Veille scientifique en santé des Autochtones, juillet 2023

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Résumés d’articles par thématiques

Inégalités et déterminants sociaux de la santé

Une étude qualitative explorant les obstacles à l’accès aux services d’avortement parmi les peuples autochtones du Canada

Monchalin, R., Piñán, A. V. P., Wells, M., Paul, W., Jubinville, D., Law, K., Chaffey, M., Pruder, H. et Ross, A. (2023). A qualitative study exploring access barriers to abortion services among Indigenous Peoples in Canada. Contraception, 110056.

Contexte

Au Canada, des obstacles à l’accès à l’avortement persistent et leurs répercussions sont différentes selon les populations. Les expériences autochtones en matière d’accès à l’avortement ont été peu explorées. Ces lacunes dans les connaissances sont préoccupantes, sachant qu’une Canadienne sur trois a eu recours à l’avortement.

Les Premières Nations, les Inuit et les Métis du Canada sont confrontés à des barrières uniques et persistantes dans l’accès aux soins et services de santé, notamment en raison du colonialisme. Des femmes autochtones ont déjà subi de la violence et des préjudices en lien avec la santé reproductive, par exemple des expériences d’avortement, de stérilisation forcée ou encore de coercition contraceptive.

Objectif

Décrire les expériences d’avortement et d’accès aux services d’avortement pour les peuples autochtones au Canada.

Méthodologie

Cette recherche qualitative exploratoire emprunte une approche communautaire et s’appuie sur le féminisme autochtone, dans une perspective de décolonisation et de soutien à l’autodétermination. L’approche retenue vise à explorer la façon dont les intersections entre le genre, la race et la sexualité façonnent les réalités des populations autochtones.

Des entrevues ouvertes ont été réalisées avec une méthode conversationnelle. Cette méthode flexible favorise le lien relationnel. Elle est cohérente avec les méthodes autochtones de collecte et de partage des connaissances par les récits.

L’ensemble de l’équipe de recherche a contribué à l’analyse des données, à la fois pour la lecture des transcriptions, la codification et l’analyse des contenus. Un comité de représentants d’organisations autochtones a soutenu l’équipe à chacune des étapes du projet.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Les quinze participantes provenaient de neuf provinces et territoires du Canada. Elles s’identifiaient aux nations métisse, crie, dénée, inuit, haudenosaunee, anishinaabe et/ou mi'kmaq. Elles étaient âgées de 16 à 29 ans au moment de leur avortement.

Les participantes ont abordé six thèmes :

Obstacles logistiques (mentionnés par 7 femmes sur 15) : les services d’avortement se situent à plusieurs heures de route ou d’avion, ce qui implique des coûts importants.

Mauvais traitements (12/15) : les expériences mentionnées incluent le jugement, la maltraitance, la remise en question de leur décision. Des répondantes jugent avoir eu une moins bonne expérience que celle de femmes allochtones.

Stigmatisation (15/15) : un sentiment de honte et de jugement par la communauté a été ressenti par l’ensemble des participantes.

Répercussions du colonialisme sur les attitudes à l’égard de l’avortement (15/15) : la religion et le colonialisme ont eu des répercussions sur la transmission des savoirs en lien avec la santé reproductive, de manière à créer une fracture générationnelle.

Connaissances traditionnelles (15/15) : les savoirs et pratiques autochtones, incluant les herbes médicinales, devraient être davantage inclus dans les expériences d’avortement.

Suivi et soutien (8/15) : l’absence de suivi a été mentionné et les participantes ont recommandé un plus grand soutien local.

Les obstacles à l’avortement mentionnés par les participantes, tels la distance, la stigmatisation et le manque de soutien, ressortent aussi d’études concernant l’ensemble de la population canadienne.

Limites

Les résultats ne peuvent pas être généralisés en raison de la petite taille de l’échantillon et de la visée exploratoire de l’étude. Les entrevues ont été réalisées par le biais d’appels vidéo, ce qui peut constituer une barrière pour les femmes n’ayant pas accès à ces technologies.

Sécurisation culturelle

Formation en sécurité culturelle pour les professionnels de la santé, du travail social et de l’éducation : une étude de la portée PRISMA

MacLean, T. L., Qiang, J. R., Henderson, L., Bowra, A., Howard, L., Pringle, V., Butsang, T., Rice, E., Di Ruggiero, E. et Mashford-Pringle, A. (2023). Indigenous cultural safety training for applied health, social work, and education professionals: A PRISMA scoping review. International Journal of Environmental Research and Public Health, 20(6), 5217.

Contexte

Le racisme envers les populations autochtones dans les systèmes d’éducation et de santé est une réalité généralisée. Au Canada, des études rapportent que 39 % à 43 % des répondants autochtones ont vécu une expérience de racisme. En réponse à cette problématique, un nombre grandissant de formations en sécurisation culturelle sont conçues, mais peu d’informations sur leur mise en œuvre et leur évaluation sont disponibles.

Objectif

Réaliser une étude de la portée concernant la littérature scientifique sur la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des formations en sécurisation culturelle dans les domaines de la santé, du travail social et de l’éducation au Canada, aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Méthodologie

Une recherche exploratoire d’articles scientifiques publiés de 1996 à 2020 a été effectuée dans cinq bases de données. Pour être retenus, les articles devaient traiter des concepts définissant la sécurisation culturelle et être révisés par les pairs.

Qu’est-ce qu’on y apprend? 

En tout, 134 articles ont été retenus et analysés. Ils abordent deux grandes thématiques :

  • L’offre de formation en sécurité culturelle

    Le nombre de formations en sécurisation culturelle a particulièrement augmenté ces trente dernières années. Elles se différencient en fonction de leurs objectifs, de leur mode d’application, de leur durée et de leur mode d’évaluation.

    Ces formations présentent toutes plusieurs formats d’apprentissage. Parmi eux figurent les conférences, les ateliers, les sessions de discussion et les expériences immersives.

    Si 70 % des articles décrivant le déroulement des formations en sécurisation culturelle impliquent la participation de personnes autochtones, leur rôle est rarement précisé. Il est suggéré de veiller à ce que l’implication des personnes autochtones soit effective, continue, et ce dès la conception du projet.

  • L’évaluation de la formation en sécurisation culturelle

    Près du tiers des projets à l’étude ont décrit une stratégie d’évaluation des formations consistant principalement à recueillir les témoignages des participants. Ces évaluations visaient à décrire leurs expériences, leurs besoins et leurs préférences concernant la formation. D’autres études ont plutôt mis l’accent sur les compétences, les apprentissages et les attitudes des participants. La moitié des évaluations empruntent des méthodologies qualitatives et quantitatives, et plus du tiers une méthodologie exclusivement qualitative.

    En conclusion, les auteurs soulignent l’importance de clarifier le concept de sécurisation culturelle et les notions qui lui sont associées tout au long du projet en considérant le contexte d’application des formations.

Limites

Cette étude ne couvre pas les publications de projets réalisés durant et après la pandémie de la COVID-19. Seules cinq bases de données ont été consultées et la littérature grise a été exclue. Seules les publications en anglais ont été retenues. Enfin, il est possible que les publications ne comprenant pas le terme « autochtone », mais le nom d’une nation en particulier, ne soient pas apparues dans les résultats de la recherche.

Accoucher dans de bonnes conditions lorsqu’on doit le faire loin de chez soi : recherche participative autour des visions des familles inuit et de leurs professionnels de la santé basés à Montréal

Silver, H., Tukalak, S., Sarmiento, I., Budgell, R., Cockcroft, A., Vang, Z. M. et Andersson, N. (2023). Giving birth in a good way when it must take place away from home: Participatory research into visions of Inuit families and their Montreal-based medical providers. Birth.

Contexte

Au Nunavik, les femmes dont la grossesse présente un faible risque médical peuvent choisir d’accoucher dans des centres de naissance locaux gérés par des sage-femmes inuit et non inuit. Ceci dit, les auteurs estiment que de 14 % à 33 % des femmes sont évacuées pour accoucher à Montréal. Ces chiffres contrastent avec les autres régions de l’Inuit Nunangat, où jusqu’à 100 % des naissances, même sans risques, sont transférées à l’extérieur de la communauté. Pourtant, d’amples recherches ont mis en évidence les effets négatifs de cette évacuation sur les mères, leurs familles et les communautés.

Objectif

Décrire les visions d’un accouchement « dans de bonnes conditions », c’est-à-dire culturellement sécuritaire pour les familles inuit et pour le personnel en périnatalité qallunaat (non inuit) à Montréal.

Méthodologie

Huit Inuit et vingt-quatre membres du personnel en périnatalité ont partagé leurs visions d’un accouchement « dans de bonnes conditions » à l’aide de la cartographie cognitive floue (fuzzy cognitive mapping). Les cartes repèrent les concepts (nœuds) ayant un effet sur la question : « De quoi les familles inuit ont-elles besoin pour un accouchement dans de bonnes conditions à Montréal? », et des flèches illustrent les liens de cause à effet entre les concepts.

Les séances de cartographie ont été menées en inuktitut et en anglais. En groupe d’un à quatre participants, les Inuit ont réalisé cinq cartes et le personnel treize cartes. Guidés par les participants, les animateurs ont dessiné les concepts et les flèches sur un tableau blanc et ceux-ci ont été numérisés. Une analyse thématique inductive a permis de condenser les concepts en catégorie. Le volume de chaque catégorie a été déterminé en fonction de toutes les catégories sur une échelle de 0 à 1, où 0 correspond aux liens de cause à effet les plus faibles et 1 les plus forts. Les catégories et les volumes analysés ont servi à concevoir une carte finale pour les participants inuit et pour le personnel.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

Dix-sept recommandations sur l’accouchement « dans de bonnes conditions » dans le contexte d’une évacuation ont émergé de cette étude. Parmi celles-ci, la présence de la famille, l’aide financière, la participation de la patiente et de la famille, et la formation du personnel figuraient au premier plan. Les participants ont également souligné le besoin de services culturellement adaptés, avec la mise à disposition d’aliments traditionnels et la présence de professionnels de la santé périnatale inuit.

Parmi ces recommandations, certaines faisaient consensus auprès des Inuit et des professionnels en périnatalité, notamment :

  • L’influence du sentiment de sécurité et le fait de se sentir chez soi sur le bien-être de la mère et de l’enfant. Une maison de transit pour les familles offrant soutien et autonomie a été nommée par les participants.
  • Avec un score légèrement plus faible pour le personnel que pour les Inuit, les services de sage-femmes inuit sont considérés comme prioritaires pour favoriser le bien-être de la mère et de l’enfant, l’autonomisation des familles et la continuité des soins.

D’autres recommandations divergeaient entre les Inuit et le personnel quant à leurs priorités, notamment :

  • Les Inuit souhaitaient avoir accès à un meilleur financement pour pouvoir être accompagnés par leurs familles, par exemple les autres enfants.
  • L’accès à la nourriture traditionnelle dans le centre d’hébergement et à l’hôpital était aussi une plus grande préoccupation pour les Inuit.
  • La formation et les compétences en sécurisation culturelle étaient une plus grande préoccupation pour le personnel.

Limites

Les auteurs mentionnent plusieurs limites, notamment celles de la méthodologie de cartographies conceptuelles floues, sans toutefois les nommer. Les données de cette recherche ont été collectées à Montréal ce qui explique la plus forte proportion de cartes produites par le personnel en comparaison à celles produites par les Inuit. Le stress lié à l’évacuation peut expliquer le plus faible nombre de participants inuit par rapport au nombre de membres du personnel. La traduction des cartes de l’inuktitut vers l’anglais a assurément altéré certaines idées ou certains concepts. Finalement, les résultats représentent les points de vue sur le contexte du Nunavik et ne sont donc pas représentatifs des autres régions de l’Inuit Nunangat.

Prévention des maladies infectieuses

Un rappel par texto augmente la vaccination des nourrissons selon le calendrier régulier chez les Autochtones et les peuples insulaires du détroit de Torrès

Manderson, J. L., Smoll, N. R., Krenske, D. L., Nedwich, L., Harbin, L., Charles, M. G., Wyatt, A., Schulz, C. N. et Khandaker, G. M. (2023). SMS reminders increase on-time vaccination in Aboriginal and Torres Strait Islander infants. Communicable Diseases Intelligence, 46.

Contexte

La vaccination selon le calendrier régulier, dans les 30 jours suivant la date prévue, est un incontournable pour protéger les enfants de maladies évitables par la vaccination et ainsi en diminuer leur fardeau. Chez les Autochtones et les peuples insulaires du détroit de Torrès le taux de vaccination des enfants de moins de deux ans est plus faible que chez les allochtones, contribuant aux écarts de santé entre ces groupes. Différentes stratégies peuvent être mises en place pour contribuer à obtenir un taux de couverture de 95 %, dont les rappels par texto. Ceux-ci seraient efficaces dans les communautés plus difficiles à joindre et utiles pour rappeler aux parents les dates de vaccination de leurs enfants.

Objectif

Mesurer l’efficacité des rappels par texto sur le respect du calendrier régulier de vaccination des nourrissons chez les Autochtones et les peuples insulaires du détroit de Torrès dans la région de Queensland Central en Australie.

Méthodologie

L’étude utilise un devis quasi expérimental, une étude où l’intervention n’est pas assignée aléatoirement. Le groupe témoin comporte les naissances qui avaient lieu du 1er octobre 2016 jusqu’au 30 septembre 2018. Pour la cohorte d’intervention, le respect du calendrier de vaccination des nouvelles naissances du 1er octobre 2018 au 31 mars 2020 a été vérifié. Durant cette période, l’ensemble des nouveaux parents recevaient un rappel par texto cinq jours avant la date prévue de vaccination selon l’âge de l’enfant (six semaines, quatre mois, six mois, douze mois et dix-huit mois). Du personnel de la santé, notamment des sages-femmes et des obstétriciens et obstétriciennes, était responsable d’informer les parents de la démarche.

Dans l’équipe de recherche, une personne chargée de la promotion de la santé autochtone avait la responsabilité de faire le lien avec la communauté, de s’assurer de son implication et de son approbation concernant le projet. Par exemple, le message envoyé par texto a été rédigé en collaboration avec des représentants de la communauté.

Qu’est-ce qu’on y apprend? 

Au total, 1 141 enfants ont été inclus dans l’analyse, 468 dans le groupe d’intervention et 673 dans le groupe témoin. En tout, 2 551 rappels par texto ont été envoyés pour un coût total de 637,75 dollars australiens. Les rappels par texto seraient alors un moyen peu coûteux d’améliorer la couverture vaccinale. Aucun parent n’a demandé à ne plus recevoir de texto de rappel.

Pour les deux groupes, la proportion de nourrissons vaccinés selon le calendrier diminue à mesure que l’enfant grandit. Dans le groupe d’intervention, cette proportion dépasse celle du groupe témoin pour les cinq jalons. Toutefois, la différence n’est pas significative à 12 mois. La probabilité de vaccination a été illustrée par le risque relatif, l’augmentation de cette probabilité était la plus élevée au jalon de 18 mois. À ce jalon, les enfants du groupe d’intervention étaient environ 30 % plus susceptibles d’être immunisés selon le calendrier régulier que ceux du groupe témoin. Un calcul du « nombre nécessaire pour rappeler de vacciner un enfant » a aussi été développé. Le plus petit nombre était au jalon de six mois, l’envoi d’un rappel par texto à huit parents était lié à un nourrisson vacciné supplémentaire dans le groupe d’intervention par rapport au groupe témoin.

Cependant, l’efficacité des rappels par texto pour améliorer la couverture vaccinale des enfants reste tributaire de l’accès aux technologies. En Australie, environ un Autochtone sur cinq vit dans des régions isolées où la couverture cellulaire n’y est pas uniforme.

Limites

Le devis quasi expérimental est la principale limite selon les auteurs. Dans la région étudiée, le taux de naissance chez les Autochtones et les peuples insulaires du détroit de Torrès aurait requis une cohorte d’intervention sur trois ou quatre ans pour obtenir un échantillon avec une puissance statistique suffisante.


Si vous vivez de la détresse, vous pouvez appeler la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être (1 855-242-3310) ou clavarder en ligne. Ce service est disponible en tout temps pour tous les Autochtones du Canada. D’autres ressources existent, consulter la liste des centres d’écoute par région.

L’inclusion des articles présentés dans ce bulletin de veille ne signifie pas leur endossement par l’Institut. Le jugement professionnel demeure essentiel pour évaluer la valeur de ces articles pour votre pratique. Vous pouvez également consulter la méthodologie de la veille scientifique en santé des Autochtones.