Veille scientifique en santé des Autochtones, janvier 2024

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Habitudes de vie et comportements en matière de santé

Perceptions d’adultes autochtones vivant en milieu urbain sur la taxation des boissons sucrées : une étude qualitative utilisant une approche décoloniale

Kisselgoff, M., Champagne, M. R., Dubois, R., Turnbull, L., LaPlante, J., Schultz, A., Bombak, A. et Riediger, N. (2023). Examining attitudes toward a proposed sugar-sweetened beverage tax among urban Indigenous adults : A qualitative study using a decolonizing lens. Canadian Medical Association Open Access Journal, 11(5), E922‑E931.

Contexte

En comparaison avec d’autres groupes racialisés, les Autochtones du Canada vivant à l’extérieur des communautés consomment plus fréquemment et en plus grandes quantités des boissons sucrées. D’ailleurs, ils sont confrontés de façon disproportionnée à l’insécurité alimentaire et à la pauvreté, des facteurs associés à la consommation de boissons sucrées. S’inscrivant dans un éventail d’actions, la taxation des boissons sucrées est une mesure de santé publique visant à en diminuer la consommation. Son acceptabilité auprès de la population cible est toutefois primordiale.

Objectif

Explorer l’acceptabilité et les effets perçus d’une taxe sur les boissons sucrées auprès d’adultes autochtones résidant dans le quartier North End, Winnipeg au Manitoba.

Méthodologie

Cette recherche participative impliquant la communauté est réalisée en partenariat avec deux organisations autochtones agissant en prévention du diabète ou en soutien aux familles. Ces organisations ont notamment collaboré à formuler la question de recherche, à interpréter les données et à valoriser les connaissances produites. Puisque de nombreuses organisations de santé mettent de l’avant la taxation des boissons sucrées comme une mesure prometteuse, ces organisations autochtones souhaitaient alimenter leurs réflexions sur cette mesure.

En s'appuyant sur des perspectives autochtones, des entretiens semi-dirigés ont été réalisés par l’équipe de recherche en personne et au téléphone auprès de 20 Autochtones adultes de novembre 2019 à août 2020. Ils ont été retranscrits puis analysés pour refléter les rapports de pouvoir. L’échantillon est âgé de 20 à 65 ans, soit 10 femmes, 8 hommes et 2 personnes bispirituelles, une majorité consommant des boissons sucrées ou vivant de l’insécurité alimentaire.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Généralement, les participants avaient une acceptabilité limitée pour une telle mesure et doutaient de ses effets positifs. Trois thèmes interreliés ressortent de leur discours.

  • Le gouvernement n’est pas digne de confiance : Certains participants sont préoccupés que la taxation des boissons sucrées ne soit qu’une autre manière de faire de l’argent déguisée en une initiative de santé. Un manque de transparence sur l’utilisation des revenus des taxes a été soulevé. Les Autochtones rencontrés utilisaient des termes plus ou moins péjoratifs pour décrire les décideurs publics allant de privilégiés, élitistes à condescendants et paternalistes.
  • Les taxes sont inefficaces et inéquitables : Selon les participants, ce type de mesure ne prend pas en considération les besoins et les déterminants spécifiques aux Autochtones, par exemple, la pauvreté et l’insécurité alimentaire. Quelques participants ont souligné que la consommation de boissons sucrées est une forme de réduction des méfaits pour certains, une transition après l’arrêt de la consommation de substances psychoactives. Des adultes interviewés craignent qu’une taxation ne transforme leur seul vice socialement acceptable en un tabou inabordable. D’ailleurs, les participants étaient d’avis qu’une telle taxe allait toucher de manière disproportionnée les Autochtones, et encore plus ceux à faible revenu. Certains ne réduiraient pas nécessairement leur consommation, mais auraient moins d’argent pour d’autres achats.
  • L’autodétermination des Autochtones est essentielle : L’attitude défavorable des participants opposés à une taxation changeait lorsque questionnés sur la manière dont les revenus de cette taxe pourraient être redistribués. Le soutien à une telle mesure augmentait lorsque les participants pouvaient cibler les initiatives importantes pour eux et leurs pairs.

Limites

Les auteurs soulignent l’impossibilité de généraliser les résultats à l’ensemble des Autochtones vivant en milieu urbain. De plus, les restrictions sanitaires liées à la pandémie ont limité la création de relations en personne entre les parties prenantes et leur engagement, un incontournable dans la recherche participative basée sur la communauté.


