sein des cellules familiales élargies, de l'entourage et de la communauté [31,43,46,47].

En ce qui concerne la maltraitance envers les enfants en contexte autochtone, tout comme en contexte non autochtone, la négligence serait la forme de maltraitance la plus souvent rapportée parmi les types de mauvais traitements infligés aux enfants par les parents ou les adultes qui en sont responsables [48–52].

La définition de la négligence n'échappe pas au contexte sociohistorique qui caractérise le développement des sociétés autochtones au Québec, comme ailleurs au Canada. D'abord, les politiques gouvernementales interventionnistes ont porté atteinte au développement des compétences sociales et des habiletés parentales. Elles ont également soumis les modèles familiaux autochtones au modèle familial occidental (voir l'encadré Les pensionnats au Canada). Ce faisant, certains comportements ne correspondant pas aux normes sociales largement acceptées ont pu – et peuvent encore – être considérés comme de la négligence par les services de protection de la jeunesse [51,53–55]. D'autres causes structurelles sont également évoquées pour expliquer la négligence en milieu autochtone; elles sont présentées à la section Des facteurs de niveau sociétal et communautaire. L'application des règles des services de protection de la jeunesse sur les familles autochtones se traduit alors par la surreprésentation du nombre d'enfants autochtones à toutes les étapes de la trajectoire de services de protection de la jeunesse.

Enfin, la violence auto-infligée, et plus particulièrement le suicide et les comportements suicidaires, s'avère être l'un des indicateurs les plus significatifs de la détresse vécue dans la population autochtone, en particulier la détresse des adolescents et des jeunes adultes [56,57]. L'étude du suicide et des comportements suicidaires dans les milieux autochtones a longtemps été abordée sous l'angle des études empiriques de cas individuels, à travers l'approche épidémiologique utile pour identifier les facteurs de risque ou encore à partir d'études ethnographiques [32]. Cela dit, l'analyse exclusive des problèmes individuels peut occulter l'influence de problèmes beaucoup plus généraux dans la vie d'un individu.

L'analyse contemporaine du suicide et des comportements suicidaires dans les milieux autochtones est de plus en plus orientée vers la démonstration de l'influence de facteurs structurels, sociaux et communautaires sur la sphère individuelle [56–60]. En effet, la variation du taux de suicide entre les communautés et les Nations a conduit des chercheurs d'ici et d'ailleurs à faire la démonstration que le suicide dépasse le phénomène individuel, et qu'il doit plutôt être considéré comme un indicateur de la souffrance collective [32,56,61,62].

  1. La violence spirituelle et culturelle « réfère à l'érosion et à la perte des valeurs traditionnelles ou à l'anéantissement des croyances culturelles ou religieuses d'une personne. Il y a utilisation de son pouvoir et de ses capacités de contrôle pour nier les droits et besoins culturels ou spirituels d'une personne. Cela peut comprendre l'interdiction d'accès à une terre ou à une cérémonie spirituelle ou culturelle, la négation d'un héritage culturel ou encore le fait de forcer quelqu'un à des pratiques culturelles ou spirituelles contre son gré. Cette forme de violence affecte profondément le sentiment d'identité des victimes autochtones, puisque la composante spirituelle y occupe une place importante » (Kiyoshk, 2001 et VITF, 2003, cités dans Montminy et collaborateurs [43]).