Au-delà de la mesure : ce que les indices des inégalités ne disent pas

Carl-Étienne Juneau
Louise Potvin

Contexte :
La santé et l'espérance de vie des populations se sont améliorées considérablement au cours du dernier siècle en Occident, mais les pauvres et les moins éduqués sont plus malades et meurent plus jeunes. Chiffrer ces écarts est épineux : nous avons répertorié quinze indices qui permettent de statuer sur l'existence et l'ampleur des inégalités, mais la valeur numérique que chacun produit pour décrire une même situation varie considérablement. Pourquoi? Cette présentation poursuit deux buts. Le premier est de familiariser les chercheurs et les intervenants avec le calcul et l'interprétation des indices des inégalités les plus utilisés. Le second est d'expliciter leurs prémisses pour montrer comment le choix d'un indice est lourd de sens et traduit un parti pris idéologique.

Méthode :
Cet argumentaire sera illustré et appuyé par une analyse des inégalités en matière de sédentarité en fonction de la scolarisation au Canada à l'aide des données de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (cycle 3.1, 2005).

Résultats :
Nous espérons que cette démonstration incite les chercheurs et les intervenants à choisir soigneusement avec quels indices ils décriront les inégalités et à mettre de l'avant l'idéologie que ces indices traduisent.

Conclusion :
Les dix indices retenus produisent dix valeurs différentes. À titre d'exemple, on pourrait dire que les décrocheurs sont 1,38 fois plus sédentaires que les diplômés universitaires (rapport de prévalence), mais on pourrait aussi dire que 20 % de la prévalence totale de sédentarité devrait être redistribuée pour que les groupes de scolarisation soient égaux (indice de dissemblance). Le rapport de prévalence indique clairement quel groupe est plus sédentaire, mais ne tient pas compte de la taille des deux groupes et compare la prévalence des décrocheurs à celle du groupe le plus aisé. Il est en ce sens plus proche de l'idéologie libérale que l'indice de dissemblance, qui ne dit pas quels groupes sont plus sédentaires, mais tient compte de tous les groupes et décrit une situation où ils auraient la prévalence moyenne de l'ensemble de la population. L'indice de dissemblance tient davantage de l'idéologie égalitaire.