L’influence de l’identité culturelle, de la communication parentale et des pairs sur la consommation d’alcool et de tabac chez les jeunes autochtones au Canada

Reynolds, A., Keough, M. T., Blacklock, A., Tootoosis, C., Whelan, J., Bomfim, E., Mushquash, C., Wendt, D. C., O’Connor, R. M. et Burack, J. A. (2023). The impact of cultural identity, parental communication, and peer influence on substance use among Indigenous youth in Canada. Transcultural Psychiatry.

Contexte

En Amérique du Nord, l’alcoolisme et le tabagisme sont parmi les principales causes de morbidité et de mortalité chez les adolescents autochtones. En 2019 au Canada, les jeunes autochtones étaient plus susceptibles que les jeunes non-autochtones de rapporter avoir régulièrement bu de l’alcool et fumé la cigarette dans la dernière année. Les adolescents passent beaucoup de temps avec leurs pairs; ces relations pourraient avoir un effet protecteur sur la consommation de substances psychoactives. La présente étude s’inscrit en continuité des travaux de Chandler et Lalonde stipulant que l’engagement communautaire et l’identité culturelle peuvent contribuer au bien-être des jeunes autochtones.

Objectif

Examiner le rôle de l’identité culturelle, de la communication parent-enfant et de la perception de l’opinion des pairs sur la consommation excessive d’alcool et le tabagisme des jeunes autochtones au Québec.

Méthodologie

Des élèves (n = 157) de deux écoles de communautés autochtones du nord du Québec ont été recrutés pour un programme de recherche abordant plusieurs thématiques, notamment l’identité culturelle et la réussite scolaire. De ce nombre, 117 élèves (52 % de garçons; âge moyen de 14,07 ans) ont répondu à un questionnaire sur une base volontaire avec l’approbation de leurs parents.

Des analyses statistiques ont été réalisées pour tester les effets de trois variables sur la consommation d’alcool et de tabac :

  • L’identification à la culture autochtone;
  • La communication parent-enfant sur les méfaits de la consommation de substances psychoactives;
  • La perception de la consommation d’alcool et de tabac des pairs et leur attitude face à la consommation.

Qu’est-ce qu’on y apprend? 

Les participants qui ont une forte identité culturelle sont moins enclins à la consommation excessive d’alcool et de tabac. Les croyances négatives sur la consommation d’alcool et de tabac joueraient un rôle dans la réduction de ces comportements à risque. La communication parentale semble avoir une faible influence sur les habitudes de consommation, rappelant l’importance des pairs dans les attitudes et les comportements de consommation.

Plus précisément, concernant la consommation d’alcool et de tabac chez les répondants :

  • Une forte identification à la culture autochtone est associée à des perceptions négatives de l’alcool et du tabac.
  • Les perceptions négatives à l’égard de l’alcool et du tabac sont à leur tour associées à une diminution de la probabilité d’avoir consommé de l’alcool jusqu’à l’intoxication et d’avoir consommé du tabac au cours de la dernière année.
  • Une perception positive de la consommation d’alcool et de tabac des pairs est associée à des perceptions personnelles positives de la consommation d’alcool et de tabac.

Le renforcement de l’identité culturelle, des liens avec les pairs qui ne consomment pas et des croyances négatives sur la consommation d’alcool et de tabac sont donc des pistes pour les initiatives de prévention auprès des jeunes autochtones.

Limites

Les auteurs soulignent que seuls les jeunes qui fréquentaient l’école ont été recrutés. Les données de deux communautés ont été combinées, donc leur réalité propre ne peut être représentée. Les perceptions des jeunes sur ce que signifie s’identifier à leur culture et l’évaluation des différentes facettes de l’identité culturelle étaient limitées. L’usage d’outils de mesure autochtones et la cueillette de données qualitatives pourraient permettre d’aller plus en profondeur. Seule la communication directe entre les jeunes et les parents a été étudiée, excluant les relations avec la famille élargie. Finalement, le devis transversal ne permet pas d’observer l’évolution dans le temps des variables.

Inégalités et déterminants sociaux de la santé

Renforcer la voix des femmes plus âgées autochtones et des peuples insulaires du détroit de Torrès pour promouvoir l’équité en matière de santé numérique : une étude qualitative coconstruite

Henson, C., Chapman, F., Shepherd, G., Carlson, B., Rambaldini, B. et Gwynne, K. (2023). Amplifying older Aboriginal and Torres Strait Islander women’s perspectives to promote digital health equity: Co-designed qualitative study. Journal of Medical Internet Research, 25, e50584.

Contexte

Les technologies de santé numérique révolutionnent la façon de prendre soin de sa santé, notamment concernant l’accès à la santé. Les bénéfices de ces technologies pourraient être distribués inéquitablement dans la population, particulièrement pour ceux vivant les plus grandes barrières d’accès. Pourtant, les recherches sur la santé numérique ont jusqu’ici exclu les besoins ou les préférences des femmes autochtones et des peuples insulaires du détroit de Torrès plus âgées. Ces femmes peuvent non seulement bénéficier des avancées technologiques en santé, mais elles sont également des figures d’autorité, de transmission des savoirs et de soutien pour leur famille et leur communauté.

Objectifs

  • Déterminer comment les femmes autochtones et des peuples insulaires du détroit de Torrès plus âgées utilisent les technologies numériques pour améliorer leur santé.
  • Mettre en lumière des études de cas sur l’utilisation des technologies numériques de ces femmes pour améliorer leur santé.
  • Élaborer un modèle de travail culturellement pertinent pour guider le développement des technologies numériques en santé qui répondent aux besoins de ces femmes.

Méthodologie

Le projet a été coconstruit en respectant les principes autochtones de gouvernance. Une instance autochtone de gouvernance a été mise sur pied pour renforcer et amplifier les perspectives des Autochtones et des peuples insulaires du détroit de Torrès, en plus d’y intégrer des scientifiques citoyennes. Celles-ci, principalement des femmes plus âgées de diverses communautés, supervisaient et participaient à l’étude.

Des femmes autochtones qui utilisent les technologies numériques comme mode de communication ont été recrutées dans quatre communautés virtuelles avec la méthode boule de neige, et ce jusqu’à saturation des données. La collecte des données s’est déroulée avec la méthode du cercle de partage (yarning) sur la plateforme Zoom. Les discussions ont été animées conjointement par un membre autochtone de l’instance et la chercheuse principale non-autochtone. Les séances ont été retranscrites puis analysées sur plusieurs cycles itératifs de cercles de discussions entre les membres de l’instance autochtone de gouvernance et les chercheurs. Au total, 24 femmes âgées autochtones et des peuples insulaires du détroit de Torrès ont participé, « âgées » faisant référence aux femmes de plus de 41 ans ayant grandi sans Internet.

Qu’est-ce qu’on y apprend? 

Quatre constats ressortent :

  • Les femmes âgées utilisent une variété de technologies numériques pour améliorer leur santé et leur mieux-être ainsi que ceux de leurs familles et de leurs communautés (moteurs de recherche, réseaux sociaux et appareils portatifs comme les montres connectées).
  • L’utilisation des technologies numériques en santé par les femmes plus âgées est freinée par différents obstacles, tels que les barrières d’accès pour des raisons financières ou techniques dues à l’éloignement, ou encore la violence latérale vécue sur les réseaux sociaux.
  • Les femmes âgées recherchent et ont besoin de sensibilité culturelle, de pertinence et d’efficience dans les technologies numériques en santé. Elles veulent des ressources sécuritaires et adaptées à leurs besoins, par exemple, des outils confidentiels, qui intègrent la guérison traditionnelle et occidentale, qui informent sur la santé des femmes, etc.
  • Les femmes âgées ont des forces uniques. Les études de cas présentées témoignent de l’agentivité des femmes à se mobiliser pour influencer le mieux-être de leurs pairs et de leur communauté, par exemple lors d’une campagne de mobilisation citoyenne sur les réseaux sociaux contre un projet d’usine de traitement des déchets nucléaires.

Le modèle Djurali pour l’équité en matière de santé numérique, conçu dans le cadre de l’étude, peut être utile aux développeurs numériques soucieux d’intégrer des groupes sous-représentés, dont les femmes autochtones plus âgées. Cinq éléments composent le modèle : la sécurité, l’accessibilité, la pertinence du contenu, l’aspect pratique des fonctionnalités et la sensibilité culturelle.

Limites

Seulement des femmes qui étaient habiles technologiquement et avaient accès à Zoom ont participé, constituant ainsi un échantillon peu représentatif de toutes les femmes âgées. Ceci dit, le principe d’équité veut qu’on écoute toutes les femmes, même celles plus à l’aise avec les technologies.

Promotion du mieux-être et de la santé mentale

Santé mentale et formation scolaire : apprendre des perspectives des jeunes autochtones en situation d’itinérance

Mirza, S. (2023). Mental health & educational attainment : Learning from Indigenous youth who are homeless. International Journal of Indigenous Health, 18(2).

Contexte

En 2016, 235 000 Canadiens vivaient en situation d’itinérance, dont 20 % de jeunes. Lors d’une étude auprès de plus de 1100 jeunes en situation d’itinérance, environ le tiers s’identifiait comme Autochtone. Malgré ces statistiques, la situation des jeunes autochtones en situation d’itinérance et ses conséquences sur leur santé et leur éducation ont été peu explorées.

Objectif

Explorer les expériences et les perspectives de jeunes autochtones vivant en situation d’itinérance en matière de santé physique et mentale, et d’éducation dans la région de York, Toronto.

Méthodologie

Ce projet de recherche a été approuvé par le comité d’éthique de l’Université de York et par les centres d’hébergement participants. La chercheuse a réalisé 11 entrevues avec des jeunes autochtones âgés de 13 à 29 ans dont certains résidaient dans ces centres. D’autres se trouvaient en situation d’itinérance au moment de la recherche.

L’analyse thématique utilise le concept d’exclusion sociale pour comprendre les multiples barrières à la santé et au bien-être des jeunes en situation d’itinérance.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Tous les jeunes autochtones de cette étude indiquent faire face à des défis de santé complexes regroupés sous trois catégories.

  • Privation, santé et scolarité : Le déclin de la santé globale s’explique par la difficulté à trouver un lieu où dormir de même que par le manque de nourriture et d’heures de sommeil. Les efforts pour répondre à ces besoins de base sont un obstacle à la bonne santé et à la poursuite de leur scolarité. Ils aggravent aussi des problèmes de santé déjà existants, comme l’explique un participant de 23 ans ayant des troubles nerveux chroniques et des douleurs à la jambe à la suite d’un accident. Ces situations rendent difficile la possibilité de sortir de l’itinérance.
  • Santé mentale, anxiété, dépression et scolarité : La majorité des participants indique éprouver des états d’anxiété et de dépression. Ceux-ci sont susceptibles d’augmenter lorsqu’ils subissent du racisme, de la discrimination et de la stigmatisation. Ces problèmes de santé sont liés à des expériences de négligence durant l’enfance, à des problématiques familiales et à des traumatismes intergénérationnels.

L’isolement et l’exclusion sociale vécus par ces jeunes augmentent les probabilités d’avoir des idées suicidaires. Tous ces facteurs font que malgré un fort désir d’étudier et de travailler, les jeunes manquent de ressources et de soutien pour faire face à leurs problèmes de santé. Ce phénomène a des répercussions non seulement sur l’emploi et l’éducation, mais aussi sur leur stabilité à long terme.

  • Difficultés de santé, résilience et scolarité : Tous les participants font face à des défis de santé liés à leur situation d’itinérance. Un participant de 26 ans décrit ses difficultés à recevoir ses médicaments car il navigue entre des périodes d’hébergement et d’itinérance. L’itinérance l’a poussé à quitter l’école de façon prématurée. Plusieurs ressentent que leur motivation et leurs compétences sont perdues ou gâchées. Malgré leur résilience, ces jeunes ne bénéficient pas du soutien nécessaire pour étudier. Ils se sentent incompris par les enseignants, les services administratifs et leurs pairs dans la mesure où leurs besoins spécifiques en matière de santé et d’éducation ne sont pas considérés. En effet, la plupart des services pour les jeunes en situation d’itinérance répondent essentiellement aux besoins primaires. Leurs ressources et leurs capacités sont limitées pour promouvoir la réussite éducative et favoriser un bien-être global.

Pour les jeunes autochtones, la perte de leur foyer est une expérience complexe et traumatisante qui s’entremêle avec l’histoire de la colonisation et ses conséquences contemporaines. Les problèmes de santé découlant d’expériences familiales traumatiques sont amplifiés par la situation d’itinérance. Le manque de nourriture et de logement les empêche de poursuivre leur scolarité créant d’autres vulnérabilités futures.

Limites

Le nombre limité de participants, qui fréquentaient presque tous des centres d’hébergement, ne permet pas d’avoir une vision complète de la vie de tous les jeunes autochtones en situation d’itinérance de la région de York. Plusieurs jeunes avaient déjà participé à des études de ce genre. La lassitude envers les enquêtes et les entrevues peut avoir influencé leurs réponses en plus de leur état de santé lors des entrevues.


Si vous vivez de la détresse, vous pouvez appeler la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être (1‑855‑242‑3310) ou clavarder en ligne. Ce service est disponible en tout temps pour tous les Autochtones du Canada.

D’autres ressources existent, consulter la liste des centres d’écoute par région.

L’inclusion des articles présentés dans ce bulletin de veille ne signifie pas leur endossement par l’Institut. Le jugement professionnel demeure essentiel pour évaluer la valeur de ces articles pour votre pratique. Vous pouvez également consulter la méthodologie de la veille scientifique en santé des Autochtones